A Estética Do Jovem Hegel

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  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    1/30

    Revue Philosophique deLouvain

    La pense esthtique du jeune HegelJacques Taminiaux

    Citer ce document Cite this document :

    Taminiaux Jacques. La pense esthtique du jeune Hegel. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisime srie, tome

    56, n50, 1958. pp. 222-250.

    doi : 10.3406/phlou.1958.4956

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1958_num_56_50_4956

    Document gnr le 16/10/2015

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1958_num_56_50_4956http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_157http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1958.4956http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1958_num_56_50_4956http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1958_num_56_50_4956http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1958.4956http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_157http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1958_num_56_50_4956http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/
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    La

    pense esthtique du jeune egel

    L'esthtique

    hglienne passe pour n'avoir

    d'autre

    origine

    que

    l'histoire abstraite

    des ides.

    Qu'elles composent un

    long pome

    de concepts

    ,

    art

    dguis mais non philosophie de l'art

    (1),

    ou

    qu'elles

    prouvent inversement la

    ccit esthtique

    de

    tout

    pan-

    logisme

    (2),

    les Leons d'Esthtique auraient pour seul

    pass

    les

    mouvements obscurs

    d'une

    inspiration

    jouant avec

    les

    philosophies

    historiques,

    ou la loi

    mme

    d'un systme dj fait

    s'

    imposant

    de

    tout dvorer pour tmoigner de sa

    propre

    perfection.

    Calme bloc

    ici-bas,

    ou

    dduction

    tardive,

    dans les deux cas point d'antcdents,

    sauf

    se

    renseigner

    chez

    Kant

    ou Schelling. De surcrot, les dates

    sont

    gnantes : les premires leons

    d'esthtique

    ne furent

    prononces qu'en 1818, soit un

    an

    aprs la

    premire dition

    de Y

    Encyclopdie, condens du systme.

    Jusqu'alors,

    dit-on,

    tous les

    crits

    de

    Hegel,

    les

    manuscrits

    de

    jeunesse, la Phnomnologie

    de

    l'Esprit

    et jusqu' la

    premire dition de

    Y Encyclopdie

    semblent

    confondre le religieux

    et

    l'esthtique, celui-ci n'tant

    qu'un

    moment

    de

    celui-l.

    L'itinraire intellectuel de Hegel livrerait donc bien

    peu

    d'indices

    d'une rflexion proprement esthtique.

    Cette situation est

    surprenante. Si

    l'on

    songe

    en

    effet

    que depuis

    plus de trente ans, de nombreux travaux ont progressivement lev

    l'accusation de

    panlogisme,

    et montr

    que

    les formules apparem-

    Haym,

    Lange.

    DAUZEL, ZlMMERMANN.

    Cf. Helmut KuHN,

    Die

    Vollendung

    der

    deutschen Aestheti\

    durch

    Hegel, 1931, pp. 8-9. Dans ce

    remarquable

    ouvrage,

    M. Kuhn

    fait

    justice de ces deux reproches, mais

    son

    analyse

    ne

    se rfre qu'

    l'histoire de l'esthtique

    allemande,

    non celle de

    la

    pense hglienne. HarING.

    de son

    ct,

    entrevoit l'importance des

    crits

    de jeunesse pour l'esthtique de la

    maturit, mais

    il

    n'insiste

    pas.

    Quant

    LUKCS, il croit qu'il y a rupture entre la

    pense de l'art dans

    les

    crits de

    jeunesse, y compris la Phnomnologie,

    et

    les

    Leons d'Esthtique. Selon lui, le secret de la gense de celles-ci se trouverait

    perdu,

    du fait

    de la

    disparition

    des diffrents manuscrits

    confis par

    Hegel

    Hotho.

    qui

    publia les Leons.

    Cf.

    Introduction

    Hegel,

    Aesthetik., Berlin,

    1955,

    pp.

    11-46.

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    La

    pense

    esthtique

    du jeune Hegel

    223

    ment

    les plus

    abstraites du

    systme

    rpondaient

    souvent

    des

    motivations trs concrtes, clairement attestes par les crits de jeunesse,

    on

    est en

    droit

    de

    se

    demander

    comment les

    Leons d'Esthtique

    pourraient

    former

    une exception. Sommes-nous

    en prsence du

    seul

    morceau du systme pour

    lequel

    la vieille filiation Kant-Fichte-Schel-

    ling-Hegel demeurerait intgralement

    valable ?

    Ou au contraire,

    verrons-nous s'en dessiner les racines vritables en parcourant

    ds

    le dbut les analyses de Hegel } Peut-tre n'est-il

    pas

    vain de tenter

    cette recherche, laquelle d'ailleurs le pieux Rosenkranz

    semble

    nous convier. Ne nous apprend-il

    pas ds

    les premires

    pages

    de

    sa biographie

    mouvante,

    qu'en

    1785,

    le jeune Georg-Wilhelm avait

    constitu un

    petit

    cahier

    de

    dfinitions dont

    les

    trois

    premiers

    titres

    laissent

    rveur :

    Aberglaube, Schnheit,

    Philosophie

    (3)

    ?

    Si cette

    indication nous donne

    l'espoir

    de rencontrer

    chez le jeune

    Hegel

    des

    proccupations d'ordre esthtique, elle nous signale pourtant

    aussitt

    un

    pril extrme

    :

    Dieu nous garde

    de

    prtendre

    partir

    de

    l

    que

    la

    clbre

    triade

    de l'Esprit

    absolu est sortie

    tout arme

    d'un

    cerveau de quinze ans

    Il

    faudra

    nous rappeler

    avec Hegel lui-

    mme que l'adolescence

    est

    seulement l'ge de

    l'opposition

    entre

    l universalit encore subjective de l'idal, des fantaisies et de

    l espoir,

    et la particularit

    immdiate

    d'un

    monde

    qui leur est

    inadquat,

    que

    l'individu

    n'y est

    pas

    encore autonome

    et

    qu'il

    n'inaugurera

    de

    rapport vritable avec

    le monde,

    qu'en en reconnaissant

    la

    ncessit

    et la rationalit, en

    y travaillant

    et en acqurant

    par

    son

    oeuvre prsence

    relle

    et

    valeur objective

    (4).

    En prenant comme fil conducteur les thses centrales

    de

    l 'esthtique hglienne de la

    maturit, exprimes

    dans les Leons

    d'Esthtique

    et, sous

    forme schmatique, dans

    Y Encyclopdie des sciences

    philosophiques,

    nous

    allons tenter

    d'en

    confronter la gense

    idale,

    telle

    qu'on se

    plat

    communment

    en

    retrouver

    la trace

    travers

    l'histoire de la

    philosophie moderne,

    avec la

    pense de l'art

    qui

    chemine dans

    les

    crits

    de

    jeunesse,

    afin

    de

    voir

    si

    ce

    cheminement

    ne

    pourrait

    pas tenir

    lieu de gense concrte,

    sans

    pour autant

    contredire l'histoire

    des ides

    sur laquelle il dbouche, par

    l'uvre

    objective

    et

    relle.

    Hegels

    Leben, Berlin, 1844, p. 14.

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    224

    Jacques Taminiaux

    Le nud

    de

    la

    pense

    esthtique de

    Hegel,

    sous

    sa forme mre,

    se

    dfinit en

    une formule simple

    :

    l'art

    est la

    manifestation

    seulement

    sensible

    de

    l'Ide

    ou

    de

    l'Esprit

    absolu.

    L'art

    rvle

    l'Absolu

    et

    c'est sa

    grandeur,

    mais il le rvle dans le seul monde sensible

    et

    c'est sa faiblesse interne, le moteur de son histoire

    et

    aussi la

    raison de sa

    mort.

    Rvlation

    des

    plus

    hautes, l'art l'est en ceci qu'il rconcilie

    ce

    que

    la

    conscience

    commune

    vivait sur

    le

    mode de la

    division.

    L'esprit

    de l individu se saisit comme un esprit fini, oppos

    d'autres esprits,

    oppos lui-mme

    et

    la nature.

    Dans le

    savoir,

    la

    nature lui

    apparat comme

    une limite

    qui s'impose

    lui de

    l'extrieur ; dans l'action volontaire,

    ses

    instincts lui apparaissent

    comme

    une objectivit

    ennemie. Mais

    son besoin le plus

    profond

    est

    de dpasser cette finitude

    et ces

    oppositions qui le laissent

    malheureux et

    insatisfait.

    La

    dynamique de la conscience, pratique

    et

    thorique, la porte

    surmonter

    cette sphre de la

    finitude et

    rechercher un accord des opposs. Celui-ci

    se

    ralise

    dans l'esprit

    absolu

    qui est la vrit universelle surmontant

    toute

    particularit

    et

    toute finitude, conciliant la

    connaissance

    et l'objet, la

    libert

    et la

    ncessit, l'esprit

    et la

    nature,

    en montrant

    que toute limite

    tait

    porte par

    le mouvement mme de

    l'absolu,

    qui se diffrenciait

    avant de

    se

    rcuprer

    dans

    la

    lumire.

    L'esprit

    absolu,

    que

    Hegel

    appelle

    aussi l'Ide,

    est l'objet

    de l'art,

    en tant

    que dans

    l'uvre

    d'art s'instaure l'interpntration

    et la

    conciliation de

    l'intrieur et

    de l'extrieur, du sujet

    et

    de l'objet, par

    l'insparable

    unit d'un

    contenu spirituel et d'une

    forme

    sensible.

    Rvlation

    des

    plus

    hautes, mais non encore

    plnire,

    parce

    que

    rive aux liens de la sensibilit,

    l'art

    est tout autant vise que

    possession, absence que prsence.

    Il appartient

    son

    essence d'tre

    temporel

    et

    de porter

    en

    lui

    sa mort.

    Les

    arts

    historiques, les

    divers

    rapports successifs entre

    la

    forme

    et le

    contenu

    sont

    les

    tapes de la

    qute,

    tour

    tour effrne,

    sereine,

    et

    nostalgique

    d'un

    trsor

    aussitt disparu qu'entrevu.

    Il y

    eut tout

    d'abord

    un moment

    o la

    forme sensible n tait

    pas

    encore adquate l'Ide. L'Ide tait

    dmesure,

    abstraite, indtermine,

    elle cherchait

    se rendre

    adquate une

    matire

    sensible, mais n'y parvenant pas, la

    broyait et

    la violentait

    dans tous les

    sens.

    Tel

    est

    le moment

    du sublime et de

    la

    figure

    symbolique

    de l'art.

    La pense y

    dpasse

    la forme et est

    en lutte

    avec elle.

    A ce moment, dit Hegel, le contenu n'est

    autre

    chose

    que

    le dieu

    abstrait

    de

    la pense

    pure

    ou

    une tendance

    pour

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    La

    pense

    esthtique

    du

    jeune

    Hegel

    225

    l'atteindre, elle

    qui

    se jette sans trve

    et

    sans raliser l'harmonie,

    d'une formation dans l'autre sans pouvoir trouver son but

    Ibid.,

    paragraphe 561.

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    226

    Jacques Taminiaux

    il reprsente l unit visible de la nature humaine

    et

    de la nature

    divine. Mais

    cette

    unit est de nature sensible,

    alors que

    dans

    le

    christianisme

    elle

    est

    conue

    dans

    l'esprit

    et

    dans la

    vrit

    (9).

    Il

    y

    aura dsormais rupture entre

    le

    sensible et le spirituel et comme un

    retour

    l'opposition qui

    caractrisait l'art symbolique.

    Mais

    ce retour

    est un

    progrs.

    L'Incarnation marque

    le

    passage de

    l'unit

    grecque

    encore

    immdiate

    la conscience

    de cette

    unit. Loin

    donc de

    revenir

    la confusion

    ou

    l'abstraction du symbolisme initial, l'art

    romantique

    ou chrtien

    manifestera l'esprit lui-mme.

    Mais

    par

    l,

    il reprsente un

    effort

    de l'art en vue de se dpasser soi-mme.

    Prenant

    pour

    essentiel le

    spirituel

    mme, il

    ne

    peut

    que traiter le

    sensible d'inessentiel, tout en

    tant

    pourtant oblig de s'y confiner

    sous peine de ne

    plus tre

    un art. L'art romantique se conclut dans

    l'art moderne, dont Hegel

    dfinit

    la tendance gnrale

    par le fait

    que

    la subjectivit de l'artiste cesse

    d'tre

    domine par les

    conditions

    donnes

    de tel ou tel contenu, de

    telle ou telle forme,

    mais

    domine l'un et l'autre et

    garde

    toute sa libert de

    choix

    et de

    production

    . La libert

    de

    la pense s'empare

    de

    l'artiste et

    lui

    fait

    faire

    table rase quant

    aux

    sujets

    et

    aux formes de sa

    production

    (10). Du

    mme

    coup

    nous

    quittons la

    sphre de

    l'art,

    dont le

    destin n'est plus essentiel l'esprit, qui

    loin

    d'tre enfonc dans

    ses

    oeuvres n'y

    voit

    plus

    que

    des

    signes

    de

    sa

    propre

    libert

    et

    est

    donc capable de s'apprhender soi-mme en

    tant

    qu'esprit,

    apprhension

    qui est l'objet mme de la vraie religion et de la philosophie.

    Aprs ce rappel sommaire des

    thses

    matresses de l'esthtique

    hglienne

    de

    la

    maturit, voyons, avant

    d'en retourner l'clairage

    sur

    les

    crits de jeunesse,

    quelle

    en est la gense idale

    (11).

    La

    biensance

    nous

    ramne

    Descartes et

    c'est

    au trop banal

    dualisme

    que force est bien d'attribuer la raison de l'inexistence d'une

    esthtique cartsienne. Entre l'tendue,

    ide

    claire

    et distincte, et la

    perception,

    toute relative

    la subjectivit,

    il

    n'y

    a pas

    de

    place

    pour

    l'apprhension d'un sens spirituel dans

    une

    matire

    sensible.

    Aussi

    le Compendium

    musicae

    est-il une

    sorte

    d'essai

    d'acoustique, et il

    HEGEL, Esthtique, Traduction JankLVITCH, Paris, Aubier, 1944, T. I,

    p. 106.

    Id., ibid., T.

    II,

    p. 335, p. 338.

    ( ) Nous nous rfrons notamment

    l'ouvrage

    de M. H. KuHN, dj cit, ainsi

    qu'

    une tude de

    Victor BASCH,

    Origines

    et

    fondements de

    l'esthtique

    de

    Hegel,

    dans Revue de

    Mtaphysique

    et de Morale,

    1931,

    pp. 341-366.

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    La pense

    esthtique

    du

    jeune Hegel

    227

    n'est

    pas

    tonnant qu' la question du P. de Mersenne,

    sur

    la

    dtermination

    rationnelle

    du beau, Descartes

    rponde

    que

    le

    beau

    se

    rduit

    l'agrable

    et

    est

    tout relatif

    la fantaisie

    d'un chacun.

    Point

    ici

    d'autre

    sujet

    esthtique (spectateur

    ou

    auditeur) que celui

    qui

    illustrera

    bien plus tard un laboratoire de Ptersbourg.

    La mme

    musique qui fait

    envie

    de danser

    quelques-uns,

    peut

    donner envie

    de pleurer

    aux

    autres. Ce

    qui

    est si certain que

    je

    juge que si on

    avait bien fouett un chien cinq ou six fois au

    son

    du

    violon, sitt

    qu'il ourait une

    autre fois

    cette musique,

    il

    commencerait crier

    et

    s'enfuir

    (12).

    Au

    dualisme cartsien

    Leibniz

    oppose

    la lex

    continui grce

    laquelle

    la

    perception esthtique peut

    tre

    rhabilite

    titre

    d'apprhension

    claire

    encore

    que confuse

    de

    l'harmonie universelle.

    Par la

    thorie de la gradation,

    art

    et vrit se trouvent runis et

    le leibnizien

    Baumgarten, quoique baptiste

    irrflchi,

    se

    montrera fidle

    son

    matre

    lorsqu'il qualifiera la facult esthtique

    d'

    anologon rationis

    .

    Mais sa

    perspective

    est strictement psychologique et

    ce

    n'est pas

    avec

    Baumgarten,

    c'est

    avec Kant que les mtaphysiciens de l'art

    feront

    commencer

    l'esthtique.

    Le

    premier

    moment

    du criticisme

    apparat

    comme une

    rgression vers

    le

    dualisme cartsien. Dualisme au niveau thorique, du

    phnomne

    et

    du

    noumne,

    de

    la

    matire

    sensible

    diverse

    et

    des

    formes

    spontanes ; dualisme au niveau pratique, de la

    libert

    et

    des

    dterminations empiriques,

    de

    l'impratif catgorique

    et

    de

    la

    nature. Aussi

    Kant

    commence-t-il,

    l'instar de Descartes, par

    relguer l'acte

    esthtique dans le

    domaine relatif

    de l'affection

    empirique

    comme en tmoigne une petite note de

    la

    Critique de

    la

    raison

    pure,

    o la thorie du

    beau se

    trouve

    qualifie

    d' esprance due

    et

    d' entreprise vaine

    (13). Mais Kant finit

    pas

    s'inquiter

    des

    fosss

    qu'il

    a

    creuss et cette inquitude concide avec

    une

    rflexion

    sur

    l'exprience esthtique. La Critique du jugement rpond

    au

    souci

    d'unir en

    une

    totalit

    les

    deux

    troncs

    du

    criticisme.

    Concrtement le problme y est double, pratique

    et

    thorique.

    Premirement,

    un abme immense se trouve tabli entre le

    domaine

    du

    concept de

    la nature, le

    sensible,

    et celui du

    concept

    de la libert,

    le supra-sensible,

    et

    du premier au

    second

    un passage

    est

    impossib le

    comme

    entre

    des mondes diffrents dont le premier

    ne peut

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    8/30

    228

    Jacques Taminiaux

    avoir sur

    le

    second aucune influence,

    nanmoins le

    second doit avoir

    une influence sur le

    premier,

    la

    libert doit

    raliser dans le monde

    sensible

    la

    fin

    impose

    par

    ses

    lois

    (14>.

    Deuximement,

    l'entendement ne lgifre qu'en

    gnral,

    mais la

    connaissance doit

    aller

    jusqu'au particulier. Comment dterminer l'objet

    singulier

    partir

    de

    la

    gnralit

    des

    lois

    d'entendement

    ?

    Il faut,

    rpond Kant, que

    nous

    prsumions un accord de la nature, d'une

    part

    avec les

    possibilits des fins

    raliser

    en elle suivant

    les lois de

    la libert, d'autre

    part

    avec notre facult de connatre. Autrement dit, il y

    a

    un

    principe

    a priori de

    la finalit

    de

    la

    nature.

    Toutefois

    ce principe

    n'est

    pas dterminant, il

    ne

    doit

    son origine

    qu' la

    rflexion

    ou

    plus

    prcisment

    la

    rflexion

    du jugement, facult du particulier. Il

    peut

    jouer de deux

    manires,

    soit

    comme

    principe

    d'organisation de

    nos

    connaissances, et la finalit est

    alors rapporte

    l'objet dans la

    reprsentation d'une tlologie de

    la

    nature, soit comme principe

    d'harmonie

    interne de nos facults,

    et elle est

    alors simplement

    subjective, dans le jugement esthtique. Abstraction faite du

    jugement tlologique, il est remarquable

    que le

    jugement

    esthtique

    kantien tmoigne d'un

    effort

    de rsorption

    des divers dualismes

    antrieurs. S'agit-il de l'opposition de la sensibilit et de

    l'entendement, le jugement esthtique

    tend

    le surmonter en mettant en jeu

    la

    libre

    concordance

    de l'imagination,

    dfinie

    par

    Kant

    comme

    un

    ingrdient

    de

    la

    perception sensible,

    et

    de l'entendement,

    facult

    des concepts. S'agit-il du dualisme du

    thorique

    et du

    pratique,

    ou

    encore du phnomne et

    de

    l'en soi,

    le jugement esthtique le

    surmonte,

    puisque

    le

    beau, selon Kant, est

    le symbole

    la fois du

    bien moral

    et d'une unit supra-sensible. Le

    beau

    plat en

    dehors de

    tout

    intrt

    empirique, il fait appel

    au

    jeu libre de l'imagination

    et

    de l'entendement,

    il est universel.

    Tels

    sont

    aussi les caractres

    du

    principe de la moralit.

    En outre,

    il nous

    fait

    entrevoir

    l'intelligible,

    savoir l unit de ce que

    nous

    saisissons sous

    le

    mode de la division.

    Dans

    le got,

    dit

    Kant,

    la

    facult

    de

    juger

    se

    voit

    rapporte

    quelque

    chose

    dans

    le

    sujet et hors de lui, qui n'est

    ni

    la nature,

    ni

    la

    libert,

    mais qui est

    rattach

    cependant au

    fondement

    de

    celle-ci,

    le

    supra-sensible, dans lequel la facult

    thorique

    et la facult

    pratique

    sont

    ramenes

    d'une

    manire commune

    mais inconnue

    l unit

    (15).

    ' >

    KANT,

    Critique

    du Jugement,

    trad. GlBELIN, p.

    17.

    < > ID.,

    ibid.,

    p.

    166.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    9/30

    La

    pense

    esthtique du

    jeune

    Hegel

    229

    Mais

    justement cette

    unit est

    inconnue

    et

    c'est pourquoi

    il

    y a

    une

    limite

    dans

    la rsorption. La

    conciliation qu'opre

    le jugement

    esthtique

    demeure

    essentiellement

    subjective,

    elle

    n'est

    pas

    directement en prise

    sur

    la ralit et la vrit les

    plus

    hautes, sur l'en soi.

    Kant,

    dira

    Hegel, reste mi-chemin entre le psychologique

    et

    le

    spculatif. L'effort du postkantisme visera

    ramener

    une unit non

    plus inconnue

    mais

    connue les

    diffrents termes dont

    Kant laissait

    subsister

    l'opposition.

    C'est

    bien dans cette vise que

    s'inscrit le

    principe

    fichten de

    l'identit du

    sujet et

    de l'objet, sous

    la

    forme du Moi

    =

    Moi.

    Cependant le systme manifeste un cart entre les termes opposs dont

    le

    principe

    devait

    restituer

    l'unit.

    La

    Doctrine de

    la

    science

    dit

    bien

    que

    dans

    la sensation le moi se dtermine lui-mme, que donc l'objet

    n'est pas un oppos mais un

    gemacht

    ; mais la raison

    thorique

    est

    incapable

    d engendrer les objets

    singuliers auxquels

    le

    Moi est

    affront, et

    de

    dduire la

    multiplicit de

    la conscience

    empirique

    partir

    de

    la conscience

    pure. Les deux consciences restent donc

    opposes, et

    le

    Non-Moi

    tranger au Moi. Ce

    conflit

    qui motive

    chez Fichte

    le

    passage

    la raison pratique n'est

    pas

    rsolu

    davantage par le pouvoir pratique du Moi. Car notre activit a

    toujours

    besoin

    d'un

    obstacle

    par

    lequel

    elle

    puisse se raliser, sans

    cesse

    le Moi

    doit

    nier

    le Non-Moi.

    Mais

    comme

    la

    suppression

    de

    celui-ci

    quivaudrait

    la

    suppression

    du Moi lui-mme,

    l'accomplissement

    de

    l'unit n'est

    qu'un effort

    toujours repris, une tche

    infinie,

    un

    idal jamais

    atteint. Aussi bien les oppositions

    du

    criticisme

    ne

    sont-

    elles

    pas dpasses,

    et les quelques pages que la Sittenlehre

    consacre l'activit esthtique

    ne

    vont

    pas

    plus

    loin que la

    Critique

    du

    Jugement, par rapport

    laquelle

    elles

    font

    plutt figure de

    rgression.

    Quand

    Fichte

    y

    reconnat

    que

    l'activit esthtique met

    en

    jeu

    toute

    l'me dans

    l'unification

    de

    ses

    facults, il est kantien ; mais

    quand il affirme que l'art

    a

    pour unique mission de prparer la voie

    la

    moralit en

    nous

    affranchissant

    des

    liens

    de

    la

    sensibilit,

    il

    est

    malgr l'apparence en de de

    Kant,

    puisque

    celui-ci

    entrevoit dans

    le beau une

    racine

    inconnue

    du

    thorique

    et du

    pratique,

    et

    une

    unit

    de la nature et de la

    libert,

    loin d'y lire le symbole de la dfaite

    de

    celle-l par celle-ci.

    C'est

    Schelling qu'il devait appartenir de surmonter

    absolument l antithse criti ciste renforce par Fichte. Le Systme de

    l'Idalisme

    transeendantal marque le passage l'identit absolue,

    par l'abandon du primat de la libert. L'organisme vivant et l'uvre

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    10/30

    230

    Jacques Taminiaux

    d'art n'y

    apparaissent

    plus comme

    des

    symboles subjectifs, mais

    comme l'exposition mme de l'identit de la libert et de la

    nature.

    Sous

    les

    produits objectifs

    que

    croit

    rencontrer

    l'exprience,

    l'intuition intellectuelle philosophique retrouve la productivit, sous la

    rature nature elle dcle la nature naturante

    et

    le mouvement

    d'incarnation de la force productrice

    inconditionne. Et

    si la nature

    lui parat

    encore

    disperse,

    l'art

    lui

    en

    rflchira l'unit,

    l'exposant

    au regard de

    tous

    :

    l'intuition intellectuelle

    est

    le fait encore

    subjectif de quelques-uns,

    mais l'intuition

    esthtique

    l'objective et

    appartient tous,

    sous

    les espces de l'art lui-mme. En lui s'achve

    l'Odysse de

    l'esprit

    qui partout

    ailleurs

    se

    fuyait

    tout

    en se

    cherchant. En lui s'unissent le sujet

    et

    l'objet, la

    libert et

    la

    nature.

    Il

    est

    le

    seul et vritable organe de la philosophie

    transcendantale

    et il

    en est en mme temps le document, qui confirme

    toujours

    et

    sans cesse ce que la philosophie ne

    peut

    exposer extrieurement,

    savoir ce

    qu'il y

    a

    d'inconscient dans

    l'activit

    et la

    productivit

    et

    son identit primitive avec ce qui s'y trouve de conscient. L'art esr

    donc

    ce

    qu'il y

    a de plus

    lev

    pour le philosophe

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    11/30

    La pense

    esthtique

    du

    jeune Hegel

    231

    Le premier crit systmatique

    que nous a

    lgu

    Hegel

    est dat

    de

    1788. C'est

    une

    dissertation rdige au gymnase

    de Stuttgart,

    qui

    traite

    de

    quelques

    caractristiques

    des potes anciens

    .

    Nous

    y lisons que les

    potes anciens jouissaient sur

    les modernes d'un

    avantage considrable,

    d la convergence, au sein

    des

    cits

    antiques, de l'intrt

    gnral

    de

    l'humanit

    et de l'intrt

    particulier

    des individus, contrairement

    la

    division

    qui caractrise la

    cit

    moderne.

    De notre

    temps,

    crit Hegel, le pote ne jouit

    plus

    d'un

    champ

    d'action aussi

    tendu.

    Les hauts faits de

    nos

    aeux et

    mme

    des allemands

    modernes ne

    sont

    point intrinsquement lis notre

    constitution, ni davantage

    leur mmoire

    prserve

    par

    la

    tradition

    orale.

    C'est

    seulement dans

    les

    livres d'histoire,

    provenant en

    partie

    de nations

    trangres, que nous

    apprenons

    les connatre et encore

    cette

    connaissance

    est-elle l'apanage

    des couches

    cultives.

    Les

    contes

    qui

    amusent le commun

    du peuple sont des

    traditions

    d'aventures qui n'ont de

    rapport

    ni avec notre

    systme religieux,

    ni avec

    l'histoire vritable.

    De

    plus

    les ides et la culture des couches sont

    trop

    distinctes pour qu'un

    pote de notre temps puisse

    s'attendre

    tre lu

    et

    compris universellement.

    C'est pourquoi

    notre grand

    pote pique allemand (17)

    n'a

    pu

    offrir

    le bnfice du choix sage

    de son objet autant de mains qu'il aurait pu si nos relations

    publiques avaient

    t

    grecques.

    Une

    partie

    du

    public

    s'est

    dj

    carte

    du systme sur lequel sont difis en

    partie le

    pome

    tout

    entier, et

    en

    partie

    ses

    composantes

    ; quant

    l'autre, elle est beaucoup trop

    proccupe par le

    souci des

    besoins multiples

    et des aises

    de

    la

    vie

    pour

    avoir

    le temps

    et

    le dsir

    de s'lever et de s'approcher des

    conceptions

    des couches

    plus

    leves. L'art du pote

    nous intresse,

    mais non plus la

    chose

    mme,

    qui produit

    souvent l'impression

    oppose.

    Une

    proprit

    caractristique remarquable des ouvrages

    des

    anciens est ce

    que nous

    nommons la simplicit,

    que l'on

    ressent

    plutt

    que

    l'on

    ne

    peut

    la

    discerner clairement.

    Elle

    consiste

    proprement

    en

    ce que les crivains nous prsentent fidlement

    l'image

    des

    choses,

    et

    qu'ils ne cherchent

    pas par des traits accessoires

    raffins,

    par de savants miroitements, de la

    rendre plus intressante,

    ou, en s'cartant un peu de la vrit, de la rendre plus brillante

    et

    riche comme

    nous

    l'exigeons aujourd'hui . Les anciens,

    poursuit

    encore Hegel,

    disaient

    simplement la sensation

    alors

    que nous

    II s'agit de

    Klopstock

    et de

    sa

    Messiade.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    12/30

    232

    Jacques

    Taminiatxx

    modernes,

    l'analysons

    et la

    sparons

    ; chez eux, les ides

    naissaient de l'exprience elle-mme

    et

    leur donnaient un langage

    organique, tandis

    que

    chez

    les

    modernes,

    elle

    proviennent

    de

    la

    froide

    rudition

    qui

    en signes

    morts

    s'imprime

    dans le cerveau ;

    les

    hommes

    d'alors apprenaient leur posie de la nature

    visible,

    c'tait

    elle-mme

    qui

    leur

    parlait,

    alors que les modernes n'ont

    d'autre

    rapport avec la nature que la recherche des causes

    et du

    jeu

    interne des forces

    (18>.

    Cette petite dissertation

    sera remanie

    Tubingen

    quelques

    mois

    plus tard,

    mais la nouvelle

    version

    n'en

    diffre

    gure

    que

    par

    l'affirmation du caractre indpassable de l'art

    grec

    :

    les auteurs

    anciens

    assuraient

    leur

    nation

    aux

    poques

    florissantes

    de

    la

    culture le

    grand

    avantage d'une formation du

    got.

    Le got est en

    gnral

    le

    sentiment

    du beau.

    C'est

    dj un

    gain

    suffisant

    que

    la

    force

    rceptrice

    de notre me

    par

    l

    se dveloppe

    et

    se

    fortifie ;

    l'expression

    plus vraie de la sensation touche toujours le

    coeur et

    veille

    un

    sentiment

    de participation

    qui dans

    les circonstances

    o

    nous vivons est trop souvent opprim. Et de

    qui

    pourrions-nous

    attendre

    un

    meilleur

    modle du beau, sinon d'une nation chez qui

    tout

    portait

    l'empreinte de la

    beaut, o

    les

    facults

    esthtiques

    avaient

    tout

    le loisir de se dvelopper, o les

    Sages

    et les hro3

    sacrifiaient

    aux Grces... En

    ce

    qui

    concerne

    l'art,

    aucune

    nation

    ne pourrait les dpasser et bien

    peu

    pourraient les galer (19).

    Chose

    remarquable,

    les premiers

    fragments

    religieux,

    crits

    au

    Sminaire de Tubingen, sont du mme esprit

    que cette

    dissertation

    et les mmes

    expressions

    qui

    servaient qualifier

    la posie, servent

    maintenant qualifier la religion. De mme que la posie

    antique

    rsultait d'une convergence entre l'intrt collectif et l'intrt

    individuel,

    la religion

    antique apparat comme l'expression tant

    du gnie

    juvnile

    du peuple

    que

    de la subjectivit mme de l'individu.

    L'antinomie religion du peuple - religion prive ou

    religion

    subjective -

    religion

    objective

    recoupe

    l'antinomie esthtique

    dj

    dgage

    et

    ce

    sont

    les

    mmes

    mots

    qui la dterminent : d'une

    part,

    la religion antique

    a le mrite de la

    nature

    ,

    de la

    simplicit

    ,

    de la

    vivacit

    ,

    de la

    fantaisie

    et du

    cur

    ; d'autre

    part,

    la religion

    moderne

    On

    trouve ce texte dans

    les Documente zu Hegeh

    Entwickfung, dits par

    HOFFMEISTER, Stuttgart, 1936, pp. 48-51. Le vers sur la froide rudition est emprunt

    par Hegel

    LessinG

    dans Nathan

    le Sage.

    (18) HOFFMEISTER, Documente..., p. 171.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    13/30

    La

    pense esthtique

    du jeune Hegel

    233

    ptit

    de ce dont ptissait aussi bien la posie moderne,

    savoir

    un capital

    mort

    de

    connaissances

    livresques

    et

    systmatiques

    et

    la

    prdominance

    de l'

    entendement

    sur

    la

    tendre

    et

    belle

    plante

    de

    la

    sensibilit libre

    et

    ouverte

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    14/30

    234

    Jacques Taminiaux

    reuse et libre, tait synonyme de beaut, si celle-ci baignait

    tous

    les rapports que la communaut

    antique

    entretenait

    avec

    elle-mme

    et

    avec

    la nature,

    ce n'est

    pas

    seulement un

    art

    qui

    s'oppose

    un

    autre, mais

    l'art vritable son contraire.

    L're

    chrtienne

    est

    synonyme de

    laideur

    ; dans la

    division,

    l'oppression et la

    peur

    de la mort,

    il

    ne

    peut

    y avoir

    de

    beaut ;

    l'art

    chrtien,

    si art

    il y a, ne

    peut

    qu'exprimer l'oppression

    de

    la vie. Ici l'architecture n'est

    pas

    seule

    en cause, mais

    tous les

    arts et

    par exemple

    la

    peinture

    :

    Le

    pinceau

    qui

    a prpar la plupart

    des

    oeuvres

    mdivales

    semble avoir

    t

    plong dans

    la

    nuit

    l'apparence

    de

    ces

    oeuvres est funbre

    aucune

    fantaisie

    chaude et

    joyeuse ne

    les

    anime .

    Il

    n'y a donc

    pas

    de

    beaut

    chrtienne, tout au plus

    pourrait-il

    se faire

    que

    les

    chrtiens

    copient

    la

    Grce,

    mais

    leur

    uvre alors

    sera totalement

    mconnue.

    Ce

    qui est

    beau

    dans

    le

    culte catholique est emprunt aux

    grecs...

    l'encens

    parfum

    et

    les

    belles madones,

    mais les

    temples

    catholiques

    sont des

    masses gothiques. Les uvres les plus grandes

    de l'art sont gnralement

    ensevelies

    dans un coin et entoures

    d'ornements

    infantiles

    (22).

    Art et religion se jugent au mme critre et sont

    authentiques

    quand ils surgissent

    de

    la totalit accorde, strictement immanente

    et temporelle, d'une communaut

    libre

    et

    vivante.

    C'est

    ce

    qu'exprime

    un texte

    nostalgique

    du

    Tubinger

    Fragment,

    o

    Hegel voque

    l'image rayonnante

    du

    gnie

    du peuple grec

    :

    Le pre de ce gnie

    est

    le

    CHRONOS, dont il demeure dpendant

    tout

    au long

    de sa vie,

    sa mre

    est la

    PoLITEIA, la

    constitution,

    sa nourrice

    est

    la religion

    qui

    a

    adopt comme

    ducateurs les beaux-arts,

    la musique des

    mouvements corporels

    et

    spirituels

    -

    ce gnie

    est

    une

    essence

    thre, relie la

    terre

    par un

    lien

    lger et fermement attache

    elle,

    et

    qui

    cependant

    par un enchantement

    magique,

    rsiste

    toute

    tentative de dchirer ce lien, car il

    est

    tout entier

    enfonc

    dans son

    essence (...) Hlas (...) nous ne

    connaissons

    plus ce

    gnie

    que par

    ou-dire

    (23).

    S'il

    est

    une catgorie

    qui

    gouverne

    ces bauches,

    moins naves

    qu'amres, c'est sans doute

    celle

    de la totalit,

    une

    totalit qui n'est

    pas

    un concept

    mais

    une exigence

    vcue et trs

    concrte. Cette

    exigence porte sur chacune des manifestations

    limites

    de la vie

    et n'est pas

    rductible une

    seule

    dimension. Dira-t-on

    que

    le jeune

    ("' Id., ibid.

    ( >

    NoHL, pp. 27-28 en

    note.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    15/30

    La

    pense

    esthtique

    du

    jeune

    Hegel

    235

    Hegel

    tait

    avant

    tout politique

    et traitait

    le problme de l'art par

    rapport

    l'histoire et

    la philosophie sociale

    exclusivement

    ? Certes

    il

    tait

    rpublicain

    et,

    comme Hlderlin

    et

    Schelling

    ses

    condisciples,

    enthousiasm

    par la

    Rvolution

    franaise.

    Certes

    ses

    considrations

    sur

    l'architecture

    gothique

    s'inspirent

    du Journal de voyage de Georg

    Forster,

    lequel

    dirige

    l'insurrection jacobine de Mayence.

    Certes

    il

    s'aperut trs

    tt

    du

    retard de

    l'Allemagne, de

    son

    morcellement, de

    sa division en classes

    et

    entrevit un rapport entre l'tat

    des

    beaux-

    arts

    et

    celui de

    la socit. L'allure

    de plus

    en

    plus objective

    et

    historique

    des

    crits de Berne en fait foi.

    Lorsqu'il

    y

    essaye d'expliquer

    comment le

    christianisme

    a

    pu

    devenir une religion

    positive,

    imposant du dehors

    des

    dogmes

    et des

    rites, il a recours en

    effet

    une

    explication

    politique

    et invoque le

    fait

    de la

    disparition

    des

    liberts

    civiles

    au sein

    de l'empire romain.

    Le

    christianisme lui

    apparat

    alors comme

    la

    compensation dans le monde d' en-haut de

    la

    dchance

    du monde d'

    en-bas,

    et

    le politique fait figure de fondement,

    mme par rapport l'art.

    Le

    chrtien,

    dit-il, a trouv dans sa

    religion

    mcanique tant

    de consolations,

    tant de

    compensation

    contre toute

    perte de

    ses

    droits humains, qu'il a perdu dans son

    animalit

    le sens de

    son

    humanit et qu'il ne

    peut

    y

    tre

    ramen

    par

    la beaut

    de

    ses images, car

    cette

    beaut

    ne

    le

    peut toucher en

    tant

    que

    beaut...

    (24>.

    Et

    lorsqu'il

    s'agit

    alors

    de

    dresser

    le

    tableau des sources

    d inspiration de l'art de son temps,

    il

    nous dcrit

    le malheur de l'Allemagne divise,

    qui

    n'est

    pas et n'a jamais

    t

    une

    nation :

    ...

    Dans le souvenir

    de la

    plupart

    des

    peuples

    et en

    . particulier des peuples

    libres, vivent les vieux hros de l'histoire

    de leur

    patrie,

    les fondateurs ou les

    librateurs

    de

    l'tat,

    non moins

    que

    les braves

    d'avant l'poque o le peuple

    se

    ft runi en

    un

    tat sous des

    lois civiles. Ces hros ne

    vivent

    pas isols,

    et

    seule-

    ment

    dans l'imagination

    des peuples ;

    leur histoire,

    le

    souvenir

    de leurs actes

    est

    une

    fte publique,

    un jeu national, li mainte

    institution interne

    ou

    des

    rapports extrieurs

    des

    maisons

    et

    des objets connus de tous,

    des

    temples publics

    et

    d'autres

    monuments.

    Tout peuple qui

    a

    eu sa religion et sa constitution

    propres, ou qui

    les a empruntes partiellement ainsi que sa cul-

    ture

    des

    nations trangres, mais se les

    est appropries

    les

    gyptiens,

    les

    juifs,

    les

    grecs,

    les romains, a eu une imagination

    nationale de ce genre

    .

    (Il en

    fut

    ainsi

    des

    vieux germains,

    des

    Nohl,

    p. 365.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    16/30

    236

    Jacques

    Taminiaux

    gaulois, des Scandinaves. Mais)

    le christianisme

    a

    dpeupl le

    Walhalla,... et

    nous a

    impos en change

    l'imagination

    d'un

    peuple

    dont

    le

    climat,

    la

    lgislation,

    la

    culture,

    les

    intrts,

    nous

    taient trangers,

    dont

    l'histoire

    n'a absolument aucun rapport avec

    nous. Dans l'imagination de notre peuple

    vivent

    un

    David et

    un

    Salomon, mais les

    hros

    de notre

    patrie

    sommeillent

    dans

    les livres

    d'histoire

    des rudits,

    pour

    lesquels

    un Alexandre et un Csar ont

    autant

    d'intrt que l'histoire

    d'un Charlemagne ou

    d'un

    Frdric

    Barberouse.

    Exception

    faite dans

    une certaine mesure de Luther

    chez les protestants,

    quels

    pourraient

    d'ailleurs

    tre nos

    hros,

    ) nous qui

    n'avons jamais

    t une nation ? Quel

    serait

    notre Thse,

    qui

    aurait fond un

    tat et

    lui aurait donn

    des

    lois

    ?

    O seraient

    >>

    notre

    Harmodius

    et

    notre

    Aristogyton

    auxquels

    nous

    chanterions

    ),

    des louanges

    pour

    avoir

    libr

    notre

    pays

    ?

    Les

    guerres qui ont

    dvor

    des

    millions d'allemands taient

    des

    guerres de l'ambition

    et de l'indpendance des princes, la nation

    n'y

    tait qu'un instru-

    ment,

    et

    mme

    quand elle

    combattait

    avec

    acharnement

    et

    cou-

    rage, elle tait incapable

    de

    dire

    la

    fin

    : pourquoi

    avons-nous

    gagn,

    qu'avons-nous

    gagn

    ? La

    rforme,

    et la

    revendication

    du

    droit de la faire,

    est

    une

    des rares

    occasions

    o

    une partie de la

    nation ait pris intrt.

    Mais

    part

    la lecture

    de

    la

    Confession

    d'Augsbourg

    dans quelques glises protestantes

    et

    le froid sermon

    qui la suit,

    quelle

    est la fte qui commmore le

    souvenir

    de

    cet

    vnement ?

    Celui

    qui, ignorant

    l'histoire

    de la ville

    d'Athnes,

    sa formation et sa lgislation, vivait

    une

    anne

    dans

    ses murs,

    pouvait

    par les ftes

    apprendre

    bien

    la

    connatre. Ainsi, sans

    lgende religieuse ne sur notre sol et lie

    notre

    histoire,

    sans

    aucune lgende

    politique,

    (on ne trouve gure dans

    le

    peuple que

    >: des histoires

    de revenants, de

    sorcires et

    de retres...)

    ; quant

    l'imagination de

    la

    partie

    duque

    de

    la

    nation,

    elle

    a un tout

    autre

    '

    terrain

    que celui

    du

    commun

    du peuple, et

    les crivains

    et

    les

    artistes

    qui

    travaillent

    pour

    elle

    ne sont

    absolument

    pas

    compris

    de

    celui-ci (...) au contraire, le citoyen athnien, que la pauvret

    excluait de l'assemble du peuple, ou qui devait se

    vendre

    comme

    h esclave,

    savait aussi bien qu'un Pricls

    ou

    un

    Alcibiade, qui

    taient 1'

    Agamemnon et

    l'Oedipe,

    qu'un Sophocle ou

    un Euripide

    avaient port au thtre dans les traits nobles d'une humanit

    belle et

    sublime,

    ou qu'un Phidias et

    un Apelle reprsentaient dans

    v-

    les formes pures de la beaut corporelle... .

    La seule

    sphre de

    reprsentations

    imaginaires

    qui soit com-

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    17/30

    La pense

    esthtique du jeune Hegel 237

    )>

    mune

    aux

    deux parties de

    la

    nation,

    celle qui est duque et

    celle qui ne l'est pas,

    est

    l'histoire religieuse, mais pour le traite-

    )i

    ment

    potique,

    par

    lequel

    la

    nation

    pourrait

    tre

    releve, elle

    prsente entre autres l'inconvnient que les gens

    non-duqus

    s attachent

    trop

    la

    matire

    comme

    un objet de foi,

    tandis

    que,

    chez

    les gens cultivs, mme

    quand

    le

    pote

    traite le sujet de

    )> manire belle, cette

    histoire suscite

    par les noms

    qu'elle

    emploie

    la

    reprsentation de quelque chose de vtust

    et

    de gothique,

    ou

    bien encore

    elle a

    impos depuis la jeunesse

    une

    telle contrainte

    la raison,

    qu'elle

    entrane

    un

    sentiment

    de

    malaise, contraire

    la

    jouissance

    de la

    beaut,

    laquelle

    est

    issue du jeu libre

    des

    forces

    de

    l'me... .

    Au

    fur

    et

    mesure

    que

    se

    rpandait

    le

    got

    de

    la

    littrature

    )> antique et avec

    lui

    le got des

    beaux-arts,

    la

    partie

    cultive de

    la nation

    adopta

    dans son imagination la mythologie

    des grecs, et

    sa rceptivit envers

    ces

    reprsentations

    prouve sa

    plus grande

    indpendance

    l'gard

    de l'entendement.

    Mais

    celui-ci

    cependant

    ne

    peut

    jamais

    s'empcher

    de la troubler

    dans

    sa libre jouissance.

    D'autres ont

    cherch de

    rendre aux allemands

    une imagination

    propre, ne de leur

    fond et sur

    leur

    sol, et ils

    se

    sont

    cris :

    l'Achae est-elle donc la patrie des teutons ? (25). Mais cette ima-

    w

    gination

    n'est

    plus

    celle

    des allemands

    d'aujourd'hui (...)

    elle ne

    trouve chez

    nos

    contemporains

    plus

    rien

    quoi

    elle pourrait

    )>

    s'adapter

    et

    se

    rattacher

    (...)

    et

    ce

    que

    ce

    pote

    demandait son

    peuple

    eu

    gard

    la mythologie

    grecque

    on peut,

    eu

    gard

    la

    mythologie

    juive,

    le

    lui demander, lui

    et

    son

    peuple : La

    Jude

    n

    est-elle donc la patrie

    des

    teutons

    ? (26).

    Cette analyse, qu'il nous a sembl utile de

    restituer

    largement,

    montre

    la

    fois

    le bien-fond et la limite de la lecture politique.

    Avant

    Marx, le

    jeune

    Hegel affirme non seulement que tout

    art

    exprime une civilisation,

    mais

    encore

    qu'un

    grand

    art

    est

    impossible

    dans une socit divise. A travers le malheur de l'art de son temps,

    c'est bien le malheur historique de l'Allemagne

    qui est

    vis par

    Hegel, et l'accent

    de son rquisitoire

    est

    davantage politique que

    religieux. Faut-il donc admettre avec

    Lukacs

    que seul le dilemne

    du

    rpublicanisme

    jacobin

    et de la rsignation gouverne la mdi-

    (25)

    C*e8t la question que

    posait

    Klopstock aux partisans

    de l'art grec.

    < >

    NOHL, pp. 214 sq.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    18/30

    238

    Jacques Taminiaux

    tation

    du

    jeune

    Hegel ? Que

    son enthousiasme

    pour

    l'art

    antique

    doit

    tre clair par son enthousiasme pour la

    rvolution

    franaise

    ?

    Que

    l'art

    antique

    tait

    pour

    lui

    l'expression

    d'une

    manire

    de

    vivre

    dmocratique et qu'il attendait

    de

    la rvolution

    dans son pays

    qu'elle

    restaure

    la fois l'art et la

    dmocratie

    ? Il y

    a

    certes

    des raisons de

    rpondre par

    l'affirmative mais Lukacs

    lui-mme

    ne

    nous apprend-il

    pas

    que le rpublicanisme de

    Hegel

    fut de courte dure

    ?

    De plus

    n' affirme-t-il

    pas

    htivement

    que

    le

    jeune

    Hegel voyait

    dans

    l'antiquit la

    ralisation de son

    idal

    dmocratique,

    qu'il

    partait de

    l'intuition

    dogmatiquement

    admise de l'galit de la

    fortune

    dans

    les

    rpubliques

    antiques

    et passait sous

    silence

    l'esclavage (28) ?

    Or,

    nous

    venons de lire sous la

    plume

    de

    Hegel

    que les athniens

    pauvres

    taient

    exclus

    de

    l'assemble

    et

    devaient

    se

    vendre

    comme

    esclaves.

    Il

    faut donc en conclure que ce qui oppose la

    cit

    antique

    l'Allemagne du temps de Hegel,

    ce

    n'est

    pas exactement ce

    qui

    oppose l'galit

    la

    division en classes ;

    et

    que l'art antique pour le

    jeune Hegel

    n'est

    pas

    seulement

    l'

    illustration

    d'un

    mode

    de vie

    dmocratique (29>. Malgr la pauvret

    et l'esclavage, et non

    cause

    de

    l'galit

    universelle, le grec

    le plus

    dshrit tait

    travers

    Sophocle et

    Phidias

    l'gal

    de Pricls. C'est--dire que

    la

    totalit

    harmonieuse exprime selon le jeune Hegel par l'art antique et

    vcue

    par

    l'homme

    de

    l'antiquit,

    n'a

    pas

    pour dimension exclusive

    ni

    mme

    centrale le

    politique.

    A l'unilatr

    alit

    de

    l'interprtation religieuse qui

    se

    bornait

    voir dans les

    premiers crits

    hgliens l'expression d'un mysticisme,

    l'interprtation

    politique

    d'un

    Lukacs risque sans

    cesse d'opposer

    une nouvelle unilatralit qui ne

    serait

    que la

    forme

    inverse de

    la

    premire.

    Il

    faut remarquer, en effet, qu'en ce qui concerne le

    problme de la

    pense

    hglienne de l'art, les deux interprtations

    tendent

    se rejoindre, et

    masquer

    l'une

    et l'autre l'originalit de

    cette

    pense. De

    ce que

    l'art, chez le

    jeune

    Hegel,

    semble li

    la

    vie

    religieuse, la premire

    conclut

    qu'il

    n'est

    pas

    encore

    aperu

    ce

    moment

    comme

    un

    phnomne

    indpendant. Mais

    de ce

    que

    l'art semble li

    la vie

    politique, la

    seconde conclut

    que

    la

    considration des beaux-arts

    n'est

    pas

    encore,

    chez

    le jeune

    Hegel,

    esthtique

    en

    premire ligne

    . Or il suffit d'examiner superficielle-

    Georg LUKACS,

    Der Junge Hegel,

    Berlin 1954, p. 40.

    Id., ibid., p. 72.

    ( >

    Id., ibid., p. 73.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    19/30

    La pense

    esthtique

    du jeune Hegel

    239

    ment l'esthtique hglienne

    de la

    maturit, pour se rendre compte

    que l'art n'y est

    pas

    davantage un

    phnomne

    indpendant mais

    un

    moment

    dans une

    totalit

    spirituelle

    que

    constituent

    conjointement la moralit du

    peuple,

    son

    droit, sa

    science et

    sa religion (30).

    C'est

    dans la

    mesure

    o

    l'art

    s'y inscrit dans

    une

    totalit de ce

    type que les crits de jeunesse ont

    une

    relle importance du point

    de vue de

    l'esthtique

    de

    la

    maturit,

    c'est dans

    cette mesure que

    les

    fragments

    de

    Tiibingen et

    de Berne nous paraissent exprimer

    une

    pense

    de l'art proprement hglienne Cf.

    HEGEL, Encyclopdie,

    paragraphe

    562.

    ( ) Nous ne prtendons

    pas

    que les thmes esthtiques que

    comportent ces

    fragments

    soient exclusivement hgliens. Bien au contraire, leur parent avec la

    pense

    d'un Schiller

    et

    aussi d'un

    Hlderlin

    est frappante,

    et mriterait un

    examen

    approfondi.

    Nous

    ne

    pouvons nous y livrer dans le cadre de cette

    tude,

    qui

    a

    pour

    seul

    objet

    de montrer que les Leons

    d'Esthtique ont

    des racines profondes

    et

    anciennes

    dans

    le

    sol hglien.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    20/30

    240

    '

    Jacques Taminiaux

    y voyant la manifestation de la vrit, en le rattachant

    un

    moment

    privilgi

    de l'histoire,

    Hegel tablit

    le pivot

    de sa pense esthtique

    future.

    Cependant

    celle-ci

    ne pourra

    se

    mouvoir

    et

    se

    dvelopper

    que par l'abandon de l'antinomie

    qui

    fige sa premire

    pense.

    Si

    l'art

    est

    li un seul moment de

    l'histoire,

    il n'y a

    pas

    d'histoire

    de l'art et les

    modernes

    sont condamns un

    pessimisme

    esthtique

    radical,

    qui

    n'est qu'une

    des

    formes d'un pessimisme plus gnral

    li au destin mme de la vrit

    disparue

    avec la Grce. Tout le

    progrs de

    Hegel va consister

    surmonter

    cette antinomie,

    et

    ouvrir le champ de

    l'histoire

    en dissociant

    dans une certaine

    mesure

    le mouvement de l'art de celui de

    la vrit.

    Les

    crits

    de

    Francfort

    refltent

    ce

    dblocage qui

    concide

    avec la

    premire apparition de

    la

    pense

    dialectique.

    * *

    Dsormais la valorisation de la Grce va se

    relativiser

    et

    le

    christianisme

    va apparatre lui aussi

    comme

    une forme d unit doue

    d'une

    certaine

    beaut.

    Au dualisme antrieur, succde

    une

    sorte de

    rpartition tripartite des figures

    de l'esprit

    : le judasme d'abord,

    caractris par la domination d'un

    esprit

    infini

    sur

    une nature morte ;

    l'hellnisme ensuite,

    un

    peu en

    retrait, caractris par l'unit

    immdiate

    et

    heureuse

    ;

    le

    christianisme

    enfin,

    qui

    allie l unit

    grecque

    la

    division

    judaque, et est la figure de la rconciliation conquise sur

    la division, mais une rconciliation seulement subjective

    et

    donc

    malheureuse. Esthtiquement, c'est

    toujours

    la Grce qui incarne

    la

    plus haute forme de

    beaut.

    L'esprit

    des grecs,

    dit Hegel, c'est

    la beaut

    '32).

    Cette

    fois

    le

    christianisme n'en est

    plus l'antithse,

    il est porteur

    lui aussi

    d'un esprit

    de

    beaut, mais d'une beaut

    seulement spirituelle. En

    revanche le

    judasme, et bientt

    l'orient

    en

    gnral, paraissent exclure

    la beaut, mais

    non

    pas

    l'art,

    qui

    dans leur

    esprit

    symbolise

    l'infini

    :

    l'esprit

    des

    orientaux

    est

    le

    sublime

    et

    la

    grandeur

    (33).

    Rien n'exprime mieux la diffrence d'esprit entre les grecs

    et

    les juifs, selon Hegel,

    que

    leur attitude envers la nature aprs que

    le

    dluge

    et fait

    natre chez

    les hommes le

    sentiment

    d'un

    dchirement

    de la vie et d'une

    hostilit

    des lments jusque l amicaux.

    < >

    HEGEL, L'Esprit

    du

    christianisme et

    son destin,

    trad.

    MARTIN,

    Paris, 1948,

    p. 127.

    < )

    Id., ibid.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    21/30

    La pense

    esthtique

    du

    jeune Hegel

    24

    No

    choisit de perptuer le dchirement en opposant toutes

    choses

    un Etre suprme dominateur de la nature et des hommes.

    Il

    assura

    sa

    scurit

    l'gard

    de

    la

    puissance

    hostile en

    la

    soumettant

    tout

    comme

    lui

    un

    plus

    puissant

    ,

    au contraire de ce

    que fit

    le

    beau

    couple de Deucalion

    et

    de Pyrrha,

    lorsqu'aprs

    leur dluge

    ils

    invitrent les

    hommes renouer

    leur

    amiti

    avec

    le

    monde et la nature,

    leur

    firent

    oublier

    dans la joie et

    les

    dlices le besoin et la

    haine,

    conclurent

    une paix

    de l'amour, devinrent la souche de belles

    nations et firent

    de leur poque

    la

    mre

    d'une nature nouveau-ne,

    qui allait conserver la fleur de sa jeunesse

    (34). L'origine de la

    nation

    juive

    rside dans un esprit d'opposition absolue, celle des

    cits

    grecques dans

    un esprit

    d'harmonie. Abraham

    commence

    par

    rompre sans raison avec sa

    famille.

    Le premier

    acte

    par lequel

    il

    devient

    le pre

    d'une

    nation

    est

    une scission

    qui

    dchire les

    liens

    de la vie

    commune

    et de l'amour,

    le tout

    des

    rapports

    dans lesquels

    il

    avait

    vcu jusque l avec

    les hommes

    et la nature ; ces beaux

    rapports

    de sa jeunesse, il les rejeta

    loin

    de lui

    (35). Au

    contraire

    Cadmus, Danaiis, etc.,

    avaient aussi

    abandonn

    leur

    patrie, mais

    en combattant ;

    ils

    avaient cherch une

    terre o ils

    pourraient tre

    libres

    et aimer ; Abraham ne voulait

    pas

    aimer,

    ni tre libre pour

    pouvoir aimer. Les

    premiers, afin

    de pouvoir

    vivre

    dans une

    belle

    harmonie

    immacule, dsormais impossible

    dans

    leur

    pays, taient

    partis avec

    leurs

    dieux, Abraham

    voulait tre libre de

    ces

    rapports eux-mmes. Les premiers attirrent

    eux

    par l'humanit de

    leurs

    arts et

    de leurs

    murs

    les

    indignes encore frustes et

    se

    mlrent

    eux en un peuple joyeux et sociable. Mais

    l'esprit

    qui

    avait loign Abraham de sa famille

    est

    aussi celui qui le conduisit

    travers les

    nations

    trangres

    avec lesquelles il entra en

    conflit

    dans

    la suite de sa vie,

    cet

    esprit qui consiste persvrer dans

    une

    farouche

    opposition toutes

    choses, l'tre pens lev

    l unit

    dominatrice

    au-dessus

    de

    la

    nature hostile

    infinie,

    car l'hostile ne peut

    paratre

    que

    dans

    le

    rapport

    de

    domination

    (3fl>.

    L'esprit

    du

    judasme,

    c'est l'abme

    entre

    l'infini et

    le fini, entre l'invisible

    et le

    sensible, entre le sujet

    et l'objet. Il

    ne saurait donc y avoir de beaut

    issue d'un tel esprit ; le sensible pour les juifs, ne saurait

    tre

    investi

    d'une

    valeur

    spirituelle et

    tre

    l'objet de

    cette

    sympathie qu'est la

    (*> Op. cit.,

    p.

    5.

    C'est nous

    qui soulignons.

    < >

    Ibid., pp. 5-6.

    C'est

    nous

    qui

    soulignons.

    < ) Ibid., p.

    6.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    22/30

    242

    Jacques Taminiaux

    jouissance

    de la beaut,

    tout

    au

    plus

    peut-il

    tre

    signe infime et sans

    valeur propre d'un esprit

    qui

    le dpasse infiniment

    et

    l'crase, lieu

    accidentel

    d'une

    thophanie.

    Le

    sujet

    infini

    devait

    tre

    invisible,

    car

    tout

    visible est

    un

    limit ;

    avant que

    Mose

    et son tabernacle,

    il n'avait

    montrer aux Isralites que

    le feu

    et les nuages dont les

    jeux

    toujours

    renouvels et

    indtermins

    occupaient

    le

    regard, sans

    le fixer dans une forme. Une

    idole

    ne leur tait que bois

    et pierre

    elle ne

    voit

    pas,

    n'entend

    pas, etc.

    :

    cette antienne leur semble

    la

    suprme

    sagesse,

    ils mprisent

    l'idole parce

    qu elle ne

    s'occupe pas

    d'eux et ils ne souponnent

    pas

    qu'elle peut tre

    divinise dans

    l'intuition de l'amour

    et

    dans la

    jouissance

    de la

    beaut.

    Si

    aucune

    forme

    n tait

    offerte

    la sensibilit,

    il

    fallait

    du

    moins

    donner

    la mditation,

    l'adoration d'un

    objet invisible,

    une direction

    et

    une dlimitation univoque.

    Tel

    fut le rle du Saint

    des

    Saints,

    du Tabernacle,

    et

    ultrieurement

    du Temple.

    Pompe

    fut bien surpris lorsqu'il s'approcha du cur du

    Temple,

    du centre

    de

    l'adoration, esprant

    y saisir la racine de l'esprit

    national,

    prendre

    une

    connaissance

    centrale de l'me

    qui

    animait ce peuple

    exceptionnel et aussi apercevoir un

    tre

    propos

    la vnration,

    une

    ralit

    sensible offerte

    son respect

    :

    entrant dans le

    rduit

    secret,

    il

    vit

    son

    attente

    due,

    il

    dcouvrait cet tre

    comme un

    espace

    vide

    (37).

    Essentiellement

    diviseur,

    ne concevant entre

    la

    nature

    et

    l'esprit

    que

    des

    rapports de

    sujet

    tyran,

    l'esprit juif

    est incompatible avec

    la

    beaut qui

    suppose

    une harmonie entre le

    spirituel et

    le sensible.

    Comment des

    hommes

    qui ne voyaient en

    toute

    chose que

    matire

    auraient-ils

    pu pressentir la beaut ?

    (38>.

    Mais

    l'absence

    d'unit

    va ici de pair avec

    l'absence

    de vrit, car comment pourrait-il tre

    question

    de

    vrit,

    quand

    tous les rapports

    sont soit

    de domination

    soit de

    servitude

    ?

    ... La vrit est en

    effet

    quelque chose de libre,

    que

    nous

    ne

    dominons

    pas et dont

    nous

    ne pouvons

    tre

    domins :

    c'est

    pourquoi l'existence

    de

    Dieu

    ne

    se

    prsente

    pas

    comme

    une

    vrit, mais comme l'objet d'un commandement

    ;

    les juifs sont sous

    l entire dpendance de

    Dieu, et

    ce dont on dpend ne peut avoir

    la forme d'une vrit

    Ibid., pp. 11-12.

    ( )

    Op.

    cit.,

    p. 16.

    ( ) lbid., p. 16.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    23/30

    La

    pense esthtique

    du jeune Heget

    243

    A premire vue, on pourrait croire que

    ces

    textes ne font que

    transposer

    au judasme

    les caractres

    auparavant

    attribus au

    christianisme

    et

    aboutissent

    par

    l

    cristalliser

    sous

    une

    nouvelle

    forme

    l'antinomie dont nous parlions plus haut, paralysant

    toute

    rflexion

    sur l'histoire de l'art. En ralit, cette antinomie va se trouver

    brise

    par le fait

    que le second terme n'en est

    plus

    la Grce mais le

    christianisme,

    plus

    exactement par

    le fait que le

    christianisme instaure

    une

    unit

    de

    la

    nature

    et

    de

    l'esprit,

    de

    l'objet et du

    sujet,

    et est

    anim d'un

    esprit

    de beaut

    et

    de vrit.

    Par

    l'amour, Jsus

    rconcilie l'universel

    et

    le

    particulier, la loi et

    l'inclination sensible, ente

    lesquels

    le

    judasme

    avait tabli l'hostilit. Cette rconciliation n'est

    pas

    simple

    unit

    de

    ralits htrognes,

    tre

    pens , c'est

    un

    accord

    qui est vie et

    plnitude de la vie, chassant le concept

    et

    rendant

    la

    loi superflue

    en en

    ralisant

    l'accomplissement. En

    plaant

    la

    rconciliation

    dans

    l'amour

    et la

    plnitude

    de la

    vie, Jsus

    rendait

    l'homme 1* harmonie

    et la

    beaut

    dont il

    s'tait

    dfait au profit d'un tre

    tranger.

    L'amour est synonyme de beaut,

    et

    l'me aimante

    qui

    rtablit le lien de

    la

    vie

    entre

    le dsir

    et

    l'action, entre

    la

    vie

    et

    le

    crime,

    entre le

    crime et le

    pardon

    est

    une me

    belle

    . Hegel, dcrivant la scne

    o Marie-Madeleine

    verse un parfum

    prcieux

    sur les pieds du Christ,

    oppose

    la beaut

    de

    ce

    geste

    et

    de

    cette

    me

    la

    scheresse

    de

    coeur

    de

    Simon

    l ' intgre

    et

    la grossiret de

    l'esprit

    pratique des

    aptres

    : non

    seulement, dit-il,

    ils ne conoivent

    pasr

    la beaut

    de

    la

    situation,

    mais

    ils profanent

    le

    saint panchement d'un

    cur

    aimant :

    pourquoi

    vous

    souciez-vous d'elle, dit

    Jsus,

    elle

    a fait pour moi

    quelque

    chose de

    beau

    ;

    et

    c'est

    l,

    souligne Hegel,

    la seule

    circonstance

    dans l'histoire de Jsus

    o

    il soit parl de beaut...

    (40>. Mais

    si

    l'amour

    chrtien

    est

    beau,

    si le Christ manifeste la beaut

    et

    la

    suscite dans

    ceux qui l'aiment, cette beaut

    cependant

    est, comme

    on le voit,

    trs

    diffrente de

    la

    beaut grecque, elle est celle d'une

    spiritualit

    retire

    en

    elle-mme

    et

    qui

    en

    fin

    de

    compte

    ne

    laisse

    rien subsister

    d'extrieur. Cette

    diffrence apparat

    nettement

    dans

    la

    description

    par

    Hegel

    de la

    dernire

    Cne,

    propos de laquelle

    il esquisse

    une

    comparaison avec

    le

    culte

    antique.

    Les adieux de

    Jsus

    ses amis

    sont, dit-il,

    un festin

    de l'amour

    (41) et

    ce

    sont

    les

    limites

    mmes de

    l'amour

    en tant qu'il

    se veut seulement

    esprit et

    Ibid., p. 65.

    ( ) Ibid.,

    p.

    70.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    24/30

    244

    Jacques Taminiaux

    sentiment

    et se garde de s'unir

    une

    objectivit, qui marqueront les

    limites de

    la

    communion

    et

    l'empcheront d'tre un acte

    proprement

    religieux,

    au

    sens

    que Hegel

    ce

    moment

    donne

    ce

    mot

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    25/30

    La

    pense esthtique du

    jeune

    Hegel

    245

    le

    sentiment

    vivant

    reste

    seul prsent ...

    La

    chose

    et

    le sentiment,

    l'esprit

    et la ralit ne se

    mlent

    pas

    ;

    l'imagination

    ne

    peut

    jamais

    les

    rassembler

    dans

    une mme

    beaut

    ...

    Il

    reste

    toujours

    deux

    ordres de ralits prsentes, la foi

    et

    la chose, le recueillement

    et la

    vue ou le got ;

    pour

    la

    foi,

    c'est

    l esprit

    qui est

    prsent

    ;

    pour

    la

    vue

    et

    le

    got

    le pain

    et

    le

    vin

    ;

    il

    n'y a

    pas

    de conciliation

    possible

    entre eux. L'entendement et

    le

    sentiment se

    contredisent

    ;

    l imagination, dans laquelle tous deux

    existent et

    se trouvent

    supprims,

    n'y

    peut

    rien ; elle ne

    peut

    produire aucune figure o l'intuition et le

    sentiment

    s'uniraient. Dans un Apollon,

    dans

    une

    Vnus,

    on peut

    sans doute oublier

    le

    marbre, la pierre fragile, et ne retenir dans

    l'intuition

    de sa forme que l'lment

    immortel ;

    on

    est pntr du

    sentiment

    d'une

    jeune

    force

    ternelle,

    on

    est

    pntr

    d'amour.

    Mais

    si

    l'on

    rduit en poussire

    la

    Vnus

    ou l'Apollon, et

    si l'on dit

    :

    ceci est Apollon, ceci est Vnus,

    j'ai

    bien la poussire devant moi

    et l'image des divinits en moi, mais la poussire et la ralit

    divine

    ne

    peuvent plus se

    runir en

    un tout.

    Devant l'Apollon rduit en

    poussire, il ne reste

    plus

    qu' mditer, mais la

    mditation

    ne

    peut

    s'adresser

    la

    poussire

    ; la

    poussire peut faire souvenir de

    mditer, mais non

    orienter la

    mditation vers elle ; il

    nat

    un regret :

    c'est le sentiment d'une

    scission,

    d'une

    contradiction...

    f46).

    Hegel pense que

    cette

    contradiction

    est

    essentielle

    au

    christianisme

    et aprs avoir montr

    que le

    Christ n'avait

    pas

    voulu

    sacrifier

    sa

    beaut

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    26/30

    246

    Jacques

    Taminiaux

    trois

    moments de l'histoire de l'art dans les Leons

    d'Esthtique.

    Ne

    trouvons-nous

    pas

    dans la description du judasme, et

    plus

    particulirement

    dans

    la

    description du temple

    juif,

    la

    prfiguration

    de l'ide du symbolisme, avec la distance

    infinie

    qui spare

    un contenu dmesur d'une forme impuissante le

    signifier et qui

    n'est somme

    toute

    que le signe ngatif de son caractre sublime

    ?

    Que

    trouvons-nous dans la description du

    culte

    antique

    et

    du

    sacrifice aux dieux de marbre sinon l'ide d'une harmonie entre les

    facults

    subjectives et objectives au

    contact

    de la fusion entre le

    contenu

    sacr

    et la

    forme

    sculpte ? N'est-ce point dj la

    dfinition

    de l'art

    classique comme

    religion de l'art

    ? Enfin ne

    trouvons-nous

    pas

    dans le

    tableau qui

    nous

    est

    donn

    du

    christianisme

    l'ide d'un

    dpassement du

    moment

    sensible vers la

    pure spiritualit,

    ide qui

    caractrisera l'art romantique dans l'esthtique hglienne de la

    maturit

    ?

    D'une manire gnrale, les textes de Francfort se

    distinguent

    de ceux de Tubingen et de

    Berne

    par

    le

    fait

    que

    la Grce

    n'y joue

    plus

    tout fait le rle d'une norme

    absolue et

    que simultanment

    s'ouvre par rapport

    elle

    le

    double

    horizon d'un pass et d'un

    avenir.

    La Grce n'est

    plus norme

    absolue.

    Nous

    voulons dire par l

    qu'elle

    ne

    cumule plus

    toutes

    les valeurs

    spirituelles.

    Sans

    doute

    demeure-t-elle,

    et

    pour toujours, la plus haute

    manifestation

    du

    beau, en

    tant

    que

    conciliation

    harmonieuse du divin et du sensible.

    Mais

    il apparat que le christianisme n'est

    plus

    seulement dchance

    par rapport

    elle, qu'il participe

    lui

    aussi

    la beaut et

    la vrit,

    et

    rpond lui aussi

    sa

    manire au

    besoin

    authentique

    d'absolu qui

    vise

    penser

    comme

    lis

    le sujet et l'objet, la libert et la nature,

    de

    telle sorte

    que

    la

    nature soit libert, que le

    sujet et l'objet ne

    soient

    pas sparables

    (49).

    Loin

    d'tre dchance par rapport

    l'hellnisme, le christianisme prsente mme

    sur

    celui-ci

    l'avantage

    de

    ne plus

    apporter

    seulement une conciliation

    immdiate mais

    d'tre

    la fois douleur et harmonie,

    opposition

    tragique et

    rconciliation. Bientt

    il

    ne s'agira

    plus pour

    Hegel de s'interroger sur

    le

    moyen de refaire la

    Grce,

    mais de penser le passage d'une

    premire unit immdiate une

    unit

    plus haute travers le

    dchirement

    et

    la contradiction dont le christianisme

    est

    charg.

    En

    d-

    Ibid.,

    p. 138. Cf.

    galement

    p. 113.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    27/30

    La

    pense

    esthtique du

    jeune Hegel

    247

    crivant dans le

    Systemfragment

    la religion

    la

    plus haute comme une

    religion de la vie, en

    tant

    que synthse de l'opposition et de l'unit,

    Hegel

    montrera

    qu'il

    entend

    dsormais

    intgrer le

    christianisme

    dans

    une

    forme selon

    lui

    suprieure qui est

    ce

    moment

    la religion de la

    vie

    infinie et qui deviendra

    le savoir

    absolu. Par l la

    voie sera

    fraye

    vers la hirarchie ascendante de l'esprit absolu : art, religion,

    philosophie,

    qui

    sera explicite

    ds

    les

    crits

    d'Ina.

    Par

    cette prise de

    conscience

    naissante de la mdiation, une

    dialectique de l'art devient pensable et de fait, ds Francfort,

    nous

    en voyons natre les lments. L'obsession

    hellnique

    s'estompant,

    la

    rflexion

    de Hegel peut porter sur des arts antrieurs ou

    postrieurs

    l'art

    classique, comme il

    ressort galement de deux

    textes

    de cette poque, le premier consacr

    l'esprit oriental, le second

    l'esprit

    du moyen

    ge,

    dans lesquels il serait difficile

    de

    ne pas

    reconnatre

    l'indice d'une

    maturation autonome de la

    pense de

    l'art hglienne.

    S'efforcant de

    dfinir

    l'esprit oriental,

    Hegel crit

    :

    ...

    Parce

    que le monde

    lui

    apparat comme

    une

    collection de ralits

    et

    celles-ci

    dans

    leur

    forme nue

    comme de purs opposs, il doit

    pour

    les relever de leur

    indigence ncessairement

    chercher y suppler

    par un brillant

    tranger

    et

    emprunt

    qui manque

    leur contenu

    propre.

    L'oriental

    pare

    toujours

    la

    ralit

    l'aide

    de

    l'imagination,

    il habille chaque chose en image.

    Ces

    images d'ailleurs sont aussi

    des

    images de ralits, une pauvret

    ne

    semble

    pas

    devoir confrer

    d'autres pauvrets un brillant

    quelconque,

    mais elles deviennent

    potiques

    une

    fois lies

    entre

    elles ... La magnificence de leurs

    images plonge dans

    l tonnement,

    l'clat

    de leurs

    images

    est

    aveuglant, mais c'est

    justement

    parce

    qu'on

    ne

    peut

    rien

    demander

    la

    splendeur

    de

    cette objectivit

    que l'on en est

    aveugl

    ;

    l'amour

    n'ayant

    pas

    servi de

    lien,

    la sensation en sort avec les mains

    vides,

    et

    les joyaux, les

    perles

    de l'esprit oriental,

    sont d'une

    beaut

    sauvage

    et

    dmesure...

    (50).

    Dans le

    second fragment,

    Hegel

    traitant des

    romans

    de

    chevalerie , dit que ce sont

    des

    romans de l'intriorit individuelle

    et

    de

    l'amour qui retracent

    une

    action seulement

    singulire, une

    aventure

    romantique

    .

    L'art, dit-il,

    qui rend prsent ces

    amours,

    ces faits

    romantiques

    et ces figures

    historiques

    ne peut par

    la

    forme confrer

    au

    HoFFMEISTER, p. 257 sq.

    (fragment que

    Hoffmeister date de 1799).

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    28/30

    248

    Jacques Taminiaux

    contenu ce qu'il a

    d'essentiel :

    savoir

    qu'il

    n'a pas

    de

    prsent,

    mais qu'il est absolue nostalgie

    (51).

    Ces

    deux

    fragments,

    d'ailleurs indpendants

    de

    la

    problmatique religieuse,

    prfigurent

    sans conteste les analyses de

    l'art

    symbolique

    et

    de l'art romantique

    dans

    les

    crits

    de

    la

    maturit.

    Lorsque

    Hegel

    tablira

    la

    division

    triadique de l'histoire de l'art,

    il

    lui suffira

    donc d'expliciter

    et

    de

    structurer

    les schemes que comportent dj

    les crits de Francfort.

    *

    De

    la passion

    de l unit immdiate

    la lecture

    patiente

    des

    mdiations,

    de

    l'histoire

    fige

    l'histoire ouverte,

    nous

    avons

    vu

    la

    pense

    esthtique

    du jeune

    Hegel

    progresser

    par dissociation,

    mais

    constamment anime par

    une

    exigence d unit et de totalit.

    Dans

    un premier

    moment

    cette exigence s'accrochait

    la Grce

    conue comme le

    monde de

    la

    vie,

    de la vrit,' de l'harmonie.

    Toutes

    autres

    formes

    que

    la Grce

    taient alors nies. Aprs elle,

    point de cit juste, point de religion humaine, point

    d'art

    vritable.

    Dans

    un second moment, le

    refus

    cde

    la

    place

    la

    comprhension du

    cours

    du

    monde

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    29/30

    La pense

    esthtique du

    jeune Hegel

    249

    Que

    l'art, pour le jeune Hegel, manifeste

    l'absolu,

    cela ressort

    nettement de la liaison troite qu'il

    tablit

    entre l'art et la Grce.

    Car

    justement

    la Grce commence

    par

    tenir

    lieu

    pour

    lui

    d'absolu

    ralis.

    Dans

    la vie grecque, l unit du sujet et de l'objet, de la

    libert et

    de

    la nature,

    de l'universel

    et du particulier,

    se

    trouve

    effectue, et

    l'art

    grec est l'expression de

    cette unit. Ce

    motif

    fondamental semble

    inscrit ds

    le dbut

    dans la

    mditation de

    Hegel,

    il va parcourir toutes les rflexions de jeunesse

    et il

    est

    significatif

    que

    le

    Systemfragment, qui

    clture

    en quelque sorte

    les

    crits de

    cette priode, insre une analyse de l oeuvre

    d'art

    dans une analyse

    de la religion absolue. Alors

    que

    celle-ci y est dfinie comme

    l'lvation

    de

    la

    vie finie

    la

    vie

    infinie

    dans

    le dpassement

    de

    l'antinomie de l'objet et du sujet, il apparat

    que

    l'uvre

    d'art,

    en l'occu-

    rence le temple, contribue

    elle

    aussi oprer ce dpassement.

    Tous

    les peuples, y est-il dit, ont ador soit dans un temple, soit

    en

    un emplacement

    dtermin, en

    un lieu

    sans

    forme.

    Mais

    ce

    pur

    oppos,

    cette pure objectivit, ce pur

    lieu,

    ne

    doit pas

    ncessairement rester dans cette incompltude de la totale objectivit ; il peut,

    comme tel, c'est--dire dans son existence objective, retourner par

    la

    forme

    la subjectivit mme ...

    L'objectivit

    spatiale

    pure

    fournit

    un point

    d'union

    pour un grand nombre,

    et

    lorsque, par

    surcrot,

    cette

    objectivit

    reoit

    une

    forme,

    elle

    devient

    en

    mme

    temps,

    ... grce

    la

    subjectivit qu'on lui a adjointe, une objectivit non

    plus relle, mais simplement

    possible

    ... Ici l'tre infini qui remplit

    l'incommensurabilit de l'espace se trouve en mme temps en un

    lieu dtermin

    (53).

    Objectivit devenue subjective grce la

    forme,

    habitacle de l'infini, c'est bien l'absolu

    que manifeste

    l oeuvre d'art.

    Que

    l'art

    cependant

    ne soit point adquat l'absolu

    et

    n'en soit

    que la

    manifestation sensible,

    c'est l

    une

    ide qui n'apparatra

    qu'avec la dialectique, et quand aura

    pris forme

    la conception

    de

    l'absolu comme devenir.

    Cette

    ide implique autant un devenir de

    l'art

    qu'un

    dpassement

    de

    l'art. Si

    l'on

    admet

    que

    la dialectique

    commence

    se

    former

    travers les crits de Francfort, on ne

    sera

    pas

    tonn d'y rencontrer

    la pense naissante d'un

    devenir de l'art.

    Si l'on admet en

    outre

    que la premire

    oeuvre hglienne,

    celle

    par laquelle

    Hegel

    quitte

    l'obscurit

    de la maturation pour le

    jour

    de l'histoire

    des ides, est

    tout autant

    sinon

    plus un

    expos

    de sa

    philosophie que de celle de Schelling, on ne sera

    pas

    tonn davan-

    < > Nohl, op.

    c.,

    p. 349.

  • 7/25/2019 A Esttica Do Jovem Hegel

    30/30

    250

    Jacques Taminiaux

    tage d'y rencontrer l'ide d'un dpassement de

    l'art.

    La

    suprme

    perfection

    esthtique,

    telle

    qu'elle se forme

    dans

    une

    religion

    dtermine,

    o

    l'homme

    s'lve

    au-dessus

    de

    toute scission,

    et

    voit

    la libert du

    sujet et

    la

    ncessit

    de l'objet

    disparatre

    dans le

    royaume de la grce,

    n'a

    pu tre efficace que

    jusqu'

    un

    certain niveau

    de culture, et dans la barbarie

    commune

    ou populaire. En

    progressant, la culture

    s'est

    spare d'elle par scission...

    (54).

    Il y

    a donc bien une gense concrte de l'esthtique

    hglienne.

    Dj

    la

    simple

    lecture des crits

    de

    jeunesse suffit

    dmontrer

    que,

    pas

    plus

    que

    le

    reste du systme, elle n'est issue de la filiation Kant-

    Fichte-Schelling,

    qui

    en

    serait

    la gense

    idale.

    Indpendamment

    du fait que

    Hegel a

    lu

    fort

    tard la

    Critique

    du Jugement, il est vident

    que

    ses

    premires

    conceptions esthtiques

    ne

    sont

    pas

    kantiennes,