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Organisation: Renato Veras - crde-unati.uerj.br · Présentation † 7 Fausse Cible: en défense des fumeurs † 9 Luiz Antonio de Castro Santos Sur les humiliés visibles et invisibles:

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2 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

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Organisation: Renato Veras

Rio de Janeiro, 2010

1ére edition

Risques pour la santé:fumée ambiante du tabac – lespoints de discussion

OrganisationRenato Veras

EditionCecilia Leal/Conexão Gravatá

Illustration de la couvertureAna Oliveira/Conexão Gravatá

RévisionFausto Rêgo

Traduction/françaisHortensia Fleury Salek

Traduction/anglaisTaís L. Oliveira

ISBN 978-85-87897-23-7

Première edition, Rio de Janeiro, 2010

R595 Risques pour la santé: fumée ambiente du tabac - les points de discussion/ Geoffrey C. Kabat, Lucien Sfez, Luiz Antônio de Castro- Santos …[et al.]; organisateur Renato Veras; traduction dês Hortensia Fleury Salek. – Rio de

Janeiro: Uerj, Unati, 2010.

66 p. : il

Titre original: Risco à saúde: fumaça ambiental do tabaco – pontos paraum debate.

ISBN 978-85-87897-23-7

1. Tabac. 2. Évaluation des risques pour la santé - les aspects sociaux. 3. La santé environnementale. I. Kabat, Geoffrey C. II. Sfez, Lucien. III. Castro- Santos, Luiz Antônio de. IV. Veras, Renato. V. Titre.

CDU 663.974: 504.05

Présentation • 7

Fausse Cible: en défense des fumeurs • 9Luiz Antonio de Castro Santos

Sur les humiliés visibles et invisibles: un rêve lucide de la réalité • 21Nelson F. de Barros

Sur le risque et le danger social — La loi anti-tabac en question • 25Joel Birman

En défense des accomplissements, non pas du style,

du Mouvement Antitabac: réponse au texte

«Fausse cible: en défense des fumeurs» par Luiz Castro Santos • 31Geoffrey C. Kabat

Où il y a de la fumée, il y a de la déviation • 39Josué Laguardia et Sérgio Carrara

Commentaires • 45Lucien Sfez

Ce n’est pas toujours vrai • 49Renato Veras

Dialogues et débats entre les Sciences Sociales et l’Epidémiologie:la rhétorique du risque • 55Alba Zaluar et Luiz Antonio de Castro Santos

Risques pour la santé:fumée ambiante du tabac– les points de discussion

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Présentation

En avril et mai de cette année, les premiers pas d’un débat d’urgenceont été pris par des professeurs de l’Instituto de Medicina Social da Universidadedo Estado do Rio de Janeiro (IMS/UERJ) [Institut de Médicine Sociale del’Université de l’État de Rio de Janeiro], une initiative dirigée par le Prof. LuizAntônio de Castro Santos au sujet de

“La Fumée Ambiante du Tabac”. A notre grande surprise, plusieursprofesseurs se sont vivement manifestés par e-mail, en exposant leurs pointsde vue sur ce sujet, assez polémique. Le ton récurrent des manifestations a étésurtout de ne pas accepter des “vérités absolues”, ni des répétitions de clichésou des évidences scientifiques partiales. Les certitudes et les positions definitivesont été rares. Ainsi, le chemin pour l’amplification du débat a été préparé eton y reviendra, après la présente publication, au deuxième semestre 2010.

L’Instituto de Medicina Social a toujours respecté sa tradiction de proposerdes thèmes de première importance en ce qui concerne la santé collective. Danscette chaleureuse discussion, via internet, caracterizée par la spontanéité, nousavons observé que la plupart des opinions ne se montrait pas de façonpéremptoire relativement à ce qu’on a convenu d’appeler de “fumée passive” –expression qui, elle aussi, donne lieu, au Brésil, à des controverses et à unvaste débat. En vérité, il se révélait là, plutôt une recherche pour, encore plus,de conversations et d’informations. Encore une autre particularité de l’IMS, detoujours embrasser et discuter les questions polémiques de santé collective.

La constatation de l’intérêt grandissant pour le débat a poussé CastroSantos à demander à la direction de l’IMS un séminaire pour discuter le thème.Pour le coup d’envoi , il a envoyé un texte provocateur et instigateur pour quetous prennent contact avec sa vision sur le sujet, à partir d’une démarche dessciences sociales. C’est ce point de vue qui, en lignes générales, se présente auxlecteurs dans le texte d’ouverture de cette publication. La semence était jetéepour un fructueux échange d’idées qui aura lieu dans un futur proche, précédé

Risques pour la santé: fuméeambiante du tabac – les pointsde discussion

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d’une bonne divulgation. Le document ci-joint ne groupe que quelques penséesdes professeurs de la maison et de quelques invités qui ont bien voulu “échauffer”la discussion, en présentant leurs premières impressions, avant la réalisationdu séminaire.

Le point de départ est certes le texte de Castro Santos auquel tous lesparticipants ont eu accès, pour faire leurs critiques et leurs commentaires, afind’approfondir le thème ou simplement pour offrir d’autres contributions à ladiscussion.

L’Universidade Aberta da Terceira Idade (UnATI) [Université Ouverte duTroisième Âge] a été invitée, par l’entremise du Prof. Renato Veras, son directeur,médecin et également professeur de l’Instituto de Medicina Social. Récemment,Veras a édité un livre du chercheur américain Geoffrey C. Kabat, qui se dédie àdes études épidémiologiques sur les possibles risques provoqués par les champsélectromagnétiques, par le radon et par la “fumée passive”, entre autres questionspolémiques et cruciales pour le débat publique sur l’intervention de l’État dansla santé publique. Au fait, Kabat a accepté de participer et de contribuer auxdébat en tant qu’invité et expert dans le domaine de l’épidémiologie du cancer.

Nous savons que de nombreux collègues n’ont pas eu la possibilitéd’envoyer ses articles pour cette sélection de textes. Toutefois, comme le butn’est pas d’exclure aucune position, les auteurs de ce document sont persuadésque, pendant le séminaire prévu, d’autres professionnels du secteur de santécollective seront présents, sans doute, avec des contributions nouvelles etimportantes.

Juillet 2010

Les auteurs

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FAUSSE CIBLE: en défense desfumeurs1.Par Luiz Antonio de Castro Santos

• Luiz Antonio de Castro Santos

* Texte du philosophe GiorgioAgamben transcrit et traduitpar Arianna Bove, archivesen audio. La conférenced’ Agamben a eu lieu le 11novembre 2006, dans unséminaire à Venise organizépar l’ Uni.Nomad.

** Lucien Sfez, La SantéParfaite: Critique d´une nouvelleutopie. Paris: Editions du Seuil,1995, p. 62-63.

Luiz Antonio de Castro Santos(Guaratinguetá, SP, 1945) estsociologue et professeur associéde l’Instituto de Medicina Socialda Universidade do Estado do Riode Janeiro [Institut de MédicineSociale de l’Université de l’Étatde Rio de Janeiro]. Castro Santosdirige ses études sur les thèmesdes représentations,intellectuelles et de la viepublique, et sur les politiquessociales et de santé. Récemment,il a publié Saúde & História[Santé et Histoire] (ÉditeurHucitec, 2010), co-écrit avec LinaFaria.

1 Une version préliminaire a étépubliée par Contexts – un journalde l’Association Américaine deSociologie. (Volume 8, n. 2, Été2009: 72-74).

2 Vérifier le travail de MichelRosenfeld, “A Pluralist Theory ofPolitical Rights in Times ofStress”, Benjamin N. CardozoSchool of Law, New York, Travailn. 116 de 2005.

Lorsqu’une ville est atteinte par une peste, il est impossible d’en retirerses victimes. Au contraire, c’est plutôt le cas de créer un modèle desurveillance, contrôle et articulation des espaces urbains. Une grille(quadrillage, M.Foucault) s’impose sur le térritoire urbain surveillé pardes intendants, des médicins et des soldats. Ainsi, pendant que le lépreuxest rejeté par un mécanisme d’exclusion, la victime de la peste estemprisonnée, gardée, contrôlée, et guérie par un complexe réseau dedispositifs qui divisent, individualisent et, de cette façon, articulent aussil’éfficacité du contrôle et du pouvoir.

Giorgio Agamben*

Los Angeles, 1993. La Santé obsessive. On ne fume nulle part. [...] Onpeut fumer dans la rue, mais en se cachant, car c´est devenu honteux.[...] Le probléme du tabac n´est pas isolable de la question de la santéaux Etats Unis. Dans les classes moyennes upper et supérieures, celles quidonnent le ton, les conversations portent en grand majorité sur la santé,occupant le champ qu´en Europe on consacre à la politique

Lucien Sfez**

I. La construction d’un “comportement déviant”

Ceci est un bref éssai sur la production d’idéologies publiques quicherchent à contrôler ou même à bannir les configurations contemporaines dela vie sociale. L’idéologie peut être considérée une “conscience mystifiée”, dansla conception, bien connue, du philosophe polonais Leszek Kolakowski. Lessociétés, qui possèdent un sens profond des valeurs communautaires construitesau cours d’un long et distant passé, ont la tendance à produire des règles et desparamètres rigides, aussi bien que des idéologies qui démarquent des territoiresd’inclusion et d’exclusion. Le Communautarisme, un concept vennu de la vieilledistinction sociologique allemande entre communauté et société, aborde unensemble de valeurs et de règles de groupe qui souligne les liens communautairesà la place de la solidarité sociale.2 La vie sociale américaine est très puissante ence qui concerne les valeurs de “solidarité communautaire”. L’être social est lacommunauté, construite autour de valeurs et de pratiques religieuses, familialeset institutionnelles intériorisées et partagées par ses membres. Ceux qui mettenten question les formes établies d’organisation sociale sont, aussitôt, stimagtiséset discriminés, une fois qu’ils choisissent de quitter l’ethos communautaire etses sources d’identité de groupe.

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3 Joseph R. Gusfield, Symboliccrusade: Status politics and theAmerican TemperanceMovement. Urbana: Universityof Illinois Press, 1963.

4 David Wagner, The newtemperance: The Americanobsession with sin and vice.Boulder, Colorado: Westview,1997; Randall Collins,Interaction ritual chains.Princeton: Princeton UniversityPress, 2004.

5 Jeffrey A. Miron,Libertarianism, from A to Z.Basic Books, 2010.

6 À l’origine, «barefootdoctors» étaient les «médecinsaux pieds nus», ainsi nommésen Chine à l’occasion descampagnes sanitaires promuespar Mao Tse-Tung. À la rigueur,c’étaient des agentscommunautaires de santé, deformation technique etscientifique réduites.L’expression «barefoot research» n’est pas appropriée, car uneenquête menée rapidementn’est pas la même chose qu’untravail de visiteurs, qui peut-être tout à fait compétent etcrutial en ce qui concerne lessoins de santé primaires.

Il y a plus de cinquante ans, le sociologue Joseph R. Gusfield a discutéun très important produit des racines communautaires. Dans son étude,maintenant un classique, Gusfield décrit les femmes des “croisades” duMouvement Américain de Modération, à la fin du 19ème siècle, un mouvementsocial antialcool, inspiré par l’Église.3 En 1873, “un groupe de femmes, de Ohio,s’est assis en face des tavernes, à guise de protestation, en notant les noms desclients qu’y entraient” (interview de JG à Addiction, 2006 (101:481-490). Ellesprotestaient contre les “étrangers” à la communauté, les cibles de “l’obsessionanglo-protéstante sur le peché et le vice” chez les communautés paysannesaméricaines. Deux études récentes sur des rituels sociaux et des mouvements“antirituels”, aux États Unis, signalent la superposition de l’Union Chrétiennede Modération, de la Ligue Anti-bar et du Mouvement Anti-tabac dans lestemps du fondamentalisme chrétien.4

De 1920 à 1933, l’interdiction de l’alcool, par une Loi Fédérale, a aboutià la défense des valeurs puritaines du siècle passé et a conduit à des résultatsinattendus: la violence et la criminalité ont augmenté, aussi bien que laproduction dans le marché noir.5 En réalité, les mesures anti-tabac de la fin du20ème siècle, de même que les contemporaines, devraient être considérées unevirulente expression de l’ancien paradigme de “stigmatiser et bannir”, un typiquedétour de comportement. Mais, cette fois-ci, cette nouvelle ambiance de“Modération” est le résultat d’un amalgame de valeurs urbaines neopuritaines,de science et, malheureusement, de fiction. Des médecins spécialistes, desépidémiologistes et des autorités de santé publique, à la recherche d’une société“sans risques”, ont produit une combinaison explosive d’études scientifiquesavec des “barefoot research” (sic)6 – recherches sans fondements solides – cesdernières, conseillées par un des ex-dirécteurs du Programme de Contrôle duTabac de Massachussetts, pour répondre rapidement à des “questions en évidenceen ce moment, telles que les cigarettes aromatisées” (Karin Kiewra. “Wherethere’s smoke”. Harvard Public Health Review. Hiver 2005, pp.12-17). De mêmeque les “croisades” antialcool de Ohio ont essayé de se débarasser des buveursdes tavernes du 19ème siècle, de notre temps, les règlements draconiens de la“police médicale” éloignent la fumée et les fumeurs des endroits publiques.

Ily a pas mal de raisons pour l’imposition de l’interdiction dans deslieux publiques tels que les cafés, les restaurants, les gares et les aéroports.Fondamentalement, elles reposent sur la notion, scientifiquement controversée,de “fumeurs passifs” et sur l’allégation des risques à leur santé qui ensurviennent. La relation entre cancer des poumons et “tabagisme passif” a étédécrite, dans une étude de 1981, par l’épidémiologiste grecque DimitriosTrichopoulos. Effectivement, Trichopoulos a eu une sorte de laboratoire social,en Gréce, pour arriver à ses conclusions: les hommes grecques étaient de lourdsfumeurs et les femmes ne fumaient pas. Toutefois, comme il l’a démontré plustard, les femmes dont les maris fumaient étaient plus susceptibles à developperun cancer des poumons que les femmes qui vivaient dans des foyers de non-fumeurs (Peter Wehrwein, “Epidemiology’s Odysseus”. Harvard Public Health

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Review. Automne 2004, p.31-33). L’intense exposition à la fumée de leurs marisa été l’explication des résultats différents en relation aux autres femmes.

Après les premières publications par Trichopoulos et par de grands nomsde l’Épidémiologie, une avalanche de productions sur le thème, dans les dernièresdécades, ne peut guère être qualifiée de litérature scientifique. Les factionsdivergentes ont suscité un débat pathétique, envahi de rétorique et de parolesévasives. D’une part, les conclusions de pionniers tels que Trichopoulos, avecses couples grecques, ont été prises comme des vérités, et improprementgénéralisées pour des fumeurs/non-fumeurs, dans les grands bâtiments et dansles espaces ouverts de coexistence publique. Un “Tableur de Faits” de l’InstitutNational du Cancer des États Unis, avec des questions et des réponses, ilustrece côté de la discussion. La liste est exténuante – la majorité des informationssont tenues comme affirmatives ex cathedra, d’un ton autoritaire fait exprèspour disqualifier un esprit critique. Fait: “Il n’y a pas de niveau d’ expositionassuré pour le fumeur passif”. Fait: “Il n’y a pas de niveau assuré deconsommation de cigarettes”. Fait corrélatif: “Rien que trois cigarettes parjour peuvent déjà entraîner une maladie cardiaque, potentiellement fatale, lesfemmes en étant particulièrement en risque”. (National Cancer Institute, accèsle 8 juin 2010). http://www.cancer.gov/cancertopics/factsheet/Tobacco/ETS).Ces affirmatives demandent quelques points d’interrogation. Si nous prenonsles deux dernières alertes, quelles sont ces femmes considérées, particulièrement,en risque? Est-ce que leur âge, leur travail et leur vie affective (en soutenantdes liens familiaux, des réseaux sociaux, etc) n’ont-ils pas d’importance?L’évidence disponible tient-elle en compte les conditions différentes du modede vie? Supposons qu’une femme, “particulièrement en risque”, fume troiscigarettes par jour, mais qu’elle suive une alimentation saine, maintienne unpoids équilibré, fasse des activités physiques régulières et soit adepte d’une“consommation d’alcool faible à modérée”? (Pour cinq facteurs de mode de vieassociés à des risques de maladie cardiaque, voir l’interview avec Eric Rimm,“Take heart”. Harvard Public Health Review. Hiver 2009, pp.17-19). Sur un terrainmanquant d’un vrai dessin expérimental pour la quête d’évidences de renfort,ne serait-il plus convenable de recourir à des expressions plus prudentes pourune publication de base scientifique?

Si nous avons égard aux revues scientifiques clairement alignées à laguerre contre le tabac, nous trouverons des tas d’articles de plusieurs auteursqui peuvent indiquer ou une poursuite incessante pour des résultats basés surévidences, ou seulement une espèce de “barefoot research” – recherche sansfondement solide –, comme celle déjà mentionnée. C’est un terrain pris par descroyances profondémment ancrées, mais pas toujours substantielles. Lesociologue Randall Collins nous offre une révision soigneuse du débat aux ÉtatsUnis. À guise d’observation préliminaire, considérons un de ses commentaires:“Puisque le mouvement anti-tabac possède une rétorique polarisante, de toutou rien, il n’est plus préoccupé à pointer quels sont les niveaux de consommationde tabac, faibles ou modérés, qui puissent être relativement sans risques”

En réalité, lesmesures anti-tabac de la findu 20èmesiècle, de mêmeque lescontemporaines,devraient êtreconsidérées unevirulenteexpression del’ancienparadigme de“stigmatiser etbannir”, untypique détourdecomportement.

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7 Collins, ibid: p. 334

8 Geoffrey C. Kabat, Hypinghealth risks – Environmentalhazards in daily life and thescience of epidemiology. NewYork: Columbia University Press,2008. Une édition du livre enportugais est sortierécemment: Riscos ambientais àsaúde: mitos e verdades.[Risques ambiants à la santé:mythes et vérités]. Traductionde Edson Furmankiewicz.Revision technique etPrésentation de Renato Veras.Rio de Janeiro: GuanabaraKoogan, 2010. Nous ne pouvonspas, vraiement, tenir enconsidération les tentatives descritiques de discalifier l’auteurcomme une ressource de «l’industrie du tabac ». Le conflitd’intérêts est toujours unequestion sérieuse, cependantles arguments soulevés parKabat sont valables et sa voixdissidente doit être entendueet respectée.

(mon emphase).7 Dans ces circonstances défavorables, le débat certainementtire profit d’une révision récente de la (petite) littérature au sujet des fumeursfaibles et intermittents, publiée par Schane et collègues, du Centre de Rechercheet d’Éducation pour le Contrôle du Tabac de l’Université de Californie, à SanFrancisco. Le travail de Rebecca E. Schane et al. (“Health effects of light andintermittent smoking: A review”. Circulation. 2010, 121:1518-1521) devrait êtrecélébré pour apporter de la lumière à une série d’études de probabilités degroupe, en établissant les risques relatifs pour fumeurs et nonfumeurs. Lesrechercheurs ont obtennu des évidences sur les fumeurs faibles et intermittents; cependant, la discussion des auteurs sur la littérature et les conclusionsauxquelles ils en sont arrivés trahissent des préjugés enracinés et unincontestable conflit d’intérêts qui réduit, en principe, la probabilité qui ontles auteurs d’analyser les effets “réels” du tabac intermittent ou faible. Lesauteurs sont préocupés à ce que les fumeurs modérés finissent par adhérer à lacroyance “que le tabagisme faible et intermittent n’apporterait pas de risquessignificatifs à la santé” (p.1518; mon emphase). Ils craignent que les fumeursfaibles puissent se sentir plus confortables avec les “risques à la santé”, enréduisant leurs niveaux de consommation quotidienne ou hebdomadaire. Eneffet, le lecteur peut se rendre compte de l’ intention déterminée des auteursà rejeter, d’emblée, toute possibilité de risques à la santé y inclus ceux inférieursà des niveaux modérés de tabac. En dépit de reconnaître que la littératuredisponible “n’est pas vaste”, ils concluent que les résultats adverses à la santé,par le tabagisme modéré, “courent parallels aux dangers observés parmi lesfumeurs quotidiens”, particulièrement, pour les maladies cardiovasculaires”(ibid: p.1518).

Une critique additionnelle doit être faite au modèle de causalité utilisépar les auteurs pour le tabagisme passif. Il ya des problèmes méthodologiquesissus du manque d’évaluation de la durée et de l’intensité de l’exposition à lafumée, aussi bien que l’effet de dissimulation d’autres facteurs difficiles àcontrôler ou à mesurer. “Le tabagisme passif cause la maladie cardiovasculaire,le cancer des poumons, le cancer du cou et du cerveau, la maladie obstructivedes poumons[...], les maladies vasculaires, les infections pulmonaires basses etle cancer des seins en jeunes femmes” (mon emphase, p. 1520). Placé dans cestermes directs et inconditionnels, le modèle “causal” proposé est inacceptable.Voilà l’aspect le plus controversé de la discussion, tel que l’épidémiologisteGeoffrey C. Kabat a argumenté dans son essai sur la fumée passive.8 Kabatsuggère de la prudence quant à des conclusions insoutenables, telles que cellesqu’on rencontre dans la littérature en général et, particulièrement, dans letravail récent de Schane, Ling et Glantz sur la fumée passive. Aussi, devrions-nous soutenir que n’importe quel article qui focalise, à juste titre, l’impactdifférentiel des taux de tabac sur la santé humaine, ne puisse oublier unediscussion sur les niveaux différentiels de tabagisme passif chez les non-fumeurs. Comme indiqué précédemment, la durée et l’intensité de l’expositiondoivent être soigneusement évaluées. Un deuxième commentaire se dirige à la

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prescription des auteurs dans la conclusion de l’article. En proposant que lesmédecins cherchent à identifier, parmi ses patients, les fumeurs faibles, lourdset “passifs”, ils adoptent, tout de suite après, une rétorique autoritaire etinacceptable: une fois identifiés et classifiés, les docteurs “doivent travailleravec agressivité pour encourager ces patients à s’arrêter de fumercomplètement” (mon emphase; p.1521). Les auteurs permettent un abordageradical des médecins envers les fumeurs, mais ne considèrent pas les effetsinnespérés sur leur santé créés par cette exigence, particulièrement, chez leslourds fumeurs qui se sentiront sûrement découragés à réduire même saconsommation quotidienne. La psychologie sociale de la relation médecin/patient n’est nullement considérée dans cette démarche “d’abollition totale”.

Cette discussion nous conduit à l’autre extrémité – assez extrême, jedois dire – de la dispute. Une série d’études indiquent que les secteurs pourfumeurs, bien ventilés, avec écoulement d’air dirigé au dehors, ne répandentpas la (ETS) – FAT (fumée ambiante du tabac) – aux secteurs de non-fumeurs,dans les cafés et les restaurants. Ces études sont complètement défiés etdiscrédités par des critiques, à ce que l’on prétend pour avoir été forgés sousles auspices et les influences de l’industrie du tabac. (Pour exemples des deuxcôtés de la dispute, voir R.A.Jenkins et al., “Environmental Tobacco Smoke –ETS – in the Nonsmoking Section of a Restaurant : A Case Study” (RegulatoryToxicology and Pharmacology Volume 34 (3), Décembre 2001, pp. 213-220; J.A. Francis et al., “Challenging the epidemiologic evidence on passive smoking:tactics of tobacco industry expert witnesses”, Tobacco Control, 2006; 15:68-76).C’est surprennant que la litérature du “tobacco control” ne s’en prenne que trèsrarement à des groupes spécifiques exposés à des hauts niveaux de fumée, telsque les barmen. Ne pas en tenir compte ne serait-ce pas une autre façon deréaffirmer le manque de moyens de défense ou de précautions, sauf la“suppression totale”? Quand la démarcation de secteurs pour fumeurs éxistaitencore, dans les cafés et les restaurants aux Éstats Unis, les ligues et alliancesantifumeurs, actuellement très agréssives, n’ont jamais proposé la mesure, assezraisonnable, d’adopter des zones de libre-service pour les fumeurs, qui pourraitainsi servir leurs propres boissons et repas.

Les lecteurs d’études scientifiques, soutenues par des centres de contrôledu tabac, ou qui sont directement produites et publiées par eux, et sont souventfinancées par des organismes gouvernementaux, des fondations privées ou pardes organisations et des croisades anti-tabac, devraient être conscients que leshypothèses, les matériaux et les conclusions de ces études peuvent aussi êtretendancieux. Comme celà peut arriver à des études prétendument “financéespar l’industrie”, les études, présentées comme scientifiques, pourraientégalement produire des résultats méthodologique ou analytiquementdéfectueux, lorsqu’elles sont effectuées par des chercheurs connus comme des“guerriers anti-tabac” dans leurs tranchées académiques, ou en tant queconsulteurs d’ organisations gouvernementales et non gouvernementales.

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En ce moment, une autre guerre est menée contre la culture du tabac.L’un des traités, “le plus largement adopté dans l’histoire de l’Organisation desNations Unies” (http://whqlibdoc.who.int/publications/2003/9241591013.pdf),qui a le Brésil parmi les signataires, est la Framework Convention on TobaccoControl, Convention-cadre sur le Contrôle du Tabac de l’ Organisation Mondialede la Santé – une initiative connue sous le nom de “Convention-cadre”. Cetteconvention ne considère pas sérieusement les effets sociaux et économiquesimprévisibles d’une de ses positions les plus controversées, à savoir, “soutenirdes activités alternatives économiquement viables” pour la culture du tabac.Au Brésil, cette position a été interprétée comme un permis d’éradiquertotalement les plantations, une mesure soutenue par des alliances anti-tabac etde divers cercles de l’épidémiologie brésilienne. Les autorités sanitaires et lesmouvements anti-tabac, dans les pays signataires, semblent ne pas considérerégalement que l’OMS et les Nations Unies se montrent incapables d’agir, avecl’agréssivité qu’elles recommendent contre le tabac, pour réduire les cartels detrafic de drogues et les marchés illicites de traitement de la cocaïne. Entransformant, dans un avenir proche, les cultivateurs de tabac en producteursillégaux, la Convention, signée en 2005, ouvrira un autre marché potentielimportant pour le trafic de drogues: un marché noir de la culture du tabac et,aussi bien, de la production de cigarettes.

Un autre principe controversé de la Convention-cadre résulte de sonobjectif central, qui tout permet dès qu’on atteigne “le plus haut niveau desanté” pour la population (“the highest standard of health”, WHO FCCT, “Forward”,p. v). Tout d’abord, l’objectif devrait être placé en tant que “le plus haut niveaupossible”, compte tenu de la nécessité d’être prudent devant le vaste spectre etl’expansion incontrôlée des mesures d’intervention dans la santé quotidienneet dans les habitudes des personnes. Ces mesures, de portée et pénétrationtoujours croissantes, résultent des tentatives des épidémiologistes d’analyseret d’attribuer des risques à une longue et interminable liste de facteurs liés aumode de vie. “Le plus haut niveau” pourra être considéré, par les autorités desanté, comme un mandat pour intervenir dans la vie des gens, pas seulementpar la nécéssaire médecine préventive et les mesures d’éducation sanitaire,mais aussi –c’est là l’aspect discutable – par des pratiques médicales illégitimeset policières, à l’exemple des mesures de banniment et stigmatisation des fumeurspartout dans le monde.

L’éradication des cultures de tabac en Amérique du Sud, à part d’êtreune proposition contre l’Industrie, aussi bien que contre les milliers de famillesconsacrées à la culture, doit être examinée et évaluée dans le scénario difficiled’adoption d’alternatives pour le marché du travail. Au Brésil, seulement, plusde deux cent mille familles cultivent le tabac depuis des générations. Il y a,toutefois, des options viables. À guise d’exemple, prennons le cas brésilien. Lescoopératives de petits agriculteurs indépendants doivent être stimulées ethabilitées à lutter contre la diffusion de pesticides et d’engrais chimiques parl’Industrie, préocupée tout juste à augmenter la production et baisser les prix

L’éradicationdes culturesde tabac enAmérique duSud, à partd’être unepropositioncontrel’Industrie,aussi bien quecontre lesmilliers defamillesconsacrées àla culture, doitêtre examinéeet évaluéedans lescénariodifficiled’adoptiond’alternativespour lemarché dutravail.

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9 C’est surprennant quel’Association Américaine deSociologie n’ait pas, jusqu’à cejour, exigé que l’industrie ducinéma s’arrête de stigmatiserou diaboliser les fumeurs dansles films.

10 Howard Becker, Outsiders.New York: The Free Press, 1963.Voir p. 33.

agricoles. La Convention-cadre devrait être examinée et modifiée dans sesobjectifs rigides et socialement insoutenables. Les programmes fédérauxdevraient subventionner directement les petits cultivateurs agricoles, ensoutenant l’utilisation de méthodes biologiques de production du tabac. Lesagronomes et les techniciens des agences et des services d’instruction agricoledevraient remplacer les agronomes de l’Industrie, dans l’assistance quotidienneaux travailleurs. Des méthodes d’impact écologique plus faible, pour le traitementet le séchage des feuilles de tabac, devraient être recherchées par les agronomeset les chercheurs du système brésilien d’assistance technique et d’instructionrural. Les agriculteurs devraient être invités à porter des vêtements protecteurspour éviter tout contact cutané avec les feuilles humides de la plante et, ainsi,à se protéger contre la “maladie du tabac vert”, connue en Amérique comme“GTS”. Ce sont des façons pour surmonter les pressions croissantes et persistantesde l’éradication. Le scénario Armageddon d’une plante “maudite” vaut moinsq’un film d’horreur mal dirigé.

II. Le regard sociologique: un appel aux sociologues publiques

Avec les très rares exceptions près, déjà citées, la sociologie internationalea gardé un silence retentissant en ce qui concerne les problèmes soulignésdans cet essai. Cela est d’autant plus surprenant, si notre héritage intellectuelest sérieusement tennu en compte: pensons à l’interactionnisme symboliqued’Erving Goffman, Howard C. Becker, et Joseph R Gusfield; à l’ethnométhodologiede Harold Garfinkel; à la sociologie cognitive d’Aaron Cicourel; à la psychologiesociale d’Anselm Strauss, Claudine Herzlich, Oracy Nogueira, et Serge Moscovici,parmi d’autres grands noms. La sociologie doit beaucoup aux études importantessur les moyens, employés par la société et les communautés, pour renforcerleur valeurs dépassées, en imposant des stigmates, des images détériorées, etde la discrimination sur des pratiques considérées inacceptables. Si la puissante“Motion Picture Association of America” (Association de Cinéma d’Amérique) neglorifie plus l’acte de fumer dans les films produits en “Amérique”, il n’estaucunement tolérable que les fumeurs soient désormais représentés dans desrôles moralement répréhensibles, comme les méchants, les tueurs, les violeurs,ou les jeunes mêlés à la violence scolaire.9 L’act de fumer, tel qu’un“comportement déviant”, a acquis une “valeur symbolique généralisée”. Ladéclaration de Becker suivante s’applique à l’image détériorée du fumeur auxÉtats-Unis et dans plusieurs autres régions du monde: “La possession d’undétour de comportement peut avoir une valeur symbolique généralisée, de sorteque les gens peuvent supposer, automatiquement, que le porteur possèded’autres traits indésirables prétendument associés au premier”.10

La première épigraphe de cet essai, par le philosophe italien GiorgioAgamben, indique l’existence, dans l’histoire, d’appareils sociaux et juridiquesqui non seulement résultent d’une idéologie de contrôle sur les espaces publics,mais aussi la reproduisent et la renforcent. La peste, comme épidémie mortelle,représente un paradigme historique de l’application de techniques disciplinaires,

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11 Randall Collins, Interactionritual chains. Princeton:Princeton University Press,2004.

12 Ibid: 332-333.

Campagne de l’associationfrançaise de non-fumeurs(Association DnF — Droits denon-fumeurs).

imposées par des mesures d’ une “police médicale”. L’analogie,entre la victime de la peste et les fumeurs, n’est guère valableaux propos de la présente discussion, car, pour eux, les“techniques disciplinaires” ne suffisent plus ; comme les lépreuxdu passé, les fumeurs doivent désormais être bannis de la viesociale publique. Les “dispositifs de surveillance” ne vont pasassez loin pour les militants anti-tabac ; le fumeur doit êtreexclu des bienfaits de la vie sociale et de l’interaction. Leparadigme de l’exclusion du lépreux commence à être applicableà ceux qui, jusqu’à présent, avait été surveillés ou disciplinés,mais n’avaient pas encore été bannis par les législations de lapolice médicale. La deuxième épigraphe, par le sociologuefrançais Lucien Sfez, est une critique acerbe à cette recherchede “la santé parfaite” parmi les idéologies et les utopiescontemporaines. Le 21ème siècle est l’endroit utopique (ouidéologique) d’un projet bio-éco-religieux pour la santé publique.

Sfez ne pouvait pas prévoir que le début du troisième millenium entraînerait sirapidement un scénario mondial modelé par la quête américaine de la “santéobsessive”. Qui aurait pu effectivement prévoir une telle diffusion mondiale decodes et d’interdictions à la santé? En effet, sa description de l’interdiction dutabac, aux États-Unis, n’a-t-elle pas été une prévision de ce qui arriverait plustard, même à sa France natale ? Dans son pays, l’interdiction de fumer effective,en Février 2007, s’est rapidement étendue aux cafés, “le plus aimé de tous lesespaces pour fumeurs”, comme annoncé par la média. La récente (2010) diffusiond’affiches à Paris, en montrant des photos de personnes “esclaves” du tabac(“Fumer c’est être l’esclave du tabac”), fait partie de la campagne de l’associationfrançaise de non-fumeurs. L’une des affiches, avec une photo particulièrementvulgaire d’une femme “esclave”, possiblement, traduit la pensée des consulteursaméricains, selon laquelle, des fortes doses de “publicité agressive” devraitêtre utilisées contre le fumeur (“Stamping out cigarettes,” “Estampillage decigarettes”, Health without boundaries. (Santé sans frontières). Harvard Schoolof Public Health, 2008 , p. 28).

Aux États-Unis, tout en discutant l’importance des espaces publics desociabilité pour étrécir les liens affectifs et surmonter l’individualisme, lesociologue Randall Collins met l’accent sur les rituels des fumeurs dans lescafés et les pubs.11 Tout en dénonçant “l’exagération rhétorique des allégationsdu mouvement anti-tabac”12, Collins questionne l’ utilisation indue et abusivedes statistiques. “En ce qui concerne les maladies coronariennes, le risque annuelde décès est le suivant: 7 pour 100.000 pour les non-fumeurs, 104 pour 100.000pour fumeurs; à la raison de 15 pour 1. Cependant, en pourcentages brutes, lerécit en est tout autre: ces numéros sont très faibles. [...] Ainsi, un fumeur a98,9 % de la chance annuelle d’un non-fumeur, pour échapper à la mort d’unemaladie coronarienne”. L’auteur continue : “les statistiques, en elles-mêmes,ne présentent pas un scénario assez fort de risques à la santé, par le tabac, qui

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puisse expliquer pourquoi un si grand nombre de personnes se soient tournéescontre le tabagisme, avec tant de véhémence [...] Les statistiques auraient puégalement être interprétées [...] qu’il y a très peu de chances de devenir malade,sauf par l’exposition intense et prolongée à la fumée passive”.13 En fait, ce futle cas des femmes grecques avec un cancer des poumons, sous des conditionsd’exposition intense et prolongée décrites par l’étude pionnière de Trichopoulos.Pour que l’argument de Collins ne soit pas mal compris et rapidement disqualifié,les critiques doivent être avertis que son travail n’est pas lié aux défenseurs de“l’industrie pro-tabac” : Collins écrit sur les liens de l’interaction sociale et leurdimension sociologique, et pas sur les chaînes du marché ou de son importanceéconomique.

L’un des points forts de la tradition de la sociologie médicale et de lasociologie de la santé est leur indépendance - théorique, méthodologique etpolitique – en relation à l’épidémiologie.14 La voix de Collins, contre les“exagérations réthoriques” des épidémiologistes et d’autres cercles médicauxdans la guerre au tabac, est un excellent exemple de cette indépendance, aussibien dans le terrain de l’analyse, que dans celui de la méthodologie. Son travail,en particulier, invite l’attention sur le traumatisme émotionnel infligé auxfumeurs, dans le monde entier, par des programmes, alliances et conventionsanti-tabac; en outre, il attire l’attention sur les interventions insensées, de cesprogrammes, sur les espaces d’interaction sociale, tels que les restaurants et lescafés, maintenant, interdits aux fumeurs.

Les autorités chargées de la santé et les stratégies régulatricesinternationales devraient être responsabilisées pour leur quête obsessive d’uneambiance de “nettoyage sanitaire”. La plupart des campagnes pour “effacer letabac de la face de la Terre” a déjà composé leur dogmes et leur livres liturgiques;en vérité, les “guerres anti-tabac”, partout dans le monde, n’ont plus besoinde données épidémiologiques pour légitimer leur cause. Même si de nouvellesrecherches épidémiologiques puissent suggérer prudence et précaution enversles modèles employés dans les études sur le tabac – particulièrement, en ce quiconcerne le tabagisme, faible ou intermittent, et l’exposition à la fumée passive– il est fort probable que les défenseurs de “l’abolition des cigarettes” ne feraientpas un pas en arrière ou montreraient du bon sens. Ils ont fait un long chemin,pour s’arrêter maintenant.

L’épidémiologie a joué un rôle important, que la sociologie doit mettreen évidence. Les premiers avertissements, sur les dangers du tabagisme, sontvenus des découvertes épidémiologiques. Cela a été une étape importante etenrichissante. Les programmes d’éducation sanitaire sont devenusprofondémment conscients de la nécessité de placer les gros fumeurs ou lesfumeurs compulsifs parmi leurs préoccupations. Les écoles et facultés de santépublique, dans les années 1970 aux États Unis, ont estimé la prévalence desrisques plus élevés pour la santé chez les gros fumeurs et elles ont discuté surle besoin de réduire la dépendance. L’épidémiologie et la politique sociale se

13 Ibid: pp. 332-333.

14 Luiz A. Castro Santos, “First-rate sociology or second-handepidemiology?” ASA Forum.Footnotes. AmericanSociological Association, Mai/Juin 2010, p. 12.

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15 Richard M. Titmuss, The giftrelationship: from humanblood to social policy. NovaYork: Pantheon Books, 1971.

sont rapprochées, de façon fortuite, en direction du contrôle de la consommationexcessive et de la réduction du pouvoir illimité de l’industrie du tabac. Leszones fumeurs et non-fumeurs ont été créées, dans les salles de restaurants etcafés, et dans d’autres endroits publiques comme les aéroports. Une ambiancesociale pacifique et respectueuse s’est installée.

Toutefois, à mesure que les premiers pas ont été pris, les défenseurs del’ancienne morale, des Temperance Societies en Amérique, semblent avoir gagnéterrain, en laissant l’éducation sanitaire et les mesures préventives à l’arrière-plan et en transformant le tabac en une affaire de police médicale. Les politiquesqui respectaient équitablement les non-fumeurs et les fumeurs ont été aussirejetées. Les restaurants et les aéroports sont devenus les premières cibles desmurs de l’exclusion. Dans les dernières décades, beaucoup plus que les fusils,les armes, le trafic de cocaïne ou d’héroïne, le tabagisme a été visé et tenucomme le mal suprême et “socialement inacceptable”, aux États-Unis et àl’étranger. Les “vigilants” de la santé et les consulteurs ou experts académiques,se donnèrent les mains pour agir. Les espaces ouverts de “confraternité”(conviviality) ont été fermés par les politiques qui s’alignent avec le ressentiment,la peur sociale, et l’exclusion.

Un point doit être clair. La sociologie de la santé a beaucoup à gagneravec les connaissances médicales et épidémiologiques. Les modéles statistiquesdes épidémies, récemment employés pour le virus de la grippe H1N1, constituentun exemple important. Les épidémiologistes et les médecins spécialistes sonten alerte, afin d’éviter un scénario de proportions épidémiques. Néanmoins, lesrestrictions au voyages et l’imposition de quarantaines, sont toujours un obstacleà la vie sociale. Si une pandémie de grippe peut justifier un certain niveaud’intervention médicale dans les lieux publics et privés, l’élimination permanentedes espaces des fumeurs et leur progressive criminalisation demandentl’imposition de limites à l’autorité médicale et à leurs sévères codes de santé.Les fumeurs confrontent, aujourd’hui, à l’ère moderne, la plus grande attaquepublique menée aux rituels de sociabilité et d’interaction libre, aux États-Uniset dans diverses régions du monde.

Pour la sociologie, les anciennes leçons d’une relation féconde avec lechamp médicale ne peuvent pas être oubliées. Dans les années 1970, la théoriesociale a promu des liens plus forts de solidarité sociale, lorsqu’ un livre degrand impact, nommé The Gift Relationship, du sociologue anglais RichardTitmuss, un des precurseurs de l’administration de la santé en Angleterre, aplaidé, avec succès, pour l’interdiction du commerce de sang ; Titmuss soulignait“la valeur sociale de la solidarité” lors des donations de sang, pendant lescampagnes de donation de sang dans les campi et les lieux publics.15 Cela a été,en fait, un exemple d’une sociologie publique qui diffusait des paroles desolidarité sociale parmi les nations et les cultures du monde.

L’allégation, selon laquelle “les droits individuels ne peuvent sesuperposer aux droits collectifs”, est devenu banale dans le front anti-tabagiste.

Les fumeursconfrontent,aujourd’hui,à l’èremoderne,la plus grandeattaquepubliquemenée auxrituels desociabilité etd’interactionlibre, auxÉtats-Unis etdans diversesrégions dumonde.

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16 Erving Goffman, Stigmate.Les usages sociaux deshandicaps (1963), traduit del'anglais par Alain Kihm,coll. Le Sens commun,Éditions de Minuit, Paris,1975.

17 Oracy Nogueira, Vozes deCampos de Jordão: experiênciassociais e psíquicas dotuberculoso pulmonar no Estadode São Paulo. [Voix de Camposdo Jordão: expériences socialeset psychiques du tuberculeuxpulmonaire dans l’État de SãoPaulo]. (Première édition, RevueSociologia. 1950). 2ème édition.Rio de Janeiro. Editora Fiocruz,2009.

18 Thomas Mullen, O últimopovoado da terra. [Le derniervillage de la terre]. Trad. deRosana Telles. São Paulo :Editora Landscape, 2007.

19 Ibid : p.48

• Luiz Antonio de Castro Santos

Les droits collectifs sont un point de départ éthico-politique, un principedirecteur de la politique publique, pas un précepte liturgique. Au nom de laprévention des maladies, ou de principes de précaution, le “collectif” ne peutpas étouffer le “privé”. Ce n’est pas sans raison que la sociologie, oubliéeaujourd’hui – comme celle d’ Erving Goffman dans les pays anglo-saxons16, oucelle d’Oracy Nogueira au Brésil17 – a cherché à définir des domaines de défenseet de légitimité pour les “exclus” et stigmatisés. En ce sens, les espaces de“confraternité” et de bon voisinage sont matrices d’une sociabilitéauthentique. Le concept oblique et trompeur de “tabagisme passif” a été conçudans les mêmes fours idéologiques de l’ exclusion des pestiférés et des lépreuxd’autres temps. La littérature de fiction en est riche d’exemples. Récemment, leroman de l’écrivain américain Thomas Mullen, The last town on earth [La dernièreville sur terre], présente les villageois effrayés d’une ville ouvrière en essayantde se protéger de la pandémie de influenza de1918.18 Les habitants de la“dernière ville” ont voté pour s’enfermer aux intrus qui pourraient menacerde contamination la petite population. Quand un soldat affamé s’approche desgardes à l’entrée de la ville pour demander de l’abri, ils décident de l’en empêcher.Plus tard, un villageois racontera l’ histoire de leur défaite morale: “Nous avonstiré sur un homme qui essayait d’entrer dans la ville. [...] Il était un soldat. Ilétait jeune. Il éternuait et toussait beaucoup. Il a imploré. Il a commencé àpleurer juste avant que Graham ait appuyé sur la gâchette”.19 L’histoire esttriste et instructive. Quelques voix crieront toujours pour bénéficier lacollectivité, abstraite ou réel ; celà ne suffit pas. D’autres, parmi nous, enpossession des leçons laissées dans les meilleurs sentiers de la sociologiemondiale, diront que le soutien du bien-être collectif ne devrait pas nousempêcher d’aider le soldat rejeté. Les sociologues doivent faire le dur choix enfaveur des exclus. Comme par le passé, la santé du village global, d’aujourd’hui,ne peut pas être une excuse pour l’exclusion de ceux qui sont tenus comme“socialement inacceptables”. Les défis moraux des droits des minorités vis-à-vis de l’intérêt public doivent être abordés avec de la tolérance et de la prudence,jamais par des interdictions iniques et des instruments d’exclusion. Ces questionsne devraient pas être prises telles qu’un jeu à résultat nul. Les ponts deconfraternité sont un impératif de nos jours, pas les murs de la honte.

Au cours des dernières décades, des épidémiologistes, des autorités dela santé publique et des législateurs ont compté sur l’acquiescence et lacomplicité des sociologues, qui ont perdu leur determination de lutter contreles cérémonies dégradantes que Harold Garfinkel a décrit dans les années 50.Coincée par l’épidémiologie, la sociologie a désormais rennoncé à un rôle actifdans la vie publique. Les chiffres épidémiologiques qui “démontrent les risques”,ainsi que les indices actuels et prospéctifs de mortalité et de morbidité, sonttrès recherchés par les autorités publiques dans un effort de légitimer leursprogrammes et leurs pratiques de santé, même quand ils sont déclenchés parune “conscience mystifiée” ou instruits par des données statistiques cueillis adhoc. Les sociologues devraient marcher en avant et leur faire savoir – aussi bien

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qu’aux ligues et aux alliances anti-tabac – qu’ils ne se tairont plus devant depolitiques de santé inutilement impositives et moralement illégitimes. Nousdevons, au contraire, intervenir dans de tels contextes. Nous devons prendreparti.

La sociologie de la santé doit exprimer sa préoccupation sur les effetsnon-anticipés de l’intervention épidémiologique dans les espaces publics. Dansle cas des fumeurs, les sociologues doivent être très conscients des effets sociauxdes codes disciplinaires, draconiens et mal conçus. La législation, prévoyant deshôpitaux libres de fumée, ou les écoles et les lieux de travail protégés de manièreadéquate, devrait établir une distinction entre ces endroits et les lieux deconvivialité et de sociabilité en “temps partiel” comme les restaurants, les bars,les salles de cinéma et théâtres, les vestibules des aéroports, les gares et lesstations d’ autobus; ces endroits, d’entre tant d’autres, devraient permettre etmaintenir des places bien ventilées pour les fumeurs, au lieu de les mettre horslimites, comme s’ils étaient les nouveaux lépreux du 21ème siècle.20 En Amérique,des employeurs ont été forcés, par les plans de l’assurance maladie, à “encourager”les travailleurs à ne pas fumer, mais, à la place, ils adoptent un regard investigateuret policier sur leur comportement dans leur propre foyer et dans leur vie privée,hors du lieu de travail. Celà n’est plus de “l’encouragement”, mais de l’intrusionsans bornes. L’accent croissant et l’enthousiasme, avec lesquels les autoritésgouvernementales et les législateurs saluent les campagnes anti-tabac, peuventsimplement masquer leur insuccès évident en d’autres terrains, à exemple deleurs échecs pour contrôler le traffic de drogues, la possession d’armes à feu etla violence urbaine, aux États-Unis et dans toute l’Amérique Latine. Ceux-cidevraient être les cibles de la politique sociale et de la sociologie, le thèmeprincipal de l’agenda – pas la définition forcée des espaces de sociabilité ou lanouvelle idéologie sanitaire, encore plus autoritaire et envahissante, de villesentières “libres de fumée”, annoncée triomphalement par les vigilants duTroisième Millenium. La sociologie n’a aucun sens si elle permet que d’autreschamps de la connaissance sociale viennent dicter la signification de “public”.La vie publique et les rituels de la solidarité de groupe doivent être cultivés etmaintenus libres de formes de contrôle sanitaire excessives et marginalisantes.Il nous faut construire des ponts entre le public et le privé, et non pas des mursde honte et de stigmatisation.

20 La soi-disant «interdiction»au Brésil (La Loi Sèche)mérite une discussion à part.Les mesures, prises contreceux qui conduisent ivres, neles chassent pas des bars, neles empêchent pas decoexister pleinement avec lesabstinents, et lesencouragent à utiliser letransport collectif ousolidaire. Toutefois, lesniveaux d’intolérance, pourla “concentration d’alcoolpar litre de sang” deschauffeurs, sont trop rigideset devraient être revus.

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Nelson F. de Barros

Il y a à peu près 10 ans que j’ai arreté de fumer. Je n’ai pas l’intentionde recommencer, bien que j’ai des fantaisies avec une boufée de temps entemps. Je suis moins naïf aujourd’hui et je crois très peu à la possibilité devivre collectivement sans aucune gêne, c’est-à-dire, sans la transformation del’instinct en institution. Je peux comprendre le pouvoir de la discipline, surtoutquand je la sépare de la vie religieuse et militaire. En outre, j’identifiel’importance du civisme à guise de stratégie pour maintenir le processus decivilisation d’une masse de personnes transformées en citoyens.

Mais j’ai beaucoup de mal à supporter l’autoritarisme et mes amis disentque j’étude sociologie pour cette raison. Je n’aime pas les formes de la productionde l’exclusion et je reste attentif à éviter l’humiliation sociale et son (in)visibilité.

Dans une étude basée sur l’observation participante des balayeurs derue, dans un campus universitaire, le psychologue Fernando Braga da Costaraconte les pratiques d’humiliation de ces « hommes invisibles». À la rigueur,ils ne sont pas outsiders dans le sens atribué par Becker. Ils sont invisibles,mais pas déviants. Déjà les fumeurs sont humiliés visibles et déviants. Voyonsles réflexions de José Moura Filho Gonçalves, dans la magnifique préface dulivre de Costa:

Pour les humiliés, l’humiliation est un coup, ou elle est souvent perçuecomme un coup imminent, toujours aux aguets, où qu’ils soient, avec n’importequi. (...) L’ humiliation chronique brise le sentiment d’avoir des droits. (...)Marque la personnalité par des images et des mots liés à des messages derabaissement jetés à la scène publique: à l’école, au travail, dans la ville. Cesont des gestes ou des expressions d’autrui qui pénètrent et n’abandonnentplus le corps et l’âme du déprécié. (...) L’humiliation agit comme un coupexterne, un coup public, qui rentre et continue à agir à l’intérieur: une impulsionenvahissante, déchaînée, une angoisse. (Gonçalves Filho, au Costa, 2004, pp.9-48, passim)

Ainsi, même si la fumée des cigarettes me dérange, la vigilanceidéologique me dérange beaucoup plus, elle est moins tangible et, souvent,

SUR LES HUMILIÉS VISIBLES ETINVISIBLES: un rêve lucide de laréalité

• Nelson F. de Barros

Nelson F. Barros est diplômé enSciences Sociales, avecspécialisation en Sciences SocialesAppliquées à la Santé, Maître etDocteur en Santé Collective, parl’Universidade Estadual deCampinas-Unicamp (Université del’État de Campinas-Unicamp) etpost-doctorat par l’University ofLeeds (Université de Leeds).Actuellement il est Professeur deMédecine Sociale et Préventive, àla Faculdade de Ciências Médicas,Unicamp (Faculté de SciencesMédicales, Unicamp). Boursier deProductivité dans la Recherche duCNPq - Niveau 2. Principaux thèmesde recherche: sociologie de lasanté; pratiques alternatives,complémentaires et d’intégrationen santé; méthodologie de larecherche qualitative.

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plus pernicieuse, à la construction de relations fondées sur le respect et laresponsabilité. La plupart des interdictions et du contrôle développésactuellement, dans le terrain de la santé, se conduisent basés sur les référencesde l’économie de la santé, mais la vie est loin d’être réduite à une rationalitécomptable et essayer de forcer cette association est une procédure aliénante.

Un symptôme de la grave confusion est la pathologie du normal ou dela «normosis» dont les effets déchirent le discernement et conduisent àl’incapacité de rompre avec les normes et les règlements de base autoritaire.L’intelligentsia a succombé, surtout quand elle se cache derrière de politiquespubliques, telles que celle de la Promotion de la Santé, qui intervient, commeprévu, et interdit la production de la conscience, comme il n’est pas prévu, unefois qu’elle prêche la « prise de pouvoir » et la participation active des citoyens.

En ce moment, la persécution, au Brésil, se dirige vers l’usage du tabac,bientôt ce sera le tour de l’obésité, et la logique, qui a entraîné la Révolte duVaccin, au début du XXe siècle, reste la même. À l’époque actuelle d’intensemédicalisation, il n’y a plus de culture de résistance qui conduise à des émeutes.C’est à nous, les sociologues, d’avoir quelques moments de lucidité et de rêve.En vérité, l’obésité est déjà persécutée, de façon autoritaire, au Japon. En 2008,le ministère de la santé japonais, sous l’orientation des epidémiologistes cliniquesde la Fédération Internationale du Diabète, a réglementé le contrôle des mesuresabdominales d’ hommes et de femmes entre 40 et 74 ans. (Ardelia, 2008; Onishi,2008)

Les travailleurs et les travailleuses, dans cette tranche d’âge, doiventfaire des examens annuels. S’ils sont au-dessus des mesures, et, si après troismois du diagnostic, le « surpoids » persiste, ils sont obligés de se soumettre àune diète alimentaire. Si le « mal » subsiste, après six mois, ils sont contraints,sous peine d’amende et de perte du droit à l’attention, à prendre part à uncours de rééducation alimentaire.

Un nouveau mot a été créé pour stigmatiser les personnes au-dessusdes mesures, une fois que les appeler d’obèses ne produisait plus les effetssouhaités. Alors, il existe, actuellement, au Japon, un groupe surnommé«Metabo», un nom d’après « metabolic syndrome » (syndrome métabolique),qui est un ensemble de symptômes (l’obésité abdominale, l’hypertensionartérielle et les taux élevés de glucose et de cholestérol) qui peut conduire àdes problèmes vasculaires.

Parce qu’ils le considèrent plus incluant, les professionnels justifientl’adoption du terme « Metabo », en laissant voir, une fois de plus, à quel pointceux qui programment et travaillent à la santé adhèrent, précisément dans lesens de coller, aux projets réductionistes et autoritaires. Ils ne se sont pasencore rendus compte des effets pervers des étiquettes sur la vie des gens,même si plusieurs études démontrent la stigmatisation sociale qui dérive del’acte d’étiquetter (Becker, 2009). Nous avons récemment publié des données,

En ce moment,la persécution,au Brésil, sedirige versl’usage dutabac, bientôtce sera le tourde l’obésité (...)

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de la même nature, en ce qui concerne l’épilepsie, avec une miseen garde au sujet des effets causés à une personne qualifiéed’«épileptique» ou de «personne atteinte d’épilepsie» (Fernandeset al, 2009). En bref, les gens souffrant d’épilepsie ne peuventpas afficher publiquement la maladie - ne sont pas visibles commeles fumeurs – et, pourtant, seront socialement moins rejetés, avecbeaucoup plus d’aisance dans les relations sociales. D’où laprudence à l’égard de l’étiquette.

L’image ci-dessous est celle de l’ affiche de la campagnepour la perte de poids du gouvernement japonais exposée dansles cliniques de santé publique. Les mots en japonais annoncent:«Adieu, Metabo». Le troisième élément de la figure, un chien trèsmignon ressemblant aux «metabo» attire l’attention. Qu’est-ceque cela veut dire? Les hommes, les enfants et les chiens doiventêtre également soumis au dressage? (Onishi, 2008)

Des interventions telles que celles constatées au Japon, ainsi que cellesrelatives au contrôle de l’usage du tabac au Brésil, ne répondent pas à unepédagogie de l’autonomie (Freire, 1996). Cette pédagogie s’est tournée contrela réification promue par les programmes et par les professionnels de la santé ;c’est-à-dire, elle s’oppose à l’appréhension des phénomènes humains comme sic’étaient des choses, comme si les hommes et les femmes n’étaient que desacteurs et des agents avec des degrés de liberté dans la construction et lacréation du monde humain, et comme si la déshumanisation et la coercitionétaient la mesure de la vie collective.

Si la fumée des cigarettes me dérange, les actes de violence physique etsymbolique me dérangent beaucoup plus. Par conséquent, j’ai un rêve lucide deréalité quand je m’oppose à des interventions dogmatiques, qui ralentissent leprocessus de civilisation et ne reconnaîssent pas le respect à l’autonomie et à ladignité comme un impératif éthique et non pas une délégation ou une faveur;qui ne sont pas attentifs au difficile passage de l’hétéronomie à l’autonomie,qui correspond à « l’expulsion » de l’oppresseur de « l’intérieur » de l’opprimé;qui, finalement, ne reconnaissent pas que personne est le sujet de l’autonomiede personne, que personne ne peut mûrir tout d’un coup. L’autonomie est unprocessus, c’est devenir centré en expériences encourageantes de la décision etde la responsabilité, de l’interaction libre et de la sociabilité.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ARDELL, Donald Bl.- The JapaneseApproach To Weight Loss.Disponible à: http://trusted.md/blog/donald_b_ardell/2008/06/18/the_japanese_approach_to_weight_loss#axzz0swGIelon

BARROS, Nelson F de. - Notas sobrea humilhação social. (Notes surl’humiliation sociale). Campinas:Boletim FCM. Mai 2009.

BECKER, Howard S. Outsiders -Estudos de sociologia dodesvio. (Études de sociologiede la déviation). Rio de Janeiro:Zahar. 2009

COSTA, Fernando Braga da –Homens invisíveis: relatos de umahumilhação social. (Hommesinvisibles: rapports d’unehumiliation sociale). São Paulo:Globo, 2004.

FERNANDES, Paula T; Barros,Nelson F de; Li, Li Min.- Stopsaying epileptic. Epilepsia.Epilepsie. Mai 2009;50(5):1280-3.

FREIRE, Paulo. - Pedagogia daautonomia: saberes necessários àprática educativa. (Pédagogie del’autonomie: savoirs nécéssaires à lapratique educative). São Paulo: Paze Terra. 1996. 165 p.

GONÇALVES FILHO, José Moura. -“Prefácio: a invisibilidade pública”.(Préface: l’invisibilité publique). INCosta, 2009, pp.9-48.

ONISHI, Norimitsu. - Japan,Seeking Trim Waists, MeasuresMillions. The New York Times – ÁsiaPacific. Publicado em 13 de junhode 2008. Disponible à: http://www.nytimes.com/2008/06/13/world/asia/13fat.html

• Nelson F. de Barros

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I. Différences

La loi anti-tabac, tant qu’on l’a récemment instituée au Brésil, avecassez de bruits politiques et du retentissement dans la média, s’inscrit,certainement, dans un mouvement international d’interdiction du tabac, enéchelle planétaire. Ainsi, ce qui avait déjà été adopté dans d’autres pays aégalement échoué sur nos plages. Toutefois, dans les différentes traditionssociales existantes, l’interdiction de fumer n’est pas guidée par les mêmesmodèles. Supposer l’existence de cette identité, dans une homogénéisationflagrante de l’interdiction de fumer serait une erreur primaire de lecture de cequi se passe réellement et cela serait impossible d’évaluer le processus enquestion.

Il faut reconnaître, tout d’abord, que l’interdiction de fumer n’est pas lamême dans les différentes sociétés, mais, au contraire, elle est fondamentalementdifférente. Ces différences reposent non pas seulement sur la diversité descodes culturels, réligieux et sociaux, mais aussi sur des traditions politiquestrès distinctes. Ce sont, justement, ces différences et ces diversités qui ontétabli les principes des politiques sanitaires variées et de l’espace de la santépublique, en détérminant, alors, la construction effective de dispositifs de lasanté collective. Il faut dire que, ce qui est en jeu, dans cette différenciationeffective des dispositifs sanitaires face aux menaces du tabagisme, ce ne sontpas seulement les discours de la science et de la médecine, mais aussi d’autresdimensions de l’ordre social, qui décrivent les domaines de l’éthique et de lapolitique dans l’expérience sociale.

Sur ce point, en ce qui concerne la loi brésilienne, nous pouvons direqu’elle s’est appuyée sur les normes instituées dans la tradition américaine etporte la marque incontestable de l’éthique protestante, pour me servir, ici, d’uneallusion à l’œuvre fondamentale de Weber.1

Celà parce que les références à la pureté et à l’impureté sont inscritesau premier plan du projet d’interdiction en discussion, quoique, maintenant,ces catégories fassent plutôt partie du terrain de la santé publique que de lathéologie. Ce n’est plus le péché qui est en cause, mais la propreté et la saleté

SUR LE RISQUE ETLE DANGER SOCIALLa loi anti-tabac en questionJoel Birman

Joel Birman est Psychanalyste,Professeur Titulaire de l’ Institutode Psicologia da UniversidadeFederal do Rio de Janeiro – UFRJ(Institut de Psychologie del’Université Fédérale de Rio deJaneiro- UFRJ), et ProfesseurAgrégé à l’Instituto de MedicinaSocial da Universidade do Estadodo Rio de Janeiro (Institut deMédicine Sociale de l’Université del’État de Rio de Janeiro), Docteuren philosophie par l’Universidadede São Paulo (Université de SãoPaulo), Maître en Santé Collectivepar l’Instituto de Medicina Socialda Universidade do Estado do Riode Janeiro (Institut de MédicineSociale de l’Université de l’État deRio de Janeiro), Directeur d’Étudesde Lettres et Sciences Humaines del’Université de Paris VII, Post-doctorat en Psychanalyse etPsychopathologie Fondamentale àl’Université de Paris VII, Chercheuragrégé du Laboratoire dePsychanalyse et Médecine del’Université de Paris VII.Auteur de plusieurs livres enportugais, français et espagnol,ainsi que d’ articles dans des revuesscientifiques, en portugais et enfrançais.

1 Weber, M. L´éthique protestanteet l´esprit du capitalisme. Paris,Plon, 1964.

• Joel Birman

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sur la cartographie de l’espace social, pour faire allusion à l’oeuvre de MaryDouglas2, qui a proposé la lecture sur le danger social, en citant les catégoriesci-dessus.

Alors, ce qui nous frappe, sur le terrain de la loi brésilienne, c’est saqualité draconienne de caractériser les fumeurs comme impures, tout comme,auparavant, se passaient avec la chasse aux sorcières et aux boissons alcooliques,dans la tradition américaine. On a, donc, détérminé l’interdiction de fumerdans les lieux publics, fermés et mi-fermés; l’occupation des chambres d’hôtels’est établie pour les fumeurs et les non-fumeurs, ainsi que le loyer des immeublessuivra cette même tendance dans l’avenir, tel qu’il existe déjà dans les États-Unis. De cette façon, le fumeur est la représentation de l’impureté et de lasaleté, violemment repoussé dans l’espace public.

Il y a aussi des lois anti-tabac dans d’autres pays, mais sans cettecaractéristique si rigide. Ainsi, l’ancienne définition de l’espace public, entreles espaces pour fumeurs et pour non-fumeurs, existe encore en Espagne et enArgentine. En d’autres pays européens, comme la France, il est interdit defumer dans les espaces fermés, mais on peut fumer dans les espaces mi-fermés.Celà nous révèle une autre mentalité au sujet du tabagisme, sans la présencedes traces sévères de la morale réformée sur le mal, dans sa lecture de la sphèrede la santé, de la maladie et de la mort.

L’intention de ce commentaire est de placer ce problème de façonschématique.

II. Déplacements

Dans les nouvelles générations, ce qui est surprennant, de façon claire,est le renforcement visible du numéro de consommateurs de boissons alcooliques,sans parler, bien sûr, de l’augmentation effective d’usagers de drogues stimulanteset de personnes obèses, en échelle internationale. Bien qu’en ce qui concernel’obésité, on entend beaucoup parler de la mauvaise qualité de la nourriture,mais il n’y aucun doute qu’ on voit aussi, de nos jours, une prolifération degourmands. J’habite à côté d’une grande université, devant laquelle il y a uncafé assez connu, très fréquenté par les étudiants. Je suis étonné de constaterla quantité élevée de boissons alcooliques que les jeunes ont l’habitude deprendre, n’importe leurs sexe. En effet, les garçons et les filles boivent vraimentet s’enivrent pour de bon, à la fin d’une journée après les classes, sur les tablesencombrées de bouteilles de bière.

Je ne blâme absolument pas les jeunes pour celà, bien entendu. Loin demoi, toute intention moraliste sur les libations des universitaires. Toutefois, cequi doit être dûment souligné c’est que celà ne se passe pas seulement avec lesjeunes, mais aussi bien avec d’autres secteurs de la société brésilienne, de façonincontestable.

2 Douglas, M. De la souillure.Études sur la notion depollution et de tabou. Paris, LaDécouverte, 1992.

(...) le fumeurest lareprésentationde l’impuretéet de la saleté,violemmentrepoussé dansl’espacepublic.

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Nous ne pouvons pas oublier que ces jeunes, et aussi la génération quiles a précédés, sont les représentants de la soi-disant génération “santé”, c’està dire, ceux qui ont été socialisés dans le culte de la bonne santé et des bonssoins physiques, pour lesquels l’impératif d’une bonne nutrition était attaché àla pratique du sport et des exercices physiques. Tout cela a été offert au nom dela promotion de la santé, de la longévité et de la prévention des maladies.Cependant, dans le projet sanitaire de la génération “santé” s’inscrivait,également, l’interdiction de fumer, par les dangers à la santé qui en résulteraient.

Je me souviens de la visite que j’ai faite chez des amis fumeurs, dans lesannées 90, et, de la porte de la chambre de l’un de ses enfants pendait unepancarte sur laquelle était écrit, en grosses lettres, “Interdit de Fumer”. Par cemoyen, le jeune homme avait rencontré la façon d’empêcher l’entrée des parentsdans sa chambre, s’ils étaient en train de fumer. Ainsi, la séparation prétendue,entre l’espace des fumeurs et des non-fumeurs, était déjà mise en place au seinde la famille, dans une foudroyante prévision de ce qui arriverait, plus tard,dans l’espace social plus étendu. Voilà, alors, déterminées les frontières entreles territoires des purs et des impurs, des propres et des sales, dans l’espaceprivé de la famille, en forgeant ainsi les lignes de force de l’espace social futur,au Brésil.

Toutefois, si j’évoque tout celà, dans les plusieurs registres d’uneethnographie amatrice et de souvenirs personnels, c’est pour mettre en évidencele déplacement qui s’est effectivement produit dans la société brésilienne. Eneffet, les jeunes ne fument pas, aujourd’hui, comme ils le faisaient autrefois,mais, en contrepartie, ils boivent et se droguent beaucoup plus, sans aucundoute. En plus, ils mangent beaucoup trop et voici pourquoi l’obésité est devenue,aujourd’hui, un problème crucial dans le domaine de la santé publique.

Dans une enquête menée par le Ministère de la Santé et publiée en Juin2010, on constate que les Brésiliens boivent beaucoup plus qu’avant,contrairement à une baisse importante de fumeurs dans la populationbrésilienne.3 D’ailleurs, il est évident, dans la même recherche, l’acroissementde l’obésité.4 C’est dispensable de parler ici de la progression significative de laconsommation de drogues stimulantes, ce qui est déjà de notoriété publique.

Dans les archives des stimulants, ce déplacement est, peut-être, l’effetle plus inattendu et paradoxal qui se soit produit dans la génération «santé».Ainsi, à partir de l’interdiction de fumer, la jeunesse a cherché une dérivationpour la contourner à travers l’alcool, les drogues stimulantes, et même par lanourriture. Par conséquent, au nom de l’impératif de la santé, le tabagisme aété remplacé par l’alcool, la drogue, et la nourriture.

L’échange a-t-elle été favorable à la population, sous le point de vue dela santé publique? Ce n’est pas à moi de répondre, immédiatement, à cettequestion, mais il me faut construire l’argument, en indiquant « la dance deschaises» dans le terrain de l’utilisation de stimulants.

3 O Globo, 1er cahier, edition du22 juin 2010, p. 12.

4 O Globo, 1er cahier, edition du22 juin 2010, p. 12.

• Joel Birman

28 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

En ce qui concerne les dommages et les risques pour la santé, je ne saispas si les effets du tabagisme sont pires, ou non, que ceux produits par l’alcool,les drogues et la nourriture. Je suppose qu’ils soient équivalents. Néanmoins,le déplacement et la substitution effective d’un stimulant par un autre sontdes donnéee épidémiologiquement prouvées.

III. Normalisation impossible

Cependant, ce déplacement démontre que les personnes cherchentcertaines formes d’excitation et de stimulation, produites par les voiesbiochimique et nerveuse, pour suporter le malaise présent dans l’existencesociale. Dans une boutade à ce sujet, l’acteur Dirk Bogarde n’a t’il pas dit quenous sommes venus au monde avec deux doses de whisky en moins ?

Toutefois, je suppose que Freud prendrait très au sérieux le commentaireironique de Bogarde. Et celà, parce que, dans son oeuvre “Malaise dans lacivilisation”, Freud affirmait que l’usage de n’importe quelle sorte d’éxcitants,c’est-à-dire, du tabac, des drogues stimulantes ou de l’alcool, représente unefaçon de l’homme maîtriser le malaise présent dans la modernité.5

En parlant strictement, la psychanalyse s’est établie en tant que savoir,pour analyser la relation entre le sujet et le déclaré malaise de la modernité. Cen’est pas le moment, ici, d’en faire une démonstration. Mais rappelons nousque l’appareil psychique se construirait pour chercher à dominer les excitationspulsionnelles résultantes de l’organisme, mais que, à la limite, il y aurait unentracte entre les dites excitations et l’expérience possible de satisfaction. Celàparce que ce qui serait offert resterait toujours à un niveau en-dessous de cequi serait désiré, de sorte que la frustration et l’angoisse seraient, à la limite,inévitables. Dans cette perspective, le sujet devrait apprendre à coexister avecles frustrations et l’angoisse pour vivre relativement bien. Enfin, voilà ce quel’expérience psychanalytique prétendrait offrir au sujet.

Cependant, sur ce point-là, la psychanalyse nous apprend que cetteexcitation est constante et inévitable, car nous tous y sommes soumis, de façoninsistante. La base de notre angoisse y serait, aussi bien que le malaise quinous dérange, en permanence. Pour réglementer l’excitation pulsionelleinévitable et insistante, et aussi l’angoisse et la frustration qui en résultent, lessujets sont portés à la recherche de stimulants de différentes espèces, y comprisle tabac, l’alcool, les drogues stimulantes et la nourriture.

Toutefois, lorsque je parle de Freud et de la psychanalyse, je ne veuxpas dire que la psychanalyse soit le baume qui sauvera l’humanité des maux del’excitation pulsionelle. Loin de moi la prétension de soutenir une idée tellementbizarre et, même, sinistre. Mais ce que la psychanalyse nous montre clairementc’est bien l’entracte qui existe entre l’impératif constant de l’excitation et les

5 Freud, S. Malaise dans lacivilisation. (1930). Paris, PUF,1970.

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possibilités effectives de satisfaction, pour le sujet, dans la modernité. Ici, seposeraient les conditions concrètes de la possibilité du malaise de la modernité.

Une fois que ces sujets, dans cette possibilité, sont formellement égauxdevant la loi, ils ne peuvent pas avoir accès aux biens qui promeuvent le plaisir,d’une façon égalitaire. Avec cette distribution inégale des biens qui promeuventle plaisir, l’angoisse et le malaise sont aussi inégalement répartis, entre lapopulation.

Cela implique à dire que cet entracte, référé par Freud, ne peut êtresoumis à un processus de normalisation,6 tel que les discours médicaux etsanitaires prétendent établir par la voie de la loi anti-tabac, ou de n’importequelle autre loi, qui aurait pour but réglementer les boissons, la nourriture etles drogues stimulantes. C’est à cause de celà, que les déplacements dans leregistre des stimulants ont été produits, comme je l’ai indiqué ci-dessus. Eneffet, si le sujet ne peut pas fumer, il se déplace du tabac à l’alcool, aux droguesstimulantes ou à la nourriture.

Cependant, ce qui est aussi polémique, dans ce débat, est la notion durisque présent dans le discours de la médecine. La notion du risque ressort d’uncadre de réflexion théorique fondé sur le déterminisme strict, sans que l’onconsidère, également, une lecture probabiliste et conjecturale de cette catégoriethéorique. Le risque, en effet, ne se réduit pas à une dimension strictementbiologique, mais il s’inscrit aussi dans une dimension symbolique et sociale,qu’il faut mettre en évidence. Pour cette raison, il faut inscrire le risque dansune perspective probabiliste et conjecturale, et l’inclure dans le terrain d’unelecture interdisciplinaire sur la santé, la maladie et la mort.

Comme je l’ai déjà dit, la distribution des moyens pour obtenir le plaisirest inégale. Ainsi, l’angoisse et le malaise des sujets sont aussi inégalementdistribués parmi la population. Par conséquent, l’insatisfaction sociale s’esttoujours transformée en danger social, aux yeux du pouvoir, dans la modernité.Le dispositif de la santé publique, depuis le XIXe siècle, a été marqué par latentative de déterminer le danger social, produit dans la modernité, par laconstruction de dispositifs sanitaires déstinés à la regulation des risques, aunom des impératifs du discours scientifique.7 Enfin, les limites du discours de lasanté publique se situeraient ici, pour faire face au danger social que, commeen témoignent les déplacements dans chaque domaine de stimulants, se déplacecomme un caméléon.

6 Foucault, M. Il faut défendre lasociété. Paris, Seuil/Gallimard,1997.

7 Foucault, M. Naissance de laclinique. Paris, PUF, 1963.

• Joel Birman

Le dispositif dela santépublique,depuis le XIXesiècle, a étémarqué par latentative dedéterminer ledanger social,produit dans lamodernité, parla constructionde dispositifssanitairesdéstinés à laregulation desrisques, au nomdes impératifsdu discoursscientifique.

30 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

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EN DÉFENSE DESACCOMPLISSEMENTS, NON PASDU STYLE, DU MOUVEMENTANTITABAC:réponse au texte «Fausse cible: en défense desfumeurs» de Luiz Castro Santos

Geoffrey C. Kabat

Dans son essai à nous faire réfléchir « Fausse cible: en défense desfumeurs »1, le professeur Castro Santos prend une position, rarement formuléedans les milieux intellectuels. Si je comprends bien, son principal argument soutientque l’épidémiologie et les établissements de santé publique encouragent undiscours autoritaire et dogmatique sur l’usage du tabac et transforment les fumeursen parias. Il fait appel à la «sociologie» pour qu’elle affronte, résiste à l’hégémoniede la santé publique et défende les «espaces d’intéraction conviviale».

Le Professeur Castro Santos évoque un certain nombre de pointsimportants, qu’il est capable de contempler avec son regard de sociologue médicalet de sa sensibilité à la tradition en sociologie, qui comprend des personnalitéstelles qu’ Erving Goffman, Howard Becker, et Michel Foucault. Je suis d’accordavec plusieurs de ses points clés: qu’il y a, en effet, une pression puritaine etabsolutiste dans le mouvement antitabac; que les chercheurs dans l’arène de«tobacco control» ont leurs propres conflits d’intérêt inavoués; que souvent lascience inconsistante est utilisée pour appuyer le programme du mouvement;que les distinctions et les valeurs cruciales se perdent dans la croisade pourdiaboliser le tabac.

J’écris comme un épidémiologiste qui a tenté de comprendre commentles résultats des études épidémiologiques ont été déformés et exagérés, tandisque des découvertes scientifiques, faibles dans certains domaines, peuvent êtretransformées en dogme.2 Ce dogme est ensuite repris par certaines disciplines,groupes et institutions et il devient très difficile de le remettre en question.Ainsi, il y a beaucoup de points communs entre le professeur Castro Santos etmoi-même.

Toutefois, en dépit de nos pensées communes, nous différons sur lafaçon par laquelle la société doit traiter la réalité du tabagisme. Peut-être, celàse doit au fait que mon domaine à moi est la santé publique et l’épidémiologie– même en étant un critique virulent de certaines tendances de l’utilisation del’épidémiologie – alors que le professeur Castro Santos est un sociologue, deformation.

1 SANTOS, Luis A. Castro. “Alvoequivocado: em defesa dosfumantes”(Fausse cible: en défensedes fumeurs).

2 KABAT, Geoffrey C. Hyping HealthRisks: Environmental Hazards inDaily Life and the Science ofEpidemiology. New York: ColumbiaUniversity Press, 2008.

• Geoffrey C. Kabat

Geoffrey Kabat est unÉpidémiologiste, un spécialiste ducancer dont les recherches seportent sur les effets dutabagisme, de l’alcool, des régimesalimentaires, des hormones, dupoids, des champsélectromagnétiques et d’autresfacteurs. Il a été Professeur à laState University of New York(l’Université de l’État de New York)à Stony Brook, et à l’AlbertEinstein College of Medicine (Écolede Médecine Albert Einstein). Il apublié plus de 100 articlesscientifiques et est actuellementÉpidémiologiste senior à l’AlbertEinstein College of Medicine (Écolede Médecine Albert Einstein). Sonlivre, Hyping Health Risks:Environmental Hazards in DailyLife and the Science ofEpidemiology (La publicité desrisques pour la santé: les dangersenvironnants dans le quotidien etla science de l’épidémiologie), aété publié par Columbia UniversityPress en 2008.

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J’aimerais commenter sur quelques opinions soulevées, par le professeurCastro Santos, et identifier plusieurs aspects du problème qui méritent unediscussion plus approfondie. À mon avis, il y a deux questions séparées quidoivent être énoncées clairement. Tout d’abord, quels sont les faits pertinentsconcernant l’usage du tabac et ses effets sur la santé? Deuxièmement, étantdonné cet ensemble de connaissances, quelles sont les politiques que la sociétédevrait adopter pour promouvoir la santé et le bien-être, et quelles seraient lesautres considérations et valeurs qui devraient être envisagées dans l’élaborationde ces politiques?

Dans l’exposé du professeur Castro Santos, un aspect n’a pas reçu lerelief espéré, c’est-à-dire, une appréciation complète sur ce que nous avonsappris, dans les dernières soixante années, sur les effets du tabac. Je suis biend’accord que les données sur le tabagisme, particulièrement sur le tabagismepassif, sont systématiquement mal présentées, il est, donc, important de rendrejustice aux faits essentiels qui caractérisent l’usage du tabac. À savoir. La plupartdes gens commencent à fumer à un âge où ils ne sont pas pleinement développés,neurologiquement, et où ils croient, encore, qu’ils vivront pour toujours. Chezles jeunes, la décision de commencer à fumer est fortement influencée parl’exemple des parents qui sont des fumeurs, par la pression de ses copains, etpar la publicité des compagnies de tabac, etc. Le tabagisme suscite une fortedépendance, chez une proportion significative de fumeurs, et, pour cespersonnes, il peut être pratiquement impossible de s’arrêter de fumer. En outre,comme nous l’avons appris, le tabac est associé à des risques augmentés demaladies chroniques et mortelles (le cancer des poumons, le cancer du systèmedigestif supérieur, l’emphysème, etc), à des risques plus modérément accrusd’autres maladies (surtout, des maux cardiaques) et à des risques accrus demortalité, en général.

Il est important de souligner que le cancer du poumon était une maladietrès rare, au début du 20ème siècle (figure 1)3. (Quand un cas de cancer dupoumon était diagnostiqué à l’hôpital, les médecins et les étudiants étaientconvoqués pour voir cette maladie inhabituelle, en première main.) Cependant,au début du dernier siècle, après l’introduction des cigarettes fabriquées etleur distribution aux troupes américaines, au cours de la Première Guerremondiale, la prépondérance du tabagisme a augmenté fermement. Aux ÉtatsUnis, avec un délai de plusieurs décades, le taux de mortalité de cancer dupoumon, chez les hommes, a augmenté d’environ 5 pour 100.000, en 1930, età plus de 90 pour 100.000, en 1990. Dans les dernières vingt années, aux États-Unis, les taux de cancer du poumon, chez les hommes, ont fortement baissés,dû à l’affaiblissement de la prépondérance du tabagisme, néanmoins, ils sontencore très élevés. Quelques décades après, aux États-Unis, une épidémie decancer du poumon survient, chez les femmes, et atteint son comble. Ainsi,dans la Figure 1, nous avons une représentation graphique de l’épidémie detabagisme, fondée sur le cancer du poumon, aux États-Unis. Un graphique

3 American Cancer Society.Cancer Facts and Figures 2009.Atlanta: American CancerSociety, 2009.

Quels sontles faitspertinentsconcernantl’usage dutabac et seseffets sur lasanté?

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similaire est disponible représentant l’épidémie chez les femmes. (http://www.cancer.org/downloads/STT/Cancer_Facts_and_Figures_2010.pdf).

En raison du déclin de la consommation de cigarettes dans les paysdéveloppés, l’industrie du tabac encourage la consommation, agressivement,dans les pays en développement. En conséquence, au cours du temps, ces paysvivront, inévitablement, l’expérience de leurs propres épidémies de maladiesassociées au tabac.

En observant l’impact total du tabac sur la mortalité, les épidémiologistesDoll et Peto ont estimé, qu’au Royaume-Uni, presque la moitié des fumeursréguliers de cigarettes finira par être tuée, par leur habitude.4 Toutefois, enregardant le côté positif, ceux qui s’arrêtent de fumer, dès le début ou à l’âge-mûr, réduisent, considérablement, leur risque de mourir prématurément d’uncancer du poumon, de maladies cardiaques et d’autres maladies liées autabagisme.

Figure 1.

Taux de mortalité par cancer selon tranche d’âge.* Hommes par position, EUA, 1930-2005

*Par 100.000 ajustés par tranche d’âge de la population standard des E.U.A. en 2000.

Observation: Dû à des changements de codage de l’ICD – International Classification ofDiseases (Classification Internacionale de Maladies – CIM), les números ont changé aucours du temps. Les taux de cancer du foie, poumons et bronches, côlon et rectum ont étéaffectés par ces changements de codage.

Source: Les Données de Mortalité aux E.U.A., 1960 à 2005. Les Volumes sur la Mortalitéaux E.U.A., 1930 a 1959. Centre National de Statistique de la Santé, Centres de Contrôle etPrévention de Maladies, 2008

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4 DOLL, R., PETO R., BOREHAM, J.& SUTHERLAND, I. Mortality inrelation to smoking: 50 years’observations on male Britishdoctors. BMJ, 2004. Doi:10.1136/bmj.38142.554479.AE

• Geoffrey C. Kabat

34 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

Finalement, il y a une relation dose-réponse entre l’exposition d’unindividu à la fumée du tabac (mesurée par le nombre de cigarettes fumées parjour, par la durée de cette habitude, etc) et le risque de maladies causées par letabagisme. L’existence d’une relation dose-réponse a deux implications majeures.Premièrement, fumer, même de façon modérée à faible, augmentera,naturellement, le risque de maladies, si l’on compare au fait de ne pas fumerdu tout. Cependant, et voilà le message important pour la réduction desproblèmes, si un fumeur de 20 cigarettes par jour, n’arrive pas à s’arrêter, maiss’ il arrive à réduire sa consommation à 5 cigarettes par jour, à la longue, celàentrâinera une réduction substantielle de ses risques de maladie.

Pour moi, la plupart des scientifiques s’entendent sur ces faits capitauxqui concernent l’usage du tabac. Plus important encore, je crois que, l’existencede cet ensemble de connaissances exerce, inévitablement, un effet sur la façonpar laquelle le tabagisme est considéré. (Nous ne pouvons pas revenir à l’époquenaïve, où fumer était vu comme une habitude inoffensive ou même bénéfique,et qui plus est, par les médecins).

Ainsi, je serais plus prudent sur la question d’ignorer le tabagisme«modéré» et «faible», comme semble faire le professeur Castro Santos. Oui, il ya d’autres comportements et d’autres facteurs qui peuvent atténuer ou amplifierles effets du tabagisme, chez des individus différents, mais, surtout, on s’attendà ce que les fumeurs modérés aient des taux plus élevés de maladies associéesau tabac, par rapport aux fumeurs faibles; que les fumeurs faibles aient destaux plus élevés, de ces maladies, par rapport à ceux qui n’ont jamais fumé.Oui, il y a des gens qui peuvent fumer peu – ou même beaucoup – et rester enbonne santé, jusqu’à un âge avancé. Mais nous ne pouvons pas déterminer lesporteurs de facteurs génétiques favorables qui les protègent contre les toxineset les substances cancérigènes, présentes dans la fumée du tabac. Et ce n’estpas seulement, chez les gros fumeurs, que les maladies, liées au tabagisme, sedéveloppent. (En contrepartie, il faut bien noter que la durée de l’habitude defumer (i.e., le nombre d’années) est un facteur de risque très important, et nonseulement combien on fume).

Passons, ensuite, à ce qu’on connaît sur les effets de l’exposition à «lafumée secondaire du tabac », également désignée de « tabagisme passif », ou«fumée ambiante du tabac » (FAT). Tout d’abord, le tabagisme passif a attirél’attention générale, en 1981, quand une étude, provenante du Japon, semblaitindiquer que les femmes non-fumeuses, de maris qui fumaient, avaient destaux plus élevés de cancer du poumon, que les femmes non-fumeuses de marisqui ne fumaient pas. De nombreuses études ultérieures ont été effectuées, etdes rapports gouvernementaux ont été émis, en déclarant que le tabagismepassif était une cause de cancer du poumon. Cependant, ce n’est que plus tard- au milieu des années 1990, que des études soigneuses de mensuration ont étéeffectuées, dans 16 villes aux États-Unis et en des villes en Europe et en Asie.Ces études ont indiqué que l’exposition moyenne à la fumée ambiante du tabac,

Nous nepouvons pasrevenir àl’époquenaïve, oùfumer étaitvu commeune habitudeinoffensiveou mêmebénéfique, etqui plus est,par lesmédecins.

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chez les non-fumeurs, s’élèvait à un millième de l’exposition à la fumée dutabac des fumeurs actifs moyens. En moyenne, ceux qui étaient exposés autabagisme passif inhalaient l’équivalent à environ 8 cigarettes par an.5 Il estintéressant d’observer que ces études, réalisées par Roger Jenkins, aux États-Unis, et par Keith Phillips, au Royaume-Uni, en Europe et ailleurs, ont étéproduites après la publication du rapport très inffluent, de 1992, de l’USEnvironmental Protection Agency – EPA (Agence Américaine de Protection auMilieu Ambiant), qui a déclaré que la fumée ambiante du tabac était un«cancérogène humain connu». La publication de l’EPA, et d’autres rapports,ont aidé à créer un dogme, en ce qui concerne les effets de la fumée ambiantedu tabac, qui ne pouvait pas être remis en question. Il n’était plus acceptabled’aborder cette question avec une attitude scientifique. Un symptôme de cettementalité est que les rapports officiels ultérieurs n’ont même pas cité lestravaux de Jenkins et Phillips, sans doute parce qu’ils auraient affaibli le casdes effets importants à la santé, dûs à l’exposition passive à la fumée. Depuis,de grandes études épidémiologiques prospectives ont montré une association,bien que très faible, (une hausse d’environ 25% du risque de cancer du poumonet de maladies cardiaques, chez ceux qui sont exposés, en comparaison à ceuxqui ne le sont pas) ou aucune association entre l’exposition à la FAT et lecancer du poumon ou les maux cardiaques.6 Mais une association de cetteampleur pourrait bien être expliquée par la confusion et les préjugés qui peuventaffecter les études d’observation. Des épidémiologistes de très bonne réputation,y compris Sir Richard Peto, John Bailar, et Ernst L. Wynder se demandent sil’épidémiologie a la possibilité de détecter des risques si faibles, tels que ceuxassociés à la FAT.

Récemment nous avons reçu des leçons instructives démontrant commentnous pouvons être induits en erreur par les résultats d’études observationelles(c’est-à-dire, non-expérimentales), par example, à propos des bénéfices/risquesde la hormonothérapie après la ménopause. Cependant, ces leçons n’ont pasété appliquées aux études sur les effets de la FAT.Mon point est que la science,en concernant les effets de l’exposition à la FAT, est beaucoup plus fragile quecelle concernant les effets du tabagisme actif. Et celà va de soi, puisque letabagisme actif est une chose que les fumeurs font régulièrement, donc ilspeuvent bien renseigner les chercheurs sur: l’âge à laquelle ils ont commencé àfumer, combien de cigarettes fument-ils (ou ont fumé) habituellement, parjour, pendant combien de temps ont-ils fumé, s’ ils ont cessé de fumer et, sioui, depuis combien de temps, tandis que l’exposition à la FAT est si diffuse etvarie tellement, avec le temps, que nous ne sommes pas en mesure d’estimerl’exposition d’une personne, au cours de décades. Ainsi, il convient de soulignerque l’exposition passive à la fumée ambiante est chose très différente quefumer, faible ou modérément. Lorsque les premières études semblaient lier letabagisme passif à des maladies mortelles, la question du tabagisme passif estdevenue utile au mouvement antitabac, car une chose était les fumeurs raccourcirleur propre vie, de leur gré; mais si, tout de même, il y avait des évidences

6 KABAT, G.C. “The ControversyOver Passive Smoking.” HypingHealth Risks: EnvironmentalHazards in Daily Life and theScience of Epidemiology. NewYork: Columbia University Press,2008, capítulo 6.

• Geoffrey C. Kabat

5 KABAT, G.C., Hyping HealthRisks: Environmental Hazards inDaily Life and the Science ofEpidemiology. New York:Columbia University Press, 2008,pp. 164-165.

36 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

scientifiques qui indiquaient que l’exposition à la FAT pouvait provoquer unemaladie mortelle chez les non-fumeurs, celà fournissait une arme beaucoupplus puissante, qui pourrait être utilisée à l’opposition à l’industrie du tabac età la réduction de la prépondérance du tabagisme. Une fois ce dogme établi, ilétait vraiment hors de propos essayer d’évaluer la solidité de la science relativeà la FAT, et quiconque le ferait, pourrait être discrédité comme un affilié del’industrie du tabac.

Puisque nous sommes sur le sujet du tabagisme passif, je dirais, quemême l’étude de 1981 par Trichopoulos, sur le tabagisme passif en Grèce, que leprofesseur Castro Santos admire, doit être examinée de manière critique. Toutd’abord, il s’agissait d’une étude de cas-témoin (case-control), et, en tant quetel, il est possible que les femmes, diagnostiquées d’un cancer du poumon parl’ exposition au tabagisme de leur mari, ne se souviennent que, différemment,des questions de contrôle. Par contre, le fait qu’il existe une association (c’est-à-dire, une corrélation) entre la survenue du cancer du poumon et le tabagismedes maris, celà ne nous révèle pas quel était le degré de l’exposition. Aucuneinformation n’a été recueillie sur combien de temps les couples passaientensemble. En Grèce, les hommes ont tendance à passer leur temps libre à lataverne avec d’autres hommes, il n’est, donc, pas du tout clair si l’exposition aeu lieu réellement. Enfin, le risque double obtenu dans l’étude de Trichopoulosest beaucoup plus élevé que dans la plupart des autres études (moyenne derisque relatif = 1,25).7 Encore une fois, parce que les conclusions, comme cellesde Trichopoulos, sont si fascinantes et si utiles, peu de gens se sont déterminésà les examiner critiquement.

Je suis d’accord qu’il ne faut pas adopter une attitude moraliste etstigmatisante envers les fumeurs. Les fumeurs ne sont pas méchants, ils sont,tout simplement, dépendants de la nicotine, psychologiquement dépendantsdu tabagisme – ou les deux. Mais je pense que le « droit de fumer » a été tenupour acquis, pendant trop longtemps, alors qu’il a fallu des décades pour que leprincipe – les non-fumeurs ne devant pas avoir à respirer de la fumée de tabac– s’impose. Quoi qu’on pense sur la létalité de la fumée ambiante de tabac, nepas avoir à se tenir debout, dans une queue, dans un bureau de poste malventilé, derrière quelqu’un qui fume une cigarette ou un cigare, il me sembleun énorme pas vers une société civilisée. Néanmoins, à mon avis, les autoritésauraient commis une erreur en pensant que, pour justifier les restrictions autabagisme, elles devraient s’appuyer sur la science inconsistante, reliant la FATà des maladies mortelles. L’interdiction de fumer devrait être fondée suresthétique et sur la déférence envers le prochain. Je dis «esthétique» parce ceque les enquêtes ont démontré que même les fumeurs préfèrent ne pas êtreexposés à la fumée des autres et considèrent le tabagisme comme une habitudesale. La déférence envers le prochain comprend une conscience que certainssouffrent d’asthme ou de troubles respiratoires divers, et d’autres, toutsimplement, trouvent la fumée des cigarettes désagréable. Mais cette approche

7 TRICHOPOULOS, D.,KALANDIDI, A., SPARROS, L.,MACMAHON, B. Lung cancerand passive smoking. Int JCancer, 1981; 27:1-4.

L’interdictionde fumerdevrait êtrefondée suresthétiqueet sur ladéférenceenvers leprochain.

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n’aurait pas eu le même poids juridique qu’a l’affirmation que la FAT provoquele cancer du poumon.

Bien que je ne puisse pas être enchanté avec les méthodes employéespar le mouvement antitabac – l’auto-justice, le dogmatisme, et la distorsion dela science – j’approuve, de tout mon coeur, le résultat – car les restrictions ontcontribué à affaiblir davantage la prépondérance du tabagisme et, qu’avec letemps, celà indiquera que moins de personnes développeront des maladiesassociées au tabac. Dès 1964, lorsque le premier rapport, sur le tabagisme et lasanté du Surgeon General’s Report on Smoking and Health, a été publié, laprépondérance du tabagisme, aux États-Unis, a tombé de 43% à environ 21%.Au Royaume-Uni, une diminution encore plus grande est advenue. Le tabagismeest devenu, aujourd’hui, de façon disproportionée, une habitude de ceux quiont peu d’instruction.

Je suis entièrement d’accord avec le professeur Castro Santos que lesfumeurs, qui sont maintenant une minorité assiégée, ne devraient pas êtrestigmatisés. Il n’est pas réaliste de penser que, même avec les efforts combinésdes institutions antitabac, des établissements de santé, et du gouvernement, letabagisme sera complètement éradiqué dans un avenir proche. Mais, pourtant,je ne suis pas enclin à déplorer la perte de cette pratique particulière – autantqu’elle ait contribué à l’ambiance des cafés parisiens. Nous devons éviter desuccomber à la nostalgie du glamour de la cigarette, qui atteignit son climaxau milieu du siècle passé. Après tout, ceux qui développent l’emphysème, diverscancers et maladies cardiaques ne seront pas en mesure de profiter – oucontribuer aux «espaces d’interaction conviviale». Avant tout, je pense quenous devons trouver des moyens efficaces pour dissuader les jeunes decommencer à fumer, car ils sous-estiment le vice et ses conséquences à longterme.

Après avoir articulé mon point de vue sur cette question, je suisconvaincu que le professeur Castro Santos et moi pourrons nous mettre d’accordsur un certain nombre de points. Tout d’abord, ce qui est vraiment nécessairec’est la formation continue, adaptée à la population cible, et non pas de lapropagande moraliste. Deuxièmement, les fumeurs ne devraient pas êtrestigmatisés comme faibles, immoraux, ou mauvais. Troisièmement, il devrait yavoir des limites à l’interdiction de fumer, définies, en partie, par le bon sens.Par exemple, il est absurde d’interdire de fumer sur les plages ou à peu près 7.5mètres de distance des bâtiments, pour des raisons de santé, comme il estarrivé dans certaines communautés. Enfin, plutôt que de l’absolutisme, qu’uneseule conduite «taille unique» – qui ne fasse aucune distinction entre lesdifférents produits du tabac; (je parle des snus type suédois, qui, à ce qu’ilparaît, éliminent jusqu’à 95% du risque de cancer associé au tabagisme et pourraitsauver des millions de vies, partout dans le monde8) pour des individus différents,des styles différents de consommation – l’abord de la réduction des méfaits abeaucoup plus de valeur et beaucoup plus à offrir.

• Geoffrey C. Kabat

8 RODU, B., PHILLIPS, C.V.“Switching to smokelesstobacco as a smoking cessationmethod: evidence from the2000 National Health InterviewSurvey.” Harm ReductionJournal 2008; 56:18.http:www.harmreductionjournal.com/content/5/1/18

Nous devonsapprendre àéduquer etpréparer lapopulationpour lesfacteursimportants dustyle de vie, quiont un impactréel sur la santéet la longévité,sans devenir unétat paternel etsans intervenirdans la vie desgens et dansleur décisionspersonnelles.

38 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

En conclusion, je pense que nous devons prendre au sérieux ce quenous avons appris sur les effets nocifs du tabagisme à la santé. Mais, en mêmetemps, nous devons être très conscients de la tendance à passer au-delà de lascience et à stigmatiser les groupes qui se lancent dans des comportements«malsains». Le Professeur Castro Santos est tout à fait correct et il a certainementraison de dire que quelque chose de valeur est détruite, à chaque fois que lasociété bannit un de ceux qui s’écartent de ce qui est considéré un modèle dela santé idéale. Nous devons apprendre à éduquer et préparer la populationpour les facteurs importants du style de vie, qui ont un impact réel sur la santéet la longévité, sans devenir un état paternel et sans intervenir dans la vie desgens et dans leur décisions personnelles. Cependant, il est très difficile detracer une ligne, au bon endroit, dans ces questions si sensibles et litigieuses.Le Professeur Castro Santos a apporté une contribution importante pour atteindrecet objectif.

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“...le résultat final de la croisade morale est la force de police.”H.Becker (1966)

L’essai du professeur Castro-Santos est, selon ses propres termes, unappel aux sociologues à la tâche urgente de la réflexion sur un processushistorique récent, qui, en plus d’être sociologiquement intéressant, produitdes impacts importants au niveau de l’exercice des droits, en mettant en questionles limites de l’intervention de la santé publique dans les sociétés libérales. Lastigmatisation des fumeurs, progressivement exclus des différents espacessociaux, est au cœur de ce processus.

Dans la première partie du texte, la discussion tourne autour de laconstruction des évidences scientifiques qui sont la base de la politique actuelleanti-tabac. Tel qu’a rappelé Castro-Santos, la transformation de la fumée decigarette, avant perçue seulement comme gênante ou desagréable, en facteurvérifiable et, surtout, quantifiable du risque à la santé des non-fumeurs, sesoutient par des études epidémiologiques. Telles études justifient les actionsdes mouvements sociaux contre le tabagisme et servent de base aux rapportsgouvernementaux, à travers lesquels l’opinion publique est informée sur lesdommages provoqués par la cigarette des autres. Dans une large mesure, lespartisans du bannissement de la cigarette des lieux publics considérent cettedécision comme légitime parce qu’elle serait ancrée sur des connaissancesscientifiques solides. Ainsi, ils demandent de l’État une action qui s’ajuste bienavec la science. Tel que l’a récemment affirmé le médecin et croisé de la bonnesanté, Dráuzio Varella :

« Défendre le droit d’obliger les environnants à fumer passivement et,de même, la liberté du citoyen de nuire à autrui, sans l’ingérence de l’État,n’est plus à la mode » [et] « justifier cette ligne de pensée, c’est tomber dans leridicule» (Folha de São Paulo, 19/06/2010).

Comme on le voit dans le discours du médecin, que les fumeurs puissentnuire à la santé de leur entourage n’est plus une hypothèse probable, mais unfait incontestable qui doit motiver l’intervention de l’État. Ceux qui osentcontester cette position sont discrédités par un langage que seulement ceux

OÙ IL Y A DE LA FUMÉE, IL Y ADE LA DÉVIATIONJosué Laguardiaet Sérgio Carrara

• Josué Laguardia et Sérgio Carrara

Josué Laguardia est Médecinavec Doctorat par l’Escola Nacionalde Saúde Pública – ENSP (ÉcoleNationale de Santé Publique –ENSP) et Chercheur de l’ Institutode Informação e ComunicaçãoCientífica e Tecnológica em Saúdeda FIOCRUZ (Institut d’Informationet Communication Scientifique etTechnologique en Santé de laFIOCRUZ). Auteur d’articlespubliés sur les thèmes suivants:évaluation des technologiesd’information et decommunication sur la santé, larace et la surveillance en santé. E-mail: [email protected]

Sérgio Luis Carrara estAnthropologue avec Doctorat parle Museu Nacional / UFRJ (MuséeNational / UFRJ), Professeur deMédecine Sociale de l’Instituto deMedicina Social da Universidadedo Estado do Rio de Janeiro – UERJ(Institut de Médicine Sociale del’Université de l’État de Rio deJaneiro- UERJ), et Chercheur dansle domaine de l’Anthropologie duCorps et de la Santé. Il a publiédes articles sur les sujets suivants:la sexualité, le sexe,l’homosexualité, les droits del’homme et la violence.

40 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

qui se croient vainqueurs peuvent utiliser: ils sont accusés de «ridicules» d’être«dépassés». En effet, dans les années 1980, la «découverte» des risques, pourla santé des non-fumeurs provoqués par l’exposition à la fumée de la cigarette,a révolutionnée le mouvement anti-tabac et a été cruciale pour les mesureslégislatives qui l’ont suivie. À ce moment, on vérifiait déjà une baisse dans lenombre de consommateurs de cigarettes, mais le débat sur le tabagisme, considéréà l’époque comme un comportement autodestructif, subirait une sorte dereconfiguration morale, quand son objectif principal s’est transformé, depréoccupations concernant la santé des fumeurs, en impact de leurcomportement sur la santé d’autrui. Le déplacement rhétorique, de la santédes fumeurs vers les droits des non-fumeurs, et l’apparition de termes tels que: le « tabagisme passif », « la fumée secondaire », « le tabagisme involontaire »et « la fumée ambiante du tabac » la FAT (ou l’ETS, en anglais, « Environmentaltobbaco smoke »), évoque une situation où le risque n’est plus une question de«choix», mais d’imposition.

La condition de vérité, attribuée au risques du «fumeur secondaire»,mérite, certainement, une discussion plus approfondie qu’il n’est pas possiblede faire ici. Nous soulignons, cependant, que les études sur le risque à la santépar la FAT présente des résultats contradictoires et qui pourraient remettre enquestion les actions de bannimment de l’usage du tabac dans les lieux publics.L’estimation de l’exposition basée sur l’autodéclaration des antécédents detabagisme des conjoints, les erreurs de classification de la situation de fait desfumeurs et de l’exposition, les effets de la confusion qui limitent l’analyse auxpersonnes qui n’ont jamais fumé ou au manque de contrôle de l’expositionsimultanée avec la pollution de l’air, soulignent la complexité présente dansles enquêtes sur l’association entre la fumée des cigarettes et l’apparition demaladies relatives. En outre, les évidences scientifiques, provenantes de révisionsde la littérature epidémiologique sur cette association, sont influencées par lavoie de publication, c’est-à-dire, les tendances des chercheurs à soumettre sesmanuscrits et des éditeurs de les accepter, appuyés sur la signification statistiquedes résultats de la recherche. LeVois & Lyard (1995) ont démontré l’existencede biais de publication, lorsqu’ ils ont comparé les estimations, des risquesrelatifs agrouppés, obtenues à partir de la méta-analyse des études publiéessur l’association de la FAT et les maladies cardio- coronariennes, - RR: 1,29(1,18 – 1,41) et des études qui n’avaient pas été publiés - RR: 1,00 (0,97 –1,04). Lorsqu’elles sont publiées, les études aux résultats négatifs peuvent êtrecible d’accusations de défauts méthodologiques ou de mauvaise conduitescientifique, bien qu’elles ait été approuvées après une révision par des pairs.En affirmant que les résultats de leurs études suggèraient que les effets de laFAT, notamment pour la maladie cardio-coronarienne et pour le cancer despoumons, étaient considérablement moins graves de ce qu’on le croyait, l’articlede James Enstrom et Geoffrey Kabat (2003), par exemple, a provoqué un volumeexpressif de réponses, dont beaucoup avec des allégations de conflits d’intérêtssous l’hypothèse que la recherche aurait été financée par des fonds de l’industrie

(...) les étudessur le risque àla santé par laFAT présentedes résultatscontradictoireset quipourraientremettre enquestion lesactions debannimmentde l’usage dutabac dans leslieux publics.

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du tabac. En 2007, Enstrom (2007) a fait une description détaillée du processusde discrédit publique duquel son article de 2003 a été l’objet. Il a appelé telleaction de «MacCarthysme scientifique» et il a souligné le rôle de l’activismeanti-tabac de l’American Cancer Society. Ses réponses à ces attaques étaientfondées sur les résultats d’autres études et sur l’avis d’experts de la santé publiquequi montrent la surestimation des risques, les stratégies pour la renforcer, grâceà des révisions sélectives de la littérature, aussi bien qu’aux déclarations dechercheurs éminents.

Cependant, la connexion causal, entre la fumée de cigarette et lesproblèmes de santé chez les non-fumeurs, n’étant pas soumise à une analysecritique, a été considérée comme scientifiquement prouvée. Les autoritéssanitaires, alors, ont pu proposer aux pouvoirs publiques des actions coercitivesqui, en suspendant les droits fondamentaux liés à la liberté et à la propriété,ont promis d’éradiquer la cause et d’éliminer le problème à son origine. Larsen(2008) attire l’attention sur le rapide changement des faits en normes et sur lafaçon dont l’arène politique des prises de décision, en santé publique, a étéremplacée par des pouvoirs supérieurs, d’une invoquée nécessité légale etd’impératif politique. Pour cet auteur, il était attendu que les politiciens aientune attitude plus ou moins paternaliste à l’égard des victimes, mais pas que lesfumeurs soient traités comme des citoyens qui méritent d’être entendus etd’avoir leurs opinions respectées. Au nom de la santé publique, aux propriétairesde bars, de restaurants, de cafés ou d’ hôtels n’est pas reconnu, par exemple, ledroit de décider librement si leurs établissements seront déstinés à des fumeurs,à des non-fumeurs ou aux deux. Le tabac deviendra, de plus en plus, unedrogue illicite et le fumeur, une éspèce de marginal. Dans la santé publique, lesinterventions stratégiques sont généralement conçues à travers de métaphoresde guerre et la rhétorique présente, dans les discours des autorités, est d’attaquer,conquérir et éliminer, plutôt que de promouvoir l’exercice de la prudence, del’équilibre et de la retenue (Hall, 2003). Dans cette guerre, le fumeur est l’ennemiqui doit être éliminé de l’espace public et les espaces privés sont contrôlés pardes études epidémiologiques à la recherche de nouvelles évidences qui puissentservir de base à des actions encore plus sévères.

L’importance croissante de l’epidémiologie dans la construction depreuves scientifiques sur le risque de la fumée passive, et la corrélation entre laréduction de la prévalence de la consommation de cigarettes et la coercition dutabac dans des lieux publics, demandent une analyse sociologique cruciale pourqu’on ait une meilleure compréhension des phénomènes qui sont arrivés aucours des trois dernières décades et ses conséquences possibles. Mais le processusqui a fait que cette vérité scientifique devienne, si vivement, une interventionsanitaire et le propre caractère coercitif de telle intervention méritent uneanalyse qui ne se limite pas seulement aux conflits internes sur le champscientifique. Dans ce terrain-là, la réflexion sociologique doit se tourner versdes relations existantes, dans chaque contexte historique particulier, entre lascience, la politique et la morale. Comme Castro-Santos nous rappelle, seulement

• Josué Laguardia et Sérgio Carrara

42 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

Becker, H. S., Outsiders: studiesin the sociology of deviance.(Étrangers: études dans lasociologie de la déviation). FreePress, 1963.

Berridge, V. Science and Policy:the case of postwar BritishSmoking Policy. (Science etPolitique: le cas de la Politiquedu Tabac Britanique après laguerre) . In: Lock, S.; Reynolds,L. & Tansey, EM (eds). Ashes toashes: the history of smokingand health. Rodopi:Amsterdam, pp. 143-171, 1998.

Brandt, A. M. , No Magicbullets: a social history ofveneral disease in the UnitedStates since 1880. (Pas deprojectiles magiques: unehistoire sociale des maladiesvénériennes aux États-Unisdepuis 1880.)New York, OxfordUniversity Press, 1985.

une vaste étude comparative, sur la manière dont certaines pratiques oucomportements deviennent l’objet de véritables croisades morales, peut nousaider ici. Et, depuis la fin du XIXe siècle, beaucoup de ces croisades ont étémenées au nom de la science ou de la santé publique, soit contre l’alcool,comme l’a mentionné Castro-Santos, soit contre la prostitution, la pornographie,les médicaments, etc.

Le tracé général de la perception produit par la guerre actuelle autabagisme ressemble, en grande partie, à celui qui a entouré les maladiessexuellement transmissibles, pendant la plupart du XXe siècle, et à celui quireste encore lié au SIDA (Brandt, 1985; Carrara, 1996). Dans ce document, lemême schéma moral fait que les « victimes innocentes» s’opposent à cellesappellées «victimes bourreaux », responsables, dans une certaine mesure, dumal qui les affectent. Comme il est arrivé dans le cas de la lutte contre lasyphilis dans le passé, il arrive aussi, maintenant, dans le cas du tabagisme, lesvictimes innocentes sont généralement les enfants et les femmes (surtout lesfemmes enceintes), aujourd’hui menacées pas seulement par la promiscuitésexuelle des maris ou amants, mais par un groupe de pollueurs irresponsables(Berridge, 1998; Brandt, 1998).

Certains facteurs, qui doivent être pris en compte dans l’analysecomparative des croisades morales entreprises au nom de la santé publique,semblent être produits par des conjonctures, et être caractéristiques des sociétésqui passent par des processus de transformation sociale intense. Face à desrévolutions (quelques unes silencieuses) il n’est pas rare que des valeurstraditionnelles morales, religieuses et éthiques s’avèrent inefficaces pour guiderles actions et les évaluations dans le nouveau contexte. À ces moments-là, il sepeut aussi qu’on généralise la méfiance sur les formes institutionnalisées degestion et de résolution des conflits sociaux, tels que la politique et la justice.Face à un monde opaque et en mutation, c’est à la science qu’on demandera,alors, de présenter le refuge sûr de la vérité et de montrer le chemin à suivre.Cela semble être exactement le contexte américain, de la deuxième moitié duXIXe siècle, cité par Castro-Santos. Dans le dit contexte, à côté de la proliférationde sectes millénaristes qui se préparaient pour la deuxième venue du Christ etpour la fin des temps, les scientifiques produisaient de vastes processus deréforme sociale, qui impliquaient, pas seulement la santé publique, mais aussila sociologie naissante. En dessinant une sorte de despotisme sanitaire, beaucoupd’entre les mesures alors proposées étaient profondément anti-libérales et leuradoption ne peut être comprise si ce n’est devant un discours salutiste, basésur des métaphores guerrières et s’appuyant sur la séparation claire entre sainset saufs, d’une part, et les malades et les pécheurs, de l’autre. Face à unesensation diffuse de danger, ces mesures corporifiaient le mal, en promettantle combattre, par des mesures de ségrégation ou de contrôle de certains individusou catégories sociales.

Certainsfacteurs, quidoivent êtrepris encompte dansl’analysecomparativedes croisadesmoralesentreprises aunom de lasantépublique,

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Mais en parcourant ces différents scénarios, il y a des éléments plusstables, et, pour cette raison, encore plus inquiétants. Peut-être pour être liésà de très lents processus de changement des structures de longue durée, ilsréapparaissent avec une énergie renouvelée à chaque moment de transformationsociale plus intense. Parmi eux, nous aimerions souligner ceux qui concernentle sexe. Ils sont trop évidents pour être laissés de côté par une analysesociologique plus approfondie. C’est très intéressant, lorsqu’on compare lemouvement anti-alcool du passage du XIXème au XXème siècle, avec lemouvement anti-tabac du passage du XXème au XXIème siècle, d’observer quedes références implicites à l’univers masculin figurent dans les différents discours.D’ailleurs, l’étude grecque qui inaugure la nouvelle préoccupation avec les«fumeurs secondaires » semble projeter l’acte de fumer, et ses conséquences,comme une éspèce de violence de genre, puisque les victimes innocentes seraienttoujours les épouses. Si, comme veut Castro-Santos, certaines formes desociabilité sont détruites par la législation anti-tabac moderne, nous devonsajouter qu’il s’agit surtout de formes de sociabilité masculine. Dans les deuxcas, sous la référence explicite à des individus abstraits qui boivent ou fument,les cibles semblent être, effectivement, les hommes. Derrière le fumeur abstrait,il y a un homme. Sur ce point, ce qui devrait être regardé, de plus près, ceserait bien la relation problématique entre le pouvoir de l’État et le pouvoir del’ homme, ou plutôt, la façon dont certains processus de domination de l’Étatse heurtent aux prérogatives que les hommes détiennent encore dans certainsespaces de sociabilité, et, notamment, au sein de la famille. Tout se passecomme si le processus de civilisation, conçu par Elias (1990) comme l’expansioncontinue et l’approfondissement de contrôles, comme ceux de l’État, dont l’expression individuelle est le raffinement constant de la maîtrise de soi, trouveencore, dans certains aspects de la masculinité, un point de résistance ou dechoc.

• Josué Laguardia et Sérgio Carrara

____________, Blow some my way:passive smoking, risk and AmericanCulture, (Souffle un peu de moncôté: fumée passive, le risque el laculture américaine).In: Lock, S.;Reynolds, L. & Tansey, EM (eds).Ashes to ashes: the history ofsmoking and health. (Les cendres aucendres: l’histoire du tabac et de lasanté). Rodopi: Amsterdam, p. 164-188, 1998.

Carrara, S. Tributo a Vênus: a lutacontra a sífilis no Brasil, dapassagem do século aos anos 40.(Hommage à Vénus: la lutte contrela syphilis au Brésil, au tournant dusiècle aux années 40) .(Rio deJaneiro: Fiocruz, 1996.

Elias, N. O processo civilizador: umahistória dos costumes. (Le processusde la civilisation: une histoire demœurs) Rio de Janeiro: Jorge Zahar,1990.

Enstrom, JE. Defending legitimateepidemiologic research: combatingLysenko pseudoscience. (Défense dela recherche epidémiologiquelégitime: Lutte contre lapseudoscience de Lysenko)Epidemiologic Perspectives &Innovations, v.4, n.11, p. 1-28, 2007.

Enstrom, JE; Kabat, GC.Environmental tobbaco smoke andtobbaco related mortality in aprospective study of Californians,(Fumée de tabac ambiante et lamortalité liée au tabac dans uneétude prospective de Californiens)1960-98. BMJ, 326, p. 1057-66, 2003.

Hall, MA. The scope and limits ofPublic Health Law. Perspectives inBiology and Medicine,( L’étendue etles limites de la loi de santépublique. Perspectives en biologieet en médecine) v. 46, n. 3, p. S199-209, 2003.

Larsen, LT. The political impact ofscience: is tobbaco control science-or policy driven? (L’impact politiquede la science: La science du contrôledu tabac est-elle menée par lascience ou par la politique?)Scienceand Public Policy, v. 35, n. 10, p.757-69, 2008.

LeVois, ME; Layard, MW.Publication bias in theenvironmental tobbaco smoke/coronary heart diseaseepidemiologic literature. Lespublications en biais sur la fuméede tabac ambiante / la littératureepidémiologique sur lescardiopathies coronariennes).Regulatory Toxicology andPharmacology, v.21, p. 184-91, 1995.

44 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

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Dans ce même voyage aux Etats-Unis qu’évoque M. Castro Santos danssa citation, je revins à Berkeley. Devant l’entrée de l’Université, il y a un caféoù il est interdit de fumer. Mais j’allai dans le jardin qui entoure le café etayant commandé à boire, j’allumai ma pipe. Scandale ! Un petit barbu, indigné,me dit que c’était interdit et passible des tribunaux.

Ici, il ne s’agit même plus de tabagisme passif puisque nous étions àl’air libre et donc plus question de contrôle ou de surveillance, mais biend’une interdiction totale et totalitaire, ce qui veut dire que même l’idée defumer, sans porter dommage à autrui était condamnée. C’est pourquoi l’idée dequadrillage empruntée par Agambem à Foucault ne convient pas en l’occurrence.Il s’agit d’autre chose, d’une véritable utopie sociale, radicale, politique et absolue.Je préfère donc user du concept d’utopie et de son appareillage conceptuelspécifique, seul capable de rendre compte du caractère totalitaire del’interdiction.

Les marqueurs du texte utopique

J’avais dégagé dans “La Santé Parfaite”(Le Seuil 1995) les marqueursformels du texte utopique.1 La spécificité d’un récit se caractérise non tant parson contenu que par ses marqueurs formels qui, dans le cas du récit utopiquesont au nombre de cinq:

-Le lieu isolé du récit. Une île, par exemple, qui sépare clairement lelieu de l’action utopique du reste du monde.

-La toute puissance du narrateur. Celui qui raconte, qui sait et quidomine le récit de bout en bout

-Des règles de vie hygiéniques: Chasteté, aliments contrôlés, propretédu corps et de l’esprit, nettoyage général.

-L’imaginaire technique. Il donne à l’homme un pouvoir surnaturel,l’ordre par la technique permet de tout régler. Le hasard est exclu dans unmonde sans aléa, sans impureté, sans mort ni décomposition. Monde surnaturelet qui doit sa supériorité à l’artifice technologique .

COMMENTAIRESLucien Sfez

1 Traduction brésilienne sous letitre “ A saúde perfeita - críticade uma nova utopia.” EdiçõesLoyola, São Paulo, Brasil, 1996.

• Lucien Sfez

Lucien Sfez est né le 27 Avril1937 à Tunis.Agrégé de droit public et deScience Politique, il estd’abord Professeur àl’Université de Paris-Dauphineavant d’être élu à la Sorbonne(Paris 1 Panthéon-Sorbonne)où il a dirigé le Centre deRecherches sur la DécisionAdministrative et Politique(C.R.E.D.A.P). le D.E.A.”Communication ,Technologieet Pouvoir et l’Ecole Doctoralede Science Politique de laSorbonne .Il dirige également lacollection” La Politiqueéclatée “ aux P.U.F. et la revue“Quaderni”(Maison desSciences de l’homme) .Auteur de 23 ouvrages et deplus de 200 articles, il estChevalier de la Légiond’honneur .

46 • • Risques pour la santé: fumée ambiante du tabac – les points de discussion

2 Pour les détails sur cettedémonstration des marqueurs,voir “La Santé Parfaite”, op. cit.p. 106 à 114.

3 Dans son ouvrage“Messianismes révolutionnairesdu Tiers Monde”, Gallimard1968,p.340.

4 Ibidem, p.341

- Dernier critère: le retour à l’origine. Car cette surnature, c’est la natureretrouvée…A la manière du Rousseau de “L’origine des inégalités”, cettetechnique, cet artifice renaturalise et refonde. Il faut se débarrasser de ce quiexiste aujourd’hui pour retrouver ce qui est là depuis toujours . Refondationvolontariste d’une vérité naturelle. Ce marqueur est très intéressant car il nes’agit plus d’un récit mais du point de basculement du récit vers l’exercice dupouvoir .2

Or ces cinq marqueurs s’appliquent admirablement au traitement actuelde certaines questions de santé publique, en particulier à la question du tabac.

Reprenons ces marqueurs et appliquons-les au sujet :

- Lieu isolé du récit :les laboratoires qui expérimentent sont coupés duprofane par toute la complexité et l’opacité de la science. Ils sont aussi coupésentre eux: secret et concurrence obligent .

- La toute puissance du narrateur: Ici c’est le savant qui expérimente etformule Ses lois . Il les formule de manière sûre et certaine, contre toutes lesincertitudes révélées par M.Castro Santos.

- C’est la technique qui règle tout. C’est , à l’évidence la technique quidonne ses bases à la décision d’interdiction.

- Des règles de vie hygiénistes : c’est l’objet même de l’interdiction defumer dans tout espace public possible ( et même , en Californie dans lesespaces privés, car il existe des not smoking house et, dans les hôtels, des notsmoking rooms) .

- Enfin le retour à la nature est là pour recréer un homme nouveaudébarrassé de tout vice, comme les Indiens du Brésil rééduqués par les Jésuites,grands connaisseurs et praticiens d’utopies.

Du texte utopique aux réalités concrètes

Dans ce dernier marqueur, on passe ici simplement des utopies, texteslittéraires ou philosophiques à des réalités concrètes.

Ou l’on voit que les utopies ont changé de «chiffre», pour reprendreWhilhem Muhlmann3 : »Les phénomènes changent de figure et deviennentméconnaissables car leur « chiffre » change ». Et il ajoute : « Même chose pourles utopies. On peut les suivre comme genre littéraire de la République dePlaton à la science-fiction actuelle ; mais la question est de savoir si, là encore,la ligne historique maîtresse ne court pas souterrainement ailleurs pour ressurgirsous des traits différents dans la fondation sioniste de l’Etat d’Israël par exemple,dans les dictatures messianistes d’un Lénine ou d’un Hitler, ou tout à faitailleurs encore, dans la société de bien-être »4 . Avant de conclure de la façonsuivante : « Le langage scientifique semble avoir pour fonction immédiate de

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masquer le fait que les utopies sont devenues réalités ou peuvent le devenir.Nous ne voulons pas prendre conscience de nos motivations millénaristesprofondes…. »5

Pour l’avoir tracé en 1968, Muhlmann semble bien éclairer le trajet denos analyses :

1° Certaines pratiques sont bien des utopies même si leur ligne a changéde « chiffre ».

2° Phantasmes utopiques et réalisations pratiques sont souvent trèsproches. La science joue ici un rôle de masque.

3° L’idéal de santé totale et d’immortalité se retrouve dans la plupartdes prophétismes. Ne nous étonnons pas de le retrouver comme pièce centraledans les utopies du 21ème siècle .

Voilà les commentaires que suscite l’article fin, documenté, sans jamaiscéder à aucun extrémisme de M.Castro Santos. Si j’ai insisté sur l’utopie, c’estque le décalage est grand entre les analyses fouillées de l’auteur et l’inspirationtotalitaire de la lutte anti-tabac. Et c’est bien ce caractère totalitaire dont rendmieux compte, me semble-t-il, le concept d’utopie plutôt que la notion dequadrillage à la fois moderne et industriel, de Foucault et Bentham, repris parAgambem .

• Lucien Sfez

5 Ibidem,p.343

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CContrarier le sens comun est le défis du Prof. Luiz Antonio de CastroSantos. Dans son texte, qui guide les discussions de ce document, le Prof.Castro Santos aborde le thème de la Fumée Ambiante du Tabac.

Il nous faut quelques premisses. On ne conteste pas les effets, nocifs àla santé, causés par le tabac, les exemples en sont trop nombreux, à savoir lesrisques accrus de cancer des poumons et d’autres maladies chroniques. Depuisles années 50, lors des premières études de Sir Richard Doll, systématizées plustard dans le livre de Doll et Peto (The causes of Cancer, Oxford Press, 1981), ilexiste de solides évidences de cette association. La cigarette y est, de loin, lacause la plus importante du cancer humain dans le monde – autrement dit, lafumée de la cigarette inhalée par le fumeur. L’épidémiologie et plusieurs étudesont déjà démontré, sans aucun doute, que le risque q’un fumeur a de développerun cancer pulmonaire est beaucoup plus élevé que celui des non-fumeurs. Donc,le débat ne doit pas se limiter à des questions déjà prouvées, où il n’y a pas dedivergences. Le fait, nouveau et pertinent, évoqué par le texte du Prof. CastroSantos, ne se rapporte pas seulement à l’incontestable risque pour les fumeursactifs; par contre, pourrions nous toujours affirmer de même pour les personnesexposées à la fumée du tabac ?

Mettre en doute sans cesse est un salutaire exercice, surtout devant lesdécouvertes incomplètes ou en face d’évidences scietifiques partiales, répétéesà la nausée, jusqu’à ce qu’elles deviennent des « vérités absolues ». Toute analysedemande le plus grand soin. Parfois, des risques de bas niveau sont exagérés,tandis que d’autres, beaucoup plus grands, sont minimisés. Et le grand public,après tout, ne reçoit qu’une information impropre.

« Le principal moyen qu’ont les fumeurs pour tuer, c’est en se tuanteux-mêmes en fumant, et pas à une tierce personne – ils se tuent bien plus àeux-mêmes qu’aux autres ». Cette phrase a été proférée par le professeur deOxford, Sir Richard Peto, au sujet des risques imposés aux autres par l’expositionà la fumée du tabac. Peto, un des principaux épidémiologistes du monde, atravaillé, les dernières 30 années, en étroite collaboration avec Sir RichardDoll, jusqu’à ce que celui-ci soit décédé, en 2005.

En conséquence, pour de grands noms de l’épidémiologie mondiale, l’idéequi est répandue aujourd’hui, dans la societé, est que le tabac infligerait lemême mal aux fumeurs, aussi bien qu’aux non-fumeurs. Cette idée-là ne setient point. Richard Kluger et Michael Crichton, entre beaucoup d’autres –

CE N’EST PAS TOUJOURS VRAIRenato Veras

Renato P. Veras est Médecin avecDoctorat par l’Université deLondres, Professeur Agrégé àl’UERJ, Directeur de l’UniversidadeAberta da Terceira Idade (UnATI)(Université Ouverte du TroisièmeÂge – UnATI), Chercheur du CNPqet Consulteur pour diversesagences et organismesinternationaux. Ses recherchesvisent la Santé Collective et leVieillissement, et il a publiéplusieurs articles sur ce sujet dansles principales revues scientifiquesdu pays et à l’extérieur. Il aégalement publié plusieurs livres,parmi lesquels, País Jovem comCabelos Brancos (Pays Jeune auxCheveux Blancs) et Terceira Idade :Gestão Contemporânea em Saúde(Troisième Âge: GestionContemporaine en Santé). E-mail: [email protected]

• Renato Veras

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aucun d’eux connu par services à l’industrie du tabac – trouvent consistantel’association de l’exposition à la fumée du tabac et le cancer pulmonaire chezles non-fumeurs.

Quelques observations préliminaires s’imposent. Tout d’abord, la FAT,ou fumée ambiante du tabac, est composée par la fumée du bout de la cigaretteallumée plus la fumée exhalée par le fumeur. Deuxièmement, les effets del’exposition à la fumée passive ne peuvent être étudiés que chez les personnesqui n’ont jamais fumé, une fois que n’importe quel effet serait réduit devantceux du tabagisme actif, lequel consiste à inhaler la fumée directement dansles poumons, et, pour cause, beaucoup plus concentrée. Il faut donc s’attendreà ce que les fumeurs actifs aient une plus grande exposition à la FAT. Si,effectivement, nous croyons à l’idée d’une dose-réponse, c’est-à-dire, d’une dosequi devient le poison, pour paraphraser librement Paracelso, le dosage reçu parum fumeur passif doit être une minuscule fraction de la dose reçue par unfumeur actif, et il est désormais irrationnel de penser que les fumeurs passifss’exposent à des risques, du même ordre de grandeur, que les fumeurs actifs.

En outre, il est important de souligner qu’on ne rejette pas la possibilitéque l’exposition à la fumée ambiante des cigarettes vienne à causer certainscas de cancer pulmonaire ou d’autres maladies chez les personnes qui n’ontjamais fumé. C’est biologiquement plausible que les non-fumeurs, exposés defaçon chronique à des niveaux élevés de fumée d’un fumeur, souffrent un plusgrand risque. Avant d’exagérer la science et soutenir, de manière dogmatique,que le risque de la FAT est établi, ce serait plus convenable et moins trompeurd’affirmer qu’il est très possible que l’exposition à la FAT soit la responsablepour quelques cas de cancer des poumons chez les non-fumeurs, quoique, selondes épidémiologistes qualifiés, les risques relatifs sont assez faibles pour justifierdes affirmations si catégoriques et definitives.

À partir de ces esquisses, la question qui se présente est la suivante :qu’est-ce qui est vraiment : fait, éxageration ou distortion dans cet avalanchede nouvelles, sur les risques à la santé, dans notre quotidien ? Le danger, où setrouve-t-il en réalité ? Dans les évidences scientifiques présumées ou dans lesintêrets diffus qui interprètent la science selon ses convenances ?

Les informations scientifiques conjecturales, qui, par intêrets divers,finissent par devenir des « vérités absolues », et se transforment en conceptspolitiquement corrects, demandent une attitude plus prudente. Surtoutlorsqu’on sait que certaines conclusions deviennent de la mode, qu’elles sontadoptées par la média et reflètent un désir caché dans l’inconscient de la société.Ce n’est donc pas toujours vrai. Néanmoins, c’est un combat que très peu degens se proposeraient à braver.

L’évolution de la médicine a apporté le prolongement de la vie humaine,mais aussi l’augmentation des frais. Pour cette raison, les recherches scientifiquesont une importance croissante, car elles permettent de prévoir des situations,

Mettre endoute sanscesse est unsalutaireexercice,surtoutdevant lesdécouvertesincomplètesou en faced’évidencesscietifiquespartiales,répétées à lanausée,jusqu’à cequ’ellesdeviennentdes «véritésabsolues».

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d’identifier les facteurs de risque, et facilitent le diagnostic précoce, surtout ence qui concerne les maladies chroniques. Les avantages en sont clairs: l’éclosionde ces maladies est retardée, l’efficacité du traitement et la qualité de vieaugmentent.

Mais, fondamentalement, il faut bien comprendre que ce n’est pastoujours que les recherches aboutissent à des résultats solides et parfaitementfiables. Maintes fois, des thèses sont soutenues par des évidences encore fragiles.On parle ici de recherches qui soulignent certaines découvertes en ignorantd’autres, d’organismes de réglementation qui adoptent des positions hâtives,de politiciens et d’avocats qui ne défendent que leurs propres intérêts, et d’unepartie de la média qui accélère les préjugés en agissant de façon tendancieuse.Il s’agit d’une combinaison dangereuse, capable de forger une « certitudescientifique», où il y a un peu de science, mais aucune conviction.

Chacun d’entre nous, à un certain moment de la vie, a entendu parlerd’une « nouvelle étude scientifique », indiquant qu’un certain comportement,produit ou facteur environnant serait lié à des affections terribles. Ainsi, laconsommation de café serait associée au cancer du pancréas. Manger du chocolatpourrait prédisposer les femmes à des tumeurs bénignes du sein. La pollutiondu milieu ambiant, nous a-t-on dit, pourrait causer le cancer du sein. Desétudes semblaient montrer une connexion entre l’exposition aux champsmagnétiques, des lignes de transmission d’énergie et des appareils électriques,et des maux les plus divers, à commencer par la leucémie infantile. L’utilisationdes portables pourrait provoquer des tumeurs cérébrales. L’exposition indirecteà la fumée des cigarettes a d’abord été liée au cancer des poumons, aux maladiescardiaques et, plus récemment, au cancer du sein. Les implants mammaires ensilicone ont été associés à des maladies du tissu conjonctif. Bref, la liste pourraits’élargir encore plus.

Certaines peurs, comme celles relatives au café et aux portables, peuventdiminuer assez rapidement, à la mesure que de meilleures études sont publiéesou lorsque le risque est mis en perspective et revu sans aucun parti pris.Cependant, dans d’autres cas, le risque peut gagner vie propre et persisterpendant des années ou même des décades, en devennant l’objet de nouvellesrecherches, de mesures régulatrices, de litiges judiciaires ou de campagnes.

Prenons, par exemple, les champs magnétiques des lignes de transmissiond’énergie. On aurait investi des milliards de dollars pour régler un problèmedont l’existence est incertaine. Et c’est même étonnant que, malgré les résultatsinconsistants de ces recherches, la divulgation au grand public soit faite commesi on était devant une certitude inébranlable. Selon toute apparence, il n’y aaucun souci á éviter l’éxageration ou, tout au moins, à attirer l’attention sur lafragilité de l’évidence scientifique ou du risque potentiel.

Il y a des risques de facile compréhension. Le feu en est un. Très tôt, unenfant apprend à ne pas mettre la main au feu, car la brulûre est immédiate.

• Renato Veras

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Par contre, la plupart des facteurs de risque a besoin d’une longue période pourmontrer ses effets. C’est le cas de l’alcool, du tabac e de la pollution ambiante,entre autres. Une personne peut être exposée à ces facteurs pendant des années,sans qu’aucune conséquence plus grave se manifeste. Il faut aussi signaler quela manifestation de maladies chroniques se présente de façon lente etprogressive, mettant en doute, pour beaucoup de gens, l’effort de résister à cesmoments de plaisir. Il n’y a pas si longtemps, d’ailleurs, la consommation detabac et d’alcool était associée à quelque chose de positif, bien acceptée ensociété, et caractérisée avec glamour au cinéma. On a vu un parfait exempledans Casablanca. En plein cours de la Seconde Guerre Mondiale, deux personnes– Ilsa, jouée par la belle actrice Ingrid Bergman, qui tombe amoureuse de Rick,l’excellent acteur Humphrey Bogart – vivent une belle histoire d’amourpassionnée et inoubliable à Paris. La fin surprennante nous saisi par une formulebien dosée d’amour romantique, d’intrigue, de suspense, et, bien sûr, le soutienet le charme d’une cigarette à la main de l’acteur principal.

Souvenons-nous également des classiques français tels que Acossado (Àbout de souffle), 1960 (Jean-Luc Godard), Uma Mulher para Dois (Jules etJim), 1962 (François Truffaut), O Desprezo (Le Mépris), 1963 (Jean-Luc Godard),Os Guarda-Chuvas do Amor (Les Parapluies de Cherbourg), 1964 (Jacques Demy),entre bien d’autres, où la forte présence de la cigarette était partie intégrale dela scène. Pas mal de fois, les Gauloises, les cigarettes les plus populaires enFrance, se faisaient remarquer dans les films des années 60 à 80. Un paquet decigarettes, typique par sa couleur bleu, de tabac noir, sans filtre et avec desniveaux élévés de nicotine et de goudron. Répandues, en popularité, entre laclasse ouvrière et l’élite, elles étaient aussi les préférées de l’écrivain Jean-PaulSartre. Tout cela pour souligner l’existence de tout un contexte social, ambiantet culturel qui empêche la suppression de valeurs et de pratiques tellementancrées dans la société.

En outre, nous vivons dans un monde globalisé. Selon l’OrganizationMondiale de la Santé (OMS), 1,4 milliard de personnes sont des fumeurs, avecune tendance à l’expansion de ces numéros en raison des avances économiqueset la croissance du pouvoir acquisitif de la population des pays qui composentles BRICs, en particulier La Chine et l’Inde qui sont de grands consommateursde tabac, nous serions donc naïfs d’imaginer qu’une habitude, si ancienne dansle monde entier, aurait été freinée par des simples désirs ou par des informationsscientifiques. Des mesures extrèmes de restriction se sont toujours montréesinnopérantes. Des actions plus utiles et actuelles font, possiblement, un cheminen direction opposée, c’est-à-dire, vers l’exigence de perfectionnement duproduit, des restrictions draconiennes aux composants cancérigènes, l’utilisationde technologie de pointe pour améliorer la ventilation des ambiances intérieures,obligation de contrepartie sociale, entre d’autres dispositions plus efficacespour préserver la société et les non-fumeurs des dommages du tabac.

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Le changement d’habitudes n’est pas chose facile. Ce serait de la naïveté,imaginer que la simple recommendation d’un agent de santé, sur ce qui est bonou mauvais, suffirait à la transformation des coutumes et des habitudesquotidiennes d’une société. L’épidémiologie a déjá élaboré des listes de facteursde risque et de facteurs protecteurs. Si seulement l’information scientifique fûtcapable de tout transformer, il suffirait qu’on suive l’abécédaire du life stylepour avoir une vie heureuse et saine, libre de maladies.

Ce n’est pas si simple. Personne ne choisit de vivre avec un facteur derisque par pur masochisme, on le sait bien. Le fumeur connaît et souffre lesravages de son vice. Arrêter de fumer, cependant, est une décision qui renfermedes questions beaucoup plus complexes que la simple information ou le désirdes autorités sanitaires. Il faut tenir compte des facteurs de sa vie affective, deson travail, de ses relations sociales, familiales et culturelles, entre autres.

Mesurer les risques n’est pas un processus scientifique, objectif, qu’onpuisse réduire à une question quantitative. Des facteurs culturels affectent lejugement que font les individus sur les situations de risque; les experts et leslaïcs s’apperçoivent du risque de façons différentes. En outre, la science n’estpas neutre. Par conséquent, il ne devrait pas exister des «vérités absolues»,particulièrement lorsque les résultats sont inconcluants.

On doit toujours questionner le regard vrai et définitif, le doute faitpartie de la science. Ce n’est pas difficile de chercher des exemples dans d’autressituations. On pourrait être observé comme dans le film français Caché, sorti en2005, et dirigé par Michael Haneke. C’est l’histoire d’un couple, de grands moyens,et de leur fils adolescent, qui reçoivent des vidéoscassettes avec des images dela façade de leur maison. Les enregistrements ont été envoyés par un expéditeuranonyme. Ainsi, commence un mystère qui touche tous les personnages présentsdans la trame.

Les tournages qui sont exhibés au spectateur ne diffèrent pas de laréalité fictive, ce qui met en question n’importe quelle image. Quand nousobservons le plan général, au début du film, par convention, on s’attend à cequ’un plan plus détaillé s’en suive, probablement avec les protagonistes del’histoire qu’on va accompagner.

Mais, ces conventions cinématographiques sont cassées par le dirécteuret nous nous retrouvons devant une image à laquelle on ne peut pas faireconfiance.

Haneke n’est pas du tout préoccupé à résoudre cet enigme et l’absencede réponses claires fait partie d’une position politique du dirécteur, qui a déclaréque “Plus on reffuse radicalement les réponses au spectateur, plus il va cherchersa propre vérité.”

• Renato Veras

Des facteursculturelsaffectent lejugement quefont lesindividus surles situationsde risque; lesexperts et leslaïcss’apperçoiventdu risque defaçonsdifférentes.En outre, lascience n’estpas neutre.

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Encore une réflexion intéressante, beaucoup plus familière et proche,sur le besoin de déchifrer l’occulte, s’est vérifiée à l’occasion du dernier Carnavalà Rio de Janeiro. L’école de samba championne, Unidos da Tijuca, a présenté lethème « É segredo ! » (C’est secret !), l’idée de son « carnavalesco » (sorte de« metteur en scène » du défilé de son école) Paulo Barros, connu par sesinnovations et sa créativité.

La « comissão de frente » (ceux qui ouvrent le défilé), dans sa danse, arepresenté « Nem tudo o que se vê, é o que parece ser » (Ce qu’on voit n’est pastoujours ce qu’il nous semble). Au cours de la présentation, à l’aide d’un élémentcénographique, ils ont démontré le thème avec des mouvements rapides etmagiques, pleins de mystère.

Les images surgissaient pour nous révéler quelque chose, pour nousdonner la certitude qu’il y avait des réponses, et, soudain, rien n’était pluscomme il nous semblait quelques secondes avant. Comment était-il possible, sitout nous paraissait si clair ? Comme dans un coup de magie, ce qu’on avaitdevant nous devennait toute autre chose. Inéxplicable.

Le «carnavalesco» Paulo Barros offrait la possibilité de dévoiler ce qui sepassait devant tous les regards, mais il avertissait « n’oubliez pas que ce quevous voyez n’est pas toujours ce qu’il vous semble... Et si vous arrivez à découvrirce qu’il y a par derrière, ne racontez pas le secret... Laissez-vous porter parl’innatendu et surprenez-vous! Pendant le Carnaval, vous pourrez comprendrecombien muables sont nos certitudes sur tout ce que nous voyons ».

Michael Haneke, Paulo Barros et le Prof. Castro Santos, chacun de sonpropre point de vue, nous démontrent la compléxité du regard définitif.

Le professeur Castro Santos se rebèle quand il s’apperçoit que lesdocuments du courant hégémonique sont, essentiellement, un matériel politique,réductif, destiné à atteindre un objectif spécifique. Son texte a le mérite defaire ressortir cette discussion. En traçant la trajectoire de chacun de ces dangers,depuis son apparition jusqu’à nos jours, il nous montre comment la publicationdes études et des évaluations critiques plus sévères aideraient à mettre le risquedans une perspective, en même temps, plus vaste et défiante.

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Dans une conférence pour le « Thé de l’Épidémiologie », (séminairesbimensuels organisés par Eduardo Faerstein à l’Institut de Médecine Sociale à l’UERJ), le 16 Octobre 2008, intitulé « Le self comme risk-taker (preneur derisque): affrontements, approches et désaccords entre l’epidémiologie et lasociologie », Luiz Antonio de Castro Santos, a commenté un texte choisi commethème à discussion, quelques jours avant l’évènement. Dans ce texte (Béhagueet al, 2008), les auteurs se proposent à établir un dialogue entre l’anthropologieet l’epidémiologie. Avant de mettre en cause d’autres contributions importantesau débat du matin, nous regarderons le texte de plus près.

Dans l’article cité, bien que les auteurs cherchent à discuter, dans lesrecherches sur la santé, quelques interfaces entre l’anthropologie etl’epidémiologie, à notre avis – en anticipant une conclusion générale – onvérifie un dialogue encore bien enrayé entre les disciplines. L’ anthropologieet, particulièrement, la sociologie sont absentes du débat, ou y ont une voixoblique. Une légère indication du poids relatif des références intellectuelles:d’entre des dizaines de citations dans le texte, il n’y a qu’une demi douzaine, sitant, qui pourront être strictement classées comme de la «littératureanthropologique». Dominique Béhague et Helen Gonçalves sont desanthropologues sociales, avec des incursions fréquentes dans les chemins del’épidémiologie. Prenons, comme exemple de la production de Helen Gonçalves,son essai sur «les perceptions corporelles” des tuberculeux qui abandonnent letraitement, publié dans le recueil organisé par les anthropologues Luiz FernandoDuarte et Ondina Leal en 1998 (Gill, 1998). L’ essai reflète un premier moment,très fécond, de sa carrière d’ anthropologue. Différemment du texte Antropology

DIALOGUES ET DÉBATS ENTRELES SCIENCES SOCIALES ETL’EPIDÉMIOLOGIE: la rhétoriquedu risque

“I saw guns and sharp swords in the hands of young children”

Bob Dylan, A hard rain’s a-gonna fall, 1962

Alba Zaluaret Luiz Antonio de Castro Santos

• Alba Zaluar et Luiz Antonio de Castro Santos

Alba Zaluar est Anthropologueet Professeur Titulaire à l’Instituto de Medicina Social daUERJ (Institut de MédecineSociale de l’UERJ) et Chercheusedu CNPq. Elle a récemmentpublié: Pesquisando no perigo:etnografias voluntárias e nãoacidentais (En Recherchant dansle danger: ethnographiesvolontaires et pas accidentelles).MANA 15 (2): 557-584, 2009.

Luiz Antonio de Castro Santosest sociologue, professeur adjointà l’ Institut de Médecine Socialede l’ UERJ et chercheur du CNPq.Il a publié, récemment,avec LinaFaria, Saúde & História [Santé etHistoire]. (Hucitec, 2010).

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and Epidemiology [Anthropologie et Épidémiologie] (Béhague et al, 2008), lesconcepts-clés de l’essai anthropologique, (dont les caractéristiques formelless’éloignent entièrement du modèle, « introduction, méthodes, résultats,discussion », adopté dans les textes épidémiologiques), sont les représentationset les perceptions d’ un acteur-malade. L’auteur s’entretient avec la théorieanthropologique que l’on pourrait appeller « de racine » (Mary Douglas et Lévi-Strauss, entre d’autres auteurs), et pas seulement avec l’anthropologie médicale.Tout d’abord, elle se détache de l’anthropologie médicale, souvent plus«médicale» qu’«anthropologique». Dans le texte en anglais, dans lequel HelenGonçalves a collaboré, nous sommes confrontés à un autre concept-base, quiest le risque. Ainsi, c’est comme si les sujets abordés par Helen Gonçalvesmarchaient sur deux voies distinctes: dans le premier texte, nous avons uneconception anthropologique du self as risk taker [self comme preneur de risque](Mary Douglas, 1992), dans le deuxième, chez Béhague et Victora, nous avonsun concept épidémiologique du self as risk-averse [self comme risque opposé](encore Mary Douglas). C’est l’objectif épistémologique du texte publié dansCiência e Saúde Coletiva [Science et Santé Collective]. Du premier au deuxièmeexemple, nous passons de l’emphase de l’acteur qui prend des risques, ou quine les considère pas comme un principe fondateur de ses actions, à l’acteur quileur est opposé, qui les fuit pour maximiser ses life-chances (chances de vie),une vie saine guidée par des choix soi-disant rationnels. Nous sommes, biensûr, sur un scénario de types idéaux ou de catégories construites1.

Mais il y a encore plus. Dans le premier article, la notion de stigmatisations’approche de la discussion anthropologique sur les tuberculeux ; de la discussionsociologique d’un Erving Goffman (1988) ou d’un Oracy Nogueira (2009), maîtresdes études sur les processus stigmatisants qui peuvent advenir des politiquespubliques, des mouvements sociaux ou de la culture elle-même, dans des sociétéstribales et complexes. Nous pensons, dès lors, au fait que la notion de risque,en épidémiologie, peut conduire les politiques antitabagistes à baisser les tauxde morbidité et de mortalité. Toutefois, un effet tragique de ces politiques, pasprévu (ou négligé), a été celui de transformer les fumeurs en une couche deoutcasts (parias), les nouveaux lépreux ou pestiférés du 21ème siècle. Nousn’avons pas ici, à la rigueur, une question épidémiologique, mais anthropologiqueet sociologique.

Et nous arrivons lá à notre commentaire final sur le texte de Béhague etcollègues: il s’agit d’une tentative prometteuse de délimiter les points deconvergence et de réflexion critique, mais nous marchons toujours sur le sentierdu risque, et non pas des représentations sociales. Le texte n’apporte pas lavigueur interprétative de l’anthropologie. Le défi est d’établir un dialogue sanssyncrétismes. Il n’y a pas d’espace épistémologique pour «moyennes» ou«médianes» entre les deux camps. Les (op)positions doivent être éclairées dansson intégralité, comme des propositions, jusqu’à un certain point, antipodes2.Celà n’est pas dans le texte, bienvenu pour tant d’autres raisons, de Béhague etcollègues. Nous ressentons que l’aventure collaborative n’apporte pas encore

1 Souvenons-nous, que c’estjustement en essayant dedistinguer les catégories, queMary Douglas a suggérél’adoption de différentsmessages pour des groupesculturels différents, dans lescampagnes contre le SIDA(Douglas,1992:102-121;Guivant,1998:10).

2 Pour une discussionstimulante sur l’état de l’artde l’épidémiologie du risque,dans les années 1980 et 1990,notamment sur la«relativité» justement des«risques relatifs» etl’apparition de «l’épidémiedes risques» dans lalittérature médicale, voir letexte par Castiel, 1996.Castiel traite également de lavaste littératuresociologique, en soulignantle scénario de «nouveauxgriefs» qui s’ouvre (ou seferme?) tant pour le domainebiomédical comme pour celuides sciences humaines.

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les annoncées « epistemological lessons » (leçons épistémologiques), mais desleçons épidémiologiques... Au fond, nous avons devant nous une démarche del’épidémiologie pour questionner des positions hégémoniques dans leurs propresrangs, une étape importante pour reconnaître leurs limites et de se positionner,bien que de façon hésitante, étant donnée la catastrophe éthique et politiquede certaines politiques de santé, retranchées dans la notion de risque. Cequestionnement, à l’intérieur même du territoire de la discipline, a peut-êtreatteint son point culminant, et prévisiblement controversé, dans le livre récentde l’épidémiologiste Geoffrey C. Kabat, professeur du Albert Einstein College ofMedicine, à New York, dans lequel il critique les excès et distorsions, comme ille fait bien remarquer, qui caractérisent le thème des risques environnementauxpour la santé (Kabat, 2010).

Les concepts et les positions, défendus par la littérature épidémiologiquedu risque, ne tiennent pas compte de la multiplicité des subjectivités et de lapropre histoire des débats et de la formation compliquée des concepts,s’acheminant, d’ailleurs, vers des accords et des consensus périodiques, dansl’Anthropologie et dans la Sociologie. Il y a de nombreux exemples où de tellesimperfections transparaissent dans le discours épidémiologique, en dépit despropos de la littérature de produire un bon dialogue interdisciplinaire. L’idéemême, aujourd’hui banale dans les domaines des sciences sociales, que lesreprésentations constituent la composante mentale de n’importe quelle actionsociale, qu’elles édifient la médiation symbolique de chacune des transactionssociales impliquant des êtres humains, devrait conduire, parmi les auteurs d’Épidémiologie, à la conscience de ses profondes implications théoriques. Uned’entre elles, ayant des conséquences sur les interventions proposées et établiesà la Santé Publique par ses agents, selon le besoin de tenir en compte ce quipense et pratique le sujet, qui sera l’objet de telles interventions. Tellesconséquences, théoriques et programmatiques, représentent de durs défis, passeulement pour l’épidémiologie, mais aussi pour la santé collective, qui sontloin d’être confrontées par l’abondante production en ce domaine, à l’exempledu silence sur les fumeurs – dont les représentations simplement ne sont pasconsidérées – en tant qu’ individus dépourvus des droits fondamentaux à lajouissance des espaces publics.

Un des auteurs les plus importants dans le débat sur les risques, lesociologue allemand Ulrich Beck arrive à affirmer que la nouvelle modernitéest «la société du risque»(Beck, 1992). Beck ne se propose pas à discuter,comme l’a magistralement fait Randall Collins, la vulnérabilité récente des espacessociaux qui favorisent les rites de la sociabilité, la cible des campagnes anti-tabac (Collins, 2004, esp. chap. 8; Castro Santos, 2007). Les préoccupationscentrales de Beck, également signalées par d’autres auteurs comme AnthonyGiddens et Scott Lash (Beck et al, 1994), se tournent vers les risquestechnologiques et environnementaux qu’on pourrait appeler de «grand impact»,en ce qui concerne les conséquences pour l’avenir de l’humanité et de la planète,dans le projet historique de la modernité. Étant donné les conflits autour des

• Alba Zaluar et Luiz Antonio de Castro Santos

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maux de la technologie, qui changent l’axe de la sécurité / insécurité, unemultiplicité de groupes, associations et mouvements sociaux - les «experts» detoutes sortes – aspirent à devenir des spécialistes, ou se positionnent en tantque tels, puisque l’information est de plus en plus partagée et nécessaired’avantage pour remédier les effets de l’activité humaine sur la planète. MaryDouglas et Aaron Wildavsky ont situé la question de l’(in)sécurité sous unangle essentiellement culturel. Leur question illustrative se porte sur des culturessingulières - à la fois, des sociétés tribales et complexes: En se demandant«quel niveau de sécurité est-il suffisamment sûr pour une culture en particulier?», ils finissent par questionner également la possibilité des experts d’arriver àdéfinir des niveaux de sécurité «universellement» acceptables. C’est-à-dire, à larigueur, il n’y a pas d’experts (Douglas et Wildavsky, 1982). Dans les mots de lasociologue Julia Guivant, « nous avons à traiter avec des connaissances quisont incertaines, un aspect que la perspective technique sur les risques neconsidère pas, en hiper-intellectualisant les processus décisoires et en insistantemphatiquement sur les empêchements des laïcs, classés comme irrationnels »(Guivant, 1998, p. 4). Dans cette perspective, il s’agit de comparer les pratiquessociales ou les cultures en action, qui permettront découvrir celles qui poussentles gens à de nouveaux espaces, à de nouvelles expérimentations, à des actionsdont les résultats sont imprévisibles ou inconnus, ou, tout simplement, à desréponses à des défis. Ils ont beaucoup plus à s’occuper, en vollant dans unplaneur, en plongeant dans les profondeurs, en pariant sur les jeux de hasard,y compris la bourse, en courant en haute vitesse, qu’à fumer une cigarette sanssavoir quand, où et si ils auront un cancer. Cette comparaison est destinée àrépondre aux questions qui ont toujours tourmenté l’homme: quand faut-il seprotéger? combien risquer pour jouir de la liberté? Les réponses des cultures etdes personnes ont été nombreuses et nous devons, avant tout, comprendrequel est l’enjeu du risque.

Plus récemment, des harmonies et des dissonances marquentl’emplacement d’ auteurs de la stature de Giddens, Beck et Lash. Aussi biendans leurs œuvres, que dans la littérature récente, en général, il y a des pointsde remarquable convergence. Les deux premiers auteurs coïncident en proposantque le concept de société de risque vienne à remplacer celui de la société declasses. Dans son excellent bilan de la littérature sur les risquesenvironnementaux et leur confrontation par les sciences sociales, Julia Guivant(1998) met en évidence, avec précision, les limitations d’une telle « pirouette »interprétative, parce qu’elle reflète, de façon particulière, la situation observéedans les principaux pays. Giddens n’ attribue pas un caractère si remarquabledans les processus de changement, tel que le fait Beck, mais ce biais n’est pasabsent de ses travaux. Guivant suggère une « simultanété » de processus dansles pays dépendants. « Nous considérons, par exemple, que la société brésilienneest traversée par les problèmes des sociétés de pénurie, où la répartition desrichesses est hautement inégale entre les classes sociales, avec les problèmesde la société de risque, toujours sans compter avec un reflet actif que Beck

(...) questionsqui onttoujourstourmentél’homme:quand faut-ilse protéger?combienrisquer pourjouir de laliberté? Lesréponses descultures etdes personnesont éténombreuses etnous devons,avant tout,comprendrequel est l’enjeudu risque.

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identifie dans les sociétés plus industrialisés » (Guivant, 1998, p. 34). Mais ilserait injuste de dire que Giddens et Beck n’aient pas signalé combien les effetsde la société de risque sont inégalement distribués dans la société. Ce sont lesplus pauvres qui sont les plus vulnérables, selon les deux auteurs (Beck, 1992).

En contemplant, justement, les sociétés contemporaines, la littératurecherche à démontrer le caractère pluriel des notions sur les risques et leur(in)acceptabilité, aussi bien que la désintégration des certitudes, autrefoisexistantes, dans la société industrielle. En l’absence de consensus facilementreconnaissables, sans noyau légitimateur, les individus ont, en même temps,plus de possibilités de faire des choix, de rendre leur self social, ou selves, aupluriel, encore plus variés et complexes, et, aussi, d’assumer une plus granderesponsabilité sur leurs propres biographies. Précisement par cette raison, danscette société d’individus, la liberté d’agir selon ses choix personnels est, à lafois, le privilège et la responsabilité de chacun. Sous un autre point de vuethéorique, pour sortir de l’individualisme qui peut glisser à l’utilitarisme, ilfaut reconnaître que la recherche de nouvelles certitudes, d’avatars et deprotections, pour soi-même et pour les autres, devient une compulsion pour denouveaux liens de reconnaissance, basés sur des noeuds sociaux qui unient etconstruisent les subjectivités. C’est le programme d’un autre réseau de recherches,dirigé par le groupe français du MAUSS, « Mouvement Anti-Utilitariste dans lesSciences Sociales” – et appuyé sur la contribution classique de la donation etde la réciprocité, de l’anthropologue Marcel Mauss.

La portée et les limites de la précaution.

Certaines politiques de santé, imposées comme des solutions pour réduiredes risques « relatifs », ont ignoré, comme nous l’avons vu, la libre jouissancedes liens sociaux qui produisent et reproduisent les subjectivités. Dans le casdu siège aux fumeurs, nous sommes devant le non-lieu de la sociabilité, ou dunettoyage «sanitaire» des espaces publics, pour nous débarrasser decomportements, soi-disant, déviants. Sous des vêtements sociologiques,juridiques et médicaux, un nouveau concept a été salué comme le « principede la précaution », un mandat pour que les actions en défense de la santépublique, de la part des gouvernements partout dans le monde, soient considéréescomme légitimes, même en absence de preuves scientifiques indiscutables3.

Toutefois, une provocation récente de Bruno Latour sur ces questions(Latour, 2010), nous invite à tourner à l’envers le principe même de la précaution,la façon dont les gouvernements et les autorités sanitaires l’ont interprété etles législateurs l’appliquent, lidérés par la communauté épidémiologique. Latourdemande humblement l’adoption de « nouvelles règles » pour la méthodeexpérimentale, à la place des anciennes « règles » d’Emile Durkheim, qui, pardes voies transversales, sont encore présentes dans toutes les démarches

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3 Pour une position en défensedu principe de la précaution auBrésil, consultez Dallari, 2006.Dans un travail important,l’auteur déclare : « D’unecertaine façon, on peutaffirmer que l’analyse deséléments qui constituent leprincipe de la précautionremonte aux fondements de laSanté Publique. Il est évident(sic) que pour établir laprévention, élémenthistoriquement essentiel auconcept de Santé Publique, ilest indispensable unesurveillance continue nonseulement des donnéesépidémiologiques, mais ausside l’environnement politiquedans lequel elles se produisent,en ce qui touche surtout lesgrandes valeurs que la sociétéprétend abriter, leur choixéthique. C’est donc juste,reconnaître que le nouveau «principe de la précaution » sertà éveiller l’État sur une de sestâches essentielles etprioritaires: protéger etpréserver la Santé Publique(Dallari, 2006, p.25). Nousvoyons avec préoccupation unsigne pour la conduitemissionnaire de l’État, quipourrait « le réveiller » pour laformulation de politiques desanté éthiquementinjustifiables et politiquementautoritaires, bien qu’ au nom“des grandes valeurs que lasociété souhaite abritter. »(Nous remercions le médecinhygiéniste Sylvia Ripper pouravoir attiré notre attention surl’article de Dallari).

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scientifiques. Auparavant, dit Latour, l’action rationnelle se supposait résultantedu savoir scientifique – « le savoir expert ». Le passage du savoir à l’action étaitlégitimé par l’hypothèse d’une connaissance complète des causes et desconséquences (ibid: p. 1). Un expert ou consulteur en santé publique, enl’absence d’une connaissance solide sur les causes et les effets, prend de la«précaution» contre le risque, pour l’éliminer. Dans la lecture latourienne, laprécaution doit conduire à la familiarité avec le risque, sous certainesconditions. Il ne s’agit pas d’une résurrection d’un ethos anarchiste ourévolutionnaire. En vérité, l’action prudente ou prévenue, mûe par le principecorrespondant, consiste à « sonder, explorer, tâter », tenir en compte les voixde l’autre (p. 1). « Pour s’entendre, il faut entendre » (p. 2).

Les risques, « jamais calculés exactement», ont la contrepartie nécessaired’une responsabilité partagée, d’une accountability [transparence] sociale, d’unesurveillance «constante» par la société, mais pas sur la société.4 Dans les termesemployés par les champs de la santé au Brésil, il ne s’agit pas d’une surveillanceimposée institutionnellement, cependant vécue comme un «contrôle social » –ce n’est pas non plus le contrôle, comme concept sociologique durkheimien quiremonte à des normes et des règles sociales introjectées par les sujets, mais lecontrôle en tant qu’exercice d’une étroite attention et d’ évaluation de lapopulation sur les appareils mêmes de la surveillance institutionnelle. Lasurveillance est en fait autre chose, différente de la « surveillance sanitaire » –c’est l’attention, la connaissance informée, participée et participante devant lerisque. Elle ne se pose pas comme un aspect accessoire de la précaution ; aucontraire, elle est l’élément essentiel. De même, lorsque les liens entre l’expertiseet l’ action se rompent, la perplexité gagne de l’espace à la place de la certitude,à guise d’ un nouveau partenaire de la surveillance et de la propre actionconsciente du risque. La science expérimentale devient, maintenant, suggèreLatour, « une science expérimentale collective », amplifiée pour le terrain mêmede l’action et des expériences collectives, engouffrée « dans la dure incertitudedes controverses. » (p. 3). « Le principe de la précaution nous empêche, aufond, de disqualifier l’interlocuteur avec lequel il faut nous entendre » (p. 2).Somme toute, la voix du savoir n’est pas non plus la voix d’un propriétaire del’expertise devant des « experts alternatifs », mais devant le non-savoir deslaïques, collaborateurs de vastes expériences en échelle mondiale. Le modèleexpérimental subsiste dans un sens étroit, mais la science expérimentale«collective», dont nous parle Latour, correspond à des processus de largeamplitude pour rendre possible un autre principe, le principe du bongouvernement. Prudent devant la recherche des fameux « déterminants sociaux»de la santé par l’épidémiologie, le bon gouvernement devra, effectivement,tenir compte des « indéterminations » du monde réel (Guivant, 1998, p. 35) etdivulguer les limites de la certitude scientifique à la population sensible aurisque quotidien et à la façon d’y faire face.

4 “Autrement dit, dans tousles modèles d’action, lavigilance va de pair avec laprise de risque. (...) Plus jeprends de risque plusj’apprends comment etsurtout face à quoi devenirvigilant”. (Latour, 2010, p. 1).

La surveillanceest en faitautre chose,différente dela«surveillancesanitaire» –c’estl’attention, laconnaissanceinformée,participée etparticipantedevant lerisque.

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Les drogues et la culture

Si la littérature anglo-saxonne, sur les risques et la culture, a été enrelief depuis les années 1980, notamment avec la contribution de Mary Douglas,les écrivains français ont été très présents dans la production internationalerécente. Nous avons déjà souligné la critique remarquable de Latour au sujetdes conceptualisations de la « précaution ». D’ autres présences doivent êtredésormais considérées. Quelques intellectuels importants dans le débat sur cethème, en France, ainsi que des chercheurs d’autres pays, ont participé à unerencontre internationale, « Drogues et Cultures», organisée par l’agence OFTD(Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies) et par la Chaire Santéde Sciences Po, réalisée à Paris, du 11 au 13 Décembre 2008. [http://www.drugsandcultures2008.com]. L’extraordinaire effervescence des débats aété signalée, dans la conférence de clôture, par le sociologue Robert Castel(ibid: 13 Décembre 2008, vidéo). Castel a réuni quelques unes des questions etdes conclusions les plus brûlantes, en suggérant de la prudence dans l’analysede la toxicomanie, au moment de faire la distinction entre les consommateurset les toxicomanes, et en pointant la convenance de limites à l’adoption desnommés «hétéro-contrôles» sur les consommateurs, y compris les consommateurslourds. Castel signale la prudence nécessaire dans l’adoption de pratiquesinstitutionnelles coercitives et punitives, basées sur les connaissances médicaleset juridiques. Le consommateur – léger ou lourd – est un sujet social; l’usagede drogues est un comportement social qui doit être élaboré par la sciencesociale. Nous avons là, une affirmation banale pour les scientifiques sociaux,nous souvient Castel ; cependant, elle semble échapper aux connaissances d’ordremédicale et juridique, dont l’application arrive même à exempter le scientifiquesocial. Bien qu’il n’ait pas abordé directement les questions du trafic de drogues,ses observations sont certainement aussi applicables à ce dernier sujet, surlequel les discours judiciaire et policier tendent à ignorer les analyses dessociologues et des anthropologues. Dans la production française plus récente,on renforce le ton et la critique des travaux pionniers sur ce terrain, avec des «relectures » et des appréciations des travaux de Mary Douglas, au delà d’uneadaptation intéressante du classique de Howard S. Becker sur la « carrièremorale » des consommateurs de marijuana. Cette fois-ci, le thème de Beckerest revu par la lentille des nouveaux outsiders (étrangers) du 21ème siècle, lesfumeurs français (Becker, 1963; Watel-Peretti, 2007). L’accent est mis surl’exposition variée au risque – où, pour le tabac et les drogues, on observe laquestion de la régularité et de la quantité de la consommation. Étonnamment,ces dernières sont souvent négligées dans les analyses des maux provenants dutabac, comme si touts les niveaux d’exposition produisaient des griefs semblables.On discute les attitudes sociales de groupe, tout à fait différentes en ce quiconcerne les risques et relationnées aux représentations sociales égalementdifférenciées. Dans son discours, lors du séminaire « Drogues et Cultures », lesociologue Patrick Peretti-Watel souligne le caractère polissémique de la notion

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L’attachementà des réseauxde soutiensocial,récemmentsouligné dansdes travauxd’épidémiologistes– la culture dessupportiverelationships«relations desoutien» –auraitbeaucoup àgagner del’examenattentif destravaux desintéractionnistessymboliquessur les rituelsde lacoexistencesociale, quipuissentréduirel’impact des«risques» surla santé pardes voiesinsoupçonnéesou inattendues

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de risque et les modèles de l’épidémiologie qui mènent à la connaissance /ignorance du comportement social des consommateurs de drogues (ConférenceDrogues et Cultures, 13 décembre 2008, vidéo). L’anthropologue David Le Breton(1991, 2004), un autre auteur dans ce débat, en France, accentue dans sesœuvres le goût du risque qui caractérise certaines catégories de personnescomme les entrepreneurs et les sportifs ; plutôt que d’éviter une action risquée,ces individus, et leurs « tribus », choisissent le risque, en cherchant et enmettant en valeur, en y faisant face, justement l’expérience de vivre la « passiondu risque» (ibid., 1991) et les « conduites de risque »(ibid: 2004). La logiquede cette poursuite ne peut être comprise sous l’optique de la rationalité del’aversion au risque, ou, nous ajoutons, à partir des paradigmes du choixrationnel, mais plutôt comme un moyen de se confronter inconsciemment avecla mort et de demander la reconnaissance ou un sens dans leur vie personnelleet devant leur « groupe de référence ». Tel que les sociologues intéractionnistesont montré, ce sens peut être offert par le « groupe de référence » ou construitpar l’action du propre sujet, même sans l’intervention efficace ou directe dugroupe ou de la collectivité.

Le risque incertain

Il s’ensuit que l’idée même de la préservation de la vie par-dessus tout,la valorisation de la longévité et l’option pour la vie paisible de ceux qui n’osentpas, doit être relativisée pour que l’on comprenne pourquoi certains groupes etindividus préfèrent exactement le chemin inverse. La définition du risque dansl’approche des sciences sociales est, donc, une construction sociale multiple,polyphonique, et l’une de ses acceptions actuelles est celle utilisée dansl’épidémiologie et devenue, comme nous avons indiqué dans cet essai, si souventcontestée par les sociologues et les anthropologues. Cette discussion devientcruciale pour que l’on comprenne ce qui est en cause. Si nous considérons lerisque dans les schémas des rationalités qui emphatisent le calcul, à partir devariables socio-économiques ou écologiques, probabilistiques dans leur totalité,nous laisserons de côté ce qui ne peut être mesuré, car il appartient à la sphèrede la liberté humaine, de ce que l’un des fondateurs de l’Anthropologie –Bronislaw Malinowski – a appelé « les impondérables de la vie réelle ». Cesimpondérables sont considérés par tous les scientifiques sociaux dans leurstentatives d’entendre, d’expliquer ou d’interpréter le monde. La rhétorique del’épidémiologie n’ouvre pas d’espace à l’intersubjectivité nécessaire àl’incorporation, par l’observateur dépourvu de l’arrogance de la philosophierationaliste du sujet, des représentations sociales plurielles, différenciées etcoexistantes dans la situation vécue dans la recherche. Nous perdons, ainsi,dans les interprétations courantes, les ressources interprétatives del’Anthropologie et de la Sociologie, en particulier dans l’utilisation des conceptsqui pourraient créer des variables quantificatives plus fiables.

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Pour cette raison, justement, on ne peut pas laisser de côté les anciennesthéories sur la différenciation des genres, des classes sociales, des formationssociales, aussi bien que les plus contemporaines, d’intéractions symboliques etde définitions de la situation vécue et de la sociabilité. L’attachement à desréseaux de soutien social, récemment souligné dans des travauxd’épidémiologistes – la culture des supportive relationships « relations de soutien»– aurait beaucoup à gagner de l’examen attentif des travaux des intéractionnistessymboliques sur les rituels de la coexistence sociale, qui puissent réduire l’impactdes « risques » sur la santé par des voies insoupçonnées ou inattendues (àexemple de Collins, 2004).

Il y a, bien sûr, des rituels destructifs ou anti-sociaux, qui ont leurrationalité également rebelle au calcul. Dans les sociétés urbaines contemporainesapparaissent des différences indéniables dans la relation que les jeunes, desclasses populaires, ont à l’égard de leur masculinité, clairement liée, à son tour,à leur habilité de prendre et faire face aux risques. Ces jeunes cherchent desbagarres et participent à des courses ilégales de voitures en haute vitesse, àguise de divertissement et le renforcement de leurs groupes de référence. Il y ade nombreux styles pour afficher leur masculinité chez les jeunes gens desclasses moyenne et haute, entre les jeunes noirs, métis, et mulâtres desdifférentes régions des villes brésiliennes. Par ailleurs, il ne faut pas généraliseret associer les études qui corrélationnent les formes hégémoniques desocialisation de l’homme, tournées vers des comportements de courage,d’agressivité, de combat, de compétitivité et de défi aux dangers, avec lescomportements violents et de risque. De telles études créeraient un « mâlegénérique », stéréotypé et « essentialisé », toujours enclin à la violence et audanger, ce qui signifierait l’affirmation d’une détermination directe, sansmédiations, entre être un homme et adopter des conduites de risque.

Si nous considérons la violence et le risque comme polyphoniques, ildevient essentiel d’inclure les définitions, les sensibilités et les sentiments despersonnes impliquées dans la situation ou dans l’intéraction focalisée. Du pointde vue de l’organisation sociale, on peut dire qu’une manifestation de forcedevient violence quand elle dépasse une limite ou dérange les accords taciteset les règles qui commandent les relations. Par conséquent, ce qui caractériseraune action comme violence, c’est la perception de la limite (et de la souffrancequ’elle cause). De même, le risque est aussi l’action ou la situation qui dépassela capacité de chacun, ou d’un groupe social, d’envisager les résultats possibleset de sonder (« explorer, tâter », nous rappelle Latour) les résultats (in)attendus.Nous sommes devant une autre logique, de risques jamais calculés exactement.

Le risque et l’incertitude se fondent. La détection de la conduite derisque et du comportement violent dépend des sensibilités ou des émotions,telles que la peur et l’orientation de l’acteur vers ce sentiment. La connaissance,majeure ou mineure, des effets néfastes qu’ une situation, définie comme risquée,peut apporter, em même temps, pour l’individu et pour son groupe de référence

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ou pour la collectivité, peut influencer le cours d’action mené par l’acteur.Néanmoins, les valeurs et les dispositions du sujet pour y faire face,individuellement ou en groupe, peuvent être décisives et contraires à l’actionqu’on « pourrait attendre » de cette connaissance ou de l’ information sur seseffets néfastes.

Voilà pourquoi, il faut faire attention aux zones existantes de conflitsocial et baser toute tentative de prévention de la violence, de réduction derisques ou de « griefs », sur l’interactivité des personnages qu’y participent. Sile comportement est essentiellement social, si le sujet est un acteur social, celàne veut pas dire que les politiques de réduction de conflits puissent exempterd’implication chaque acteur, la parole de chacun d’eux. Nous sommes devantdes personnages différents, dans les coulisses des relations de groupe et deszones de conflit. Il nous faut, donc, analyser comment les acteurs vivent lerisque, s’ils le cherchent ou s’ils en sont engloutis, dans un double sens, pourles fumeurs de tabac et pour le consommateur de drogues illicites. (De la mêmefaçon, ça va sans dire, la science sociale ne peut pas être engloutie par larhétorique des risques).

Du point de vue sociologique et anthropologique, il convient comprendrecomment les acteurs estiment les effets d’une drogue sur leurs corps et esprits,et le quantum de plaisir ou de douleur qu’ils en tirent. L’idée même de compulsionet d’excès doit être relativisée et doit inclure la subjectivité des agents.Cependant, il est possible de concevoir un réseau de comportements allant ducontrôle de l’action et de la compulsion, entre le rationnel et l’irrationnel,entre les précautions prises pour réduire les effets nocifs et l’exposition débridéeet défiante, malgré la connaissance soi-disant acquise sur de tels effets. Onpourrait, peut-être, arriver à tracer, comme l’a fait Becker il y a longtemps,quelques profils sociaux de ceux qui cherchent ou ne fuyent pas les conduitesrisquées, depuis la révolte juvénile jusqu’à l’indifférence devant le résultat quine ferait que hâter la finitude humaine. Comment faut-il conduire tels acteursà envisager des actions appuyées sur un certain niveau de précaution? Noussommes de retour aux impondérables de la vie réelle, à ses indéterminations,aux tentatives encore nécessaires de rendre aux hommes et aux femmes lesentiment du monde, avec ses desseins et ses secrets, enfin libérés pour «sonder, explorer, tâter », libres de lois et de règlements fabriqués d’avance etprécairement négociés.

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