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Machiavel et nous

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MACHIAVEL ET NOUS

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PORTRAIT DE NICOLAS MACHIA VEL PAR SANTI DI TITO. FLORENCE Photo Alinari

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LOUIS DE VILLEFOSSE

MACHIAVEL ET NOUS

EDITIONS BERNARD GRASSET 61, RUE DES SAINTS-PÈRES, VI

PARIS

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CET OUVRAGE A ÉTÉ TIRÉ SUR ALFAX NAVARRE DANS LE FORMAT IN-8° ÉCU.

IL A ÉTÉ TIRÉ EN OUTRE: QUINZE EXEMPLAIRES SUR VÉLIN PUR FIL LAFUMA NAVARRE, NUMÉ-

ROTÉS VÉLIN PUR FIL I à 10 ET I à V.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays,

y compris la Russie. Copyright by Editions Bernard Grasset 1937.

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A JANINE EN SOUVENIR DE FLORENCE

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A V A N T - P R O P O S

C

'EST UN SEJOUR EN ITALIE qui m'a donné l'idée de ce livre. Je fus frappé par la Place que Machiavel y tenait encore dans la vie intellectuelle; chez nos voisins, il ne se passe guère

d'années sans que de nouveaux volumes lui soient consacrés. Il m'a semblé que le grand Florentin n'occupait pas chez nous le rang qui lui revient dans l'histoire de la pensée universelle. Il faut bien dire qu'en France, on ne sait guère de Machiavel que le nom et les mots qui en sont dérivés, couram- ment utilisés dans un sens péjoratif; on connaît aussi le titre du Prince, parfois on l'a lu; on ignore en général le monument de sagesse politique que représentent aussi les Discours. L'honneur auquel il pourrait tout au Plus prétendre est d'être admis au rang des classiques, ce qui n'est pas un succès de curiosité.

Il serait injuste de méconnaître la contribution éminente apportée à la connaissance de Machiavel dans notre pays par les ouvrages de Charles Benoist, dont les deux plus importants ne parurent qu'à la veille de sa mort. L'un, qui contient de nombreux morceaux choisis, présente en outre un tableau des

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institutions et des mœurs politiques de Florence, il situe dans cette ambiance l'existence quotidienne du Secrétaire de la République avec un luxe de détails et une minutie qui pourraient difficilement être dépassés; l'autre, le dernier, est une étude très nour- rie du foisonnement de littérature pro et antimachia- vélique du passé, et des diverses écoles italiennes de politique qu'on peut rattacher plus ou moins au machiavélisme.

Par ailleurs on doit à M. Gautier-Vignal un Machiavel qui est une biographie abondamment circonstanciée; on y trouve une foule de précisions non seulement sur sa vie et ses légations, mais Plus encore peut-être sur les événements politiques et mili- taires si compliqués dont la Péninsule fut le théâtre sous la Renaissance; par contre s'il nous renseigne sur la couleur des cheveux de François I et la « fistule à cinq trous » dont fut affligé Léon X, il nous apporte à mon sens infiniment moins d'éclair- cissements sur la doctrine et la portée de la doctrine de son héros, qui laisse, ne l'oublions pas, le nom bien Plus d'un penseur que d'un homme d'action.

Le présent travail s'est orienté dans une direction différente de celle de ces deux auteurs et répond à d'autres préoccupations. La vie véritable d'un écri- vain, philosophe ou politique, à ses propres yeux et à ceux de la postérité, c'est à mon avis son œuvre; ce qui lui confère l'immortalité, c'est le fait que ses

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idées ont toujours une valeur actuelle. Sinon, il ne constitue qu'un jalon, un jalon dépassé, sur la route des découvertes de l' esprit. Et la meilleure façon de servir sa gloire, ce n'est pas de retracer sa vie par une accumulation de petites touches précises, fussent- elles du plus gran intérêt pittoresque ou historique; ce n'est même pas de se livrer à de savantes exégèses sur ses ouvrages ou ceux de ses commentateurs du passé. Si Aristote ne peut plus donner lieu qu'à des recherches d'un caractère hermétique sur des discus- sions d'école au moyen âge, si vraiment il n'y a Plus de pensée vivante à en tirer, alors Aristote est mort. Si Darwin au contraire, aide encore à la compréhen- sion du monde des êtres animés, s'il donne toujours à la science une orientation féconde, il mérite d'être médité; mais il ne nous sert de rien de connaître ses préférences culinaires ou de recueillir pieusement et par le menu toutes les anecdotes touchant sa vie domestique. Ce qui importe bien plutôt, toujours à mon sens, c'est d'exposer — après une biographie à grands traits expliquant comment il fut amené à composer son œuvre — quelles furent ses découvertes fondamentales et ses conclusions, quel genre de cri- tiques elles ont pu susciter; en quoi les découvertes faites après lui, ou les faits auxquels il put ne pas songer, confirment cette œuvre; et par suite quelle portée scientifique et philosophique on est encore en droit de lui attribuer.

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J'ai suivi pour cet ouvrage un processus analogue. Je n'avais ni les moyens ni l'intention d'apporter du nouveau sur un auteur qui a été commenté, fouillé, retourné dans tous les sens pendant des siècles. Je n'ai pas songé à des critiques de textes ou à des recherches biographiques inédites; j'ai voulu dégager une momie de ses bandelettes, la disputer au scalpel de l'érudition et la mettre au soleil de l'actualité pour voir si elle parlerait. Des réalités vivantes, sai- gnantes, éternelles, voilà ce que j'ai demandé à ce grand cadavre tant disséqué.

Je dois une autre confession au lecteur. J'ai lu l'essentiel de ce qui a été écrit sur Machiavel depuis deux ou trois générations, en Italie du moins. Mais je ne me suis pas plongé dans le fatras en grande partie pamphlétaire qu'ont suscité ses doctrines au lendemain de sa mort. Et c'est seulement après avoir écrit mon rapprochement entre les maximes de l'au- teur du Prince et les procédés dont usèrent les Jésuites à certains moments de l'histoire, que j'ai appris à la lecture de Charles Benoist comment les contemporains des faits en question avaient traité de disciples de Machiavel les disciples de saint Ignace. De même, je me suis quelque peu étendu sur les

I. Toutefois on trouvera à la fin de l'ouvrage (en appendice pour ne pas l'alourdir) un essai de systématisation cohérente des doctrines éthiques et politiques de Machiavel, et aussi de ce qui constitue plus spécialement le machiavélisme, ce qui croyons-nous n'avait jamais été fait en France.

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parentés qu'on peut relever entre certains principes d'action bolchevistes et les doctrines machiavéliques avant d'en trouver par ailleurs une confirmation. J'ai aussi esquissé une confrontation avec Richelieu sans me demander si la chose avait déjà été faite. Quant à la question de savoir si le Grand Cardinal a comme on l'a dit pratiqué effectivement Machiavel, je n'en méconnais pas l'intérêt, mais elle n'est pour moi que secondaire. Je recherche seulement si les grandes réussites politiques peuvent se passer de ma- chiavélisme, que celui-ci soit issu ou non de la lec- ture de son auteur; si ses enseignements ont force de loi historique, ce qui a été tellement contesté; et aussi si le Prince et les Discours sont encore capables de jeter des lumières sur le temps présent, qui paraît, bien plus qu'aucun autre, dominé, écrasé pourrait- on dire, par la politique.

Dans un récent article des Nouvelles Littéraires, M. Jacques de Lacretelle se demandait quels écri- vains comprendraient le mieux notre époque et en parleraient pertinemment. « Ce que j'appelle notre époque, dit-il, c'est hélas la mésentente entre les nations aussi bien qu'entre les classes...; c'est la psychose de guerre qui hante toutes les cervelles et la régression de la raison à peu près dans tous les domaines... C'est une question que je pose à ceux qui, tout en étant préoccupés par l'actualité vivent encore un peu avec les bons esprits d'autrefois. Quel est

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l'écrivain qu'ils aimeraient à rappeler devant eux afin de connaître son jugement sur les événements contemporains? Quel est celui qu'ils introduiraient le plus volontiers dans leurs conversations quoti- diennes sur le bouleversement social et les des- tinées de l'Europe? »

Et l'auteur de l'article élimine pour commencer les doctrinaires nourris des formes classiques et des leçons de l'histoire, les têtes politiques ou philoso- phiques dont il estime les systèmes dépassés par les événements. Aussi ne cite-t-il pas notre auteur. Mais un homme qui ne se perd pas dans les abstractions doctrinales, j'ai nommé Mussolini, a posé, comme nous le verrons, la question de l'actualité de l'auteur du Prince. C'est ce qui m'autorise à penser qu'il n'est pas évident que Machiavel ait vieilli et soit à remiser dans les bibliothèques avec les classiques dont on ne regarde que le titre, avec respect, et la reliure, avec amour. En un mot, établir ce qui dans la pensée de Machiavel correspond aux nécessités d'aujourd'hui et de toujours; faire le triage de l'an- tique, du médiéval et du florentin pour ne retenir que ce qui appartient en propre à tous les temps, voilà quel a été mon dessein. Si ce Plan est trop ambi- tieux, me permettra-t-on de prendre à mon compte ces paroles de notre héros :

« Et si ma pauvre intelligence, mon peu d'expé- rience des choses présentes et ma faible information

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des anciennes rendent cette entreprise défectueuse et sans grande utilité; elles ouvriront au moins la voie à quelqu'un qui avec Plus de vigueur, de talent et de jugement pourra satisfaire à mon intention... che con più virtù, più discorso e iudizio, potrà a questa mia intenzione satisfare... »

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C H A P I T R E P R E M I E R

VIE ET ŒUVRES DE MACHIAVEL

N

ICCOLÒ MACHIAVELLI EST NÉ en 1469 à Florence, et c'est là qu'il repose, dans l'église de Santa-Croce, entre les mausolées de Galilée et de Michel-Ange, à quelques pas de la

statue de Dante... Quatre noms qui suffiraient à justifier le mot de Renan : « Florence qui, après Athènes, a fait le plus pour l'esprit humain. »

La vie de Machiavel coïncide avec l'époque la plus glorieuse de sa ville natale; c'est aussi l'âge noble de l'Italie et sans doute la période la plus dense et la plus exaltante de l'histoire. Dans cet espace restreint de temps qui englobe la Réforme et la découverte de l'Amérique, un extraordinaire frémissement de génie se localise autour de Flo- rence. De cette cité par ailleurs plus riche d'or que de vastes royaumes, de tous les villages de cette terre toscane qui deux cents ans auparavant avait vu naître Dante et Giotto, jaillit une nouvelle pous- sée de sève artistique, une incomparable floraison de chefs-d'œuvre, qui déconcerte encore les sa-

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vants. Epoque d'une vitalité si puissante et en même temps si contradictoire, qu'un seul mot peut la définir : intensité. Une fièvre étrange contracte les muscles, aiguise les profils et les regards, con- sume les chairs et les âmes de passions opposées; le visage même de Florence est fait de ces contrastes qui composent sa mystérieuse unité : on y trouve les traits de la volupté ou de la force, tout ce qui est mou ou vulgaire en est absent. La ville au nom fleuri, baignée par le doux fleuve Arno, entourée de collines et de jardins, est encore hérissée de tours agressives; ses palais tout neufs, couronnés d'élé- gantes loggias, offrent au dehors sur presque toute leur hauteur une surface aride et rugueuse. La mystique la plus tendre et la plus farouche couve à l'ombre des cloîtres cependant qu'on exhume les Apollons et les Aphrodites et qu'on adore la beauté toute nue. Les artistes sont délicats jusqu'à l'exquis, violents jusqu'à la férocité; l'érudition austère voisine avec l'orgie effrénée. La vie domes- tique est devenue aimable et somptueuse, le lan- gage orné; on collectionne avec goût, on devise de poésie et d'amour; et l'on empoisonne et l'on égorge comme aux heures les plus sombres du moyen âge.

Florence n'est pas seulement un foyer d'art et d'intellectualité, c'est un champ de bataille où se haïssent et se déchirent les grandes familles et

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leurs clients. Le désordre politique, à la fin du XV siècle y est à son comble; et au dehors l'Italie, plus divisée que jamais, est le théâtre d'événe- ments d'une complication extrême que vient en- core aggraver la descente des armées françaises. Il est facile de comprendre comment dans ces condi- tions put se former la sensibilité politique du jeune Machiavel, faite si l'on veut de trois éléments : un enthousiasme d'humaniste pour les écrivains et les historiens de cette antiquité qui vient d'être re- mise en plein jour; une curiosité passionnée pour le mécanisme des luttes contemporaines entre les hommes, les partis, les États; enfin un mouvement de son cœur au spectacle tragique de l'Italie « sans chef; sans ordre, battue, dépouillée, déchirée, pié- tinée ».

Que savons-nous de ses premières années? Pas grand'chose. Sa famille était de petite bourgeoisie teintée de noblesse et remontait même jusqu'au XI siècle; elle avait compté des prieurs et des gonfaloniers de Florence. Son père était un petit homme de loi mais n'était pas dans la gêne; il est probable qu'il lui fit donner dès son enfance une solide éducation littéraire. Niccolô lut certaine- ment Dante avec passion; sans être parmi les plus érudits de son temps, il apprit à manier le latin aussi bien que sa langue maternelle. Quant aux événements de sa jeunesse, nous ne pouvons en

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restituer que le cadre. Il y a dans l'histoire de sa vie une lacune qui va de son acte de baptême jus- qu'à son élection à la Secrétairerie. Cette lacune, ses biographes ont coutume de la combler avec deux épisodes célèbres de l'histoire de Florence, auxquels il participa en qualité de spectateur tout au plus, la conjuration des Pazzi et la tragédie de Savonarole.

Machiavel avait neuf ans au moment de la con- juration des Pazzi. On peut imaginer ce gamin mêlé à la populace ameutée sous les murs du Pa- lazzo Vecchio, regardant se balancer aux fenêtres les cadavres des assassins de Julien de Médicis. Un de ces spectacles qui s'inscrivent en traits de feu dans la mémoire d'un enfant et peuvent ne s'en effacer jamais. Le Vieux Palais de Florence est un des monuments les plus fiers qui soient; il dresse au cœur de la cité une masse de moellons à peine dégrossis, couronnée de créneaux, d'une rudesse terrible tempérée cependant par l'élégance de ses fenêtres aux fines colonnettes. De ce bloc une mince tour carrée s'élance à une hauteur vertigi- neuse, pour finir en s'élargissant comme la hune trapue d'un navire de guerre. Magnifique poème de tension virile, expression parfaite de Florence, de son génie aigu et complexe où le souci d'intel- lectualité, de beauté, d'harmonie, fuse intimement mêlé à un jaillissement de vigueur féroce, de pas-

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sion qui ne trouve sa discipline que dans la pierre. Peut-être, au pied de ces murs tachés de sang, témoins déjà séculaires de tant de colères, de haines, de contradictions, le petit Machiavel prit-il conscience du drame qui déchirait l'âme de sa Florence; peut-être au pied de cette tour sublime, se jura-t-il d'être le grand citoyen d'une grande ville et d'en redresser le destin; et lorsque plus tard, à ses retours de légations, il franchissait le seuil de ce même Palazzo Vecchio pour se rendre au Conseil des Dix, peut-être songeait-il chaque fois à la journée tragique qui avait frappé ses yeux de neuf ans. En tous cas, de cette conjuration des Pazzi il nous donna dans ses Storie Fiorentine une narration saisissante. Cette histoire est tout à fait dans le ton des mœurs politiques du temps; il n'est donc pas inutile de la résumer pour aider à l'intel- ligence de Machiavel et de son époque.

Un dimanche d'avril 1478, une bande à la solde de la famille des Pazzi se précipite sur Laurent et Julien de Médicis dans la cathédrale pendant la grand'messe. Le cardinal Riario qui officie fait partie du complot auquel son oncle le pape Sixte IV a donné son approbation; le signal du meurtre est donné par l'élévation.

Les conjurés ne réussissent qu'à tuer Julien; Laurent leur échappe; mais eux ne peuvent se soustraire à la fureur populaire et sont écharpés,

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massacrés, pendus; le vieux Jacopo dei Pazzi qui avait pu s'enfuir en Romagne est bientôt rattrapé, ramené à Florence, pendu lui aussi, enterré, puis déterré, traîné nu par toute la ville et jeté dans l'Arno.

Laurent de Médicis sort grandi de l'aventure. Sa popularité et son autorité sont maintenant telles qu'il devient le maître incontesté de Florence. Pendant quatorze ans il règnera sur la ville : règne glorieux qui lui vaudra le surnom de Magnifique et qui brillera aussi clair dans l'histoire que ceux de Louis XIV, d'Auguste ou de Périclès.

Règne éclatant, mais bref. En 1492 Laurent meurt; en 1494, son fils, l'incapable Pierre est chassé par un soulèvement du peuple qui profite du passage de Charles VIII. La vieille République de Florence est rétablie. Le moine Savonarole, ennemi des Médicis, tente d'en faire une démocra- tie ascétique et chrétienne, une communauté aussi pure qu'aux premiers temps de l'Église. Il lance du haut de la chaire l'anathème contre la corrup- tion, le luxe et le paganisme. D'interminables processions succèdent aux mascarades fleuries, aux triomphes renouvelés de l'antique; des bandes de gamins se jettent sur les jeunes femmes riche- ment vêtues, leur arrachent leurs dentelles et leurs bijoux, envahissent les palais, en enlèvent les livres précieux et les œuvres d'art profane qui

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finissent sur le bûcher. Machiavel assiste curieux et stupéfait à ce revirement de la foule et à l'em- prise toujours croissante de Savonarole sur elle. Nous savons, par une des rares lettres de sa jeu- nesse qui nous soient parvenues et par des allu- sions de ses ouvrages écrits plus tard, l'impression que lui fit le dominicain démagogue. Il le considé- rait comme politiquement nuisible, mais admirait son ascendant sur le peuple, son audace et sa « virtù dell'animo » qu'il jugeait cependant impar- faite parce qu'entachée d'ambition personnelle et d'esprit partisan. Quant à l'extraordinaire flamme spirituelle qui brûlait en Savonarole et qui l'a fait considérer comme un saint par des auteurs catho- liques, Machiavel ne semble pas en avoir été tou- ché. La mystique n'a jamais fait partie du cata- logue de ses valeurs, et la religion, comme nous le verrons, ne l'intéressait que par son aspect collectif, social, d'institution nécessaire à la conservation de l'Etat.

Peu à peu le vent change à Florence; le peuple dans sa majorité regrette le temps des Médicis; les factions mal assoupies se réveillent; un nouveau parti, celui des Arrabiati (les Enragés), se dresse contre Savonarole et les rixes sanglantes se suc- cèdent ; le moine peu à peu abandonné par ses par- tisans, poursuivi par les foudres d'Alexandre VI Borgia, finit en 1498 sur un bûcher dressé devant le

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Palazzo Vecchio, et ses cendres sont jetées dans l'Arno.

Quelques semaines plus tard, Machiavel est élu Secrétaire de la République. Sa jeunesse est finie; sa physionomie sort de l'ombre et entre dans la lumière de l'histoire. Il est difficile de trouver un équivalent moderne à ce titre assez imprécis de « Segretario fiorentino » sous lequel Machiavel devait accomplir de nombreuses missions diplo- matiques. Il suffit de dire que, jouissant d'une grande autorité auprès des différents Conseils plus ou moins éphémères qui détenaient le pouvoir, et de la confiance absolue du gonfalonier Pier Sode- rini, il fit de nombreux voyages pour le compte de la République auprès des cours étrangères, pour recueillir des informations, tâter le terrain et enga- ger des tractations. Dans cette vie mouvementée d'homme d'action si l'on veut et de diplomate avisé, mais surtout d'observateur avide et précis, il aiguise son sens politique; rien n'échappe à ses oreilles toujours tendues, à son regard qui plonge jusqu'au plus profond des consciences, à sa ré- flexion qui sonde le caractère des chefs et des peuples et compare la structure des États. Ses rapports à la République sont de merveilleux por- traits des hommes et des choses, et deviennent bientôt des relations plus synthétiques où se for- mulent les fruits de son expérience, où l'on re-

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ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 10 SEPTEMBRE 1937 PAR L'IMPRIMERIE FLOCH A MAYENNE (FRANCE).

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