5
*Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (J.-M. Azorin) © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. L’Encéphale (2012) 38, S70-S74 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Les endophénotypes tempéramentaux Temperamental endophenotypes J.-M. Azorin a *, E. Fakra a , M. Adida a , R. Belzeaux a , M. Cermolacce a , P. Mazzola a , N. Corréard a , M. Dubois a , D. Pringuey b , M. Sokolowsky c , A. Kaladjian d a SHU Psychiatrie Adultes – Pavillon Solaris, Hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France b Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, CHU Pasteur, 06002 Nice cedex, France c Service du Pôle psychiatrie, Hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France d Pôle de Psychiatrie des Adultes, CHU Robert Debré, Avenue du Général Koenig, 51092 Reims cedex, France Résumé Le tempérament a été déni comme le noyau biologique héritable de la personnalité, qui demeure stable au cours de la vie et établit le niveau basal de réactivité, d’humeur et d’énergie d’un individu. Si le lien entre tempérament et maladie mentale remonte à la médecine gréco-romaine, Kraepelin a été l’un des premiers auteurs à porter attention aux bases tempéramentales du trouble bipolaire. Il a proposé quatre types tempéramentaux qu’il a décrits dans l’histoire prémorbide de la majorité des patients maniaco-dépressifs, et trouvés surreprésentés chez les apparentés biologiques de ces patients. À partir de ces bases, Akiskal a formulé le concept moderne de tempérament affectif, et décrit cinq tempéraments : dépressif, hyperthymique, cyclothymique, irritable et anxieux. Selon le modèle d’Akiskal, il existe dans le trouble bipolaire, un continuum allant du tempérament aux épisodes thymiques constitués. Une série d’études récentes ont montré le rôle joué par les tempéraments dans l’émergence des épisodes bipolaires, leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes ont pu conrmer les premières observations de Kraepelin. Il a été récemment proposé que les tempéraments puissent être porteurs de certains avantages dans une perspective évolutionniste, tant au niveau individuel que d’un groupe, de sorte que les troubles affectifs seraient des réservoirs génétiques pour des tempéraments adaptatifs et le prix à payer pour le risque de l’exceptionnalité. À côté de ces perspectives théoriques, porter attention aux composantes tempéramentales peut avoir des implications importantes pour le traitement du trouble bipolaire. Enn des études récentes ont également conrmé que le concept de tempérament affectif remplissait les critères requis pour être considéré comme un endophénotype. © L’Encéphale, Paris, 2012 Summary Temperament has been dened as the heritable biologically determined core of personality that remains stable throughout the life span and establishes the baseline level of reactivity, mood, and energy of a person. If the link between temperament and mental disorder goes back to the Greco-Roman medicine, Kraepelin was among the rst authors to pay attention to the temperamental bases of bipolar disorder. He proposed four temperamental types that he described in the premorbid histories of the majority of manic-depressive patients, and found overrepresented in the biologic relatives of these patients. Building on this ancestry, Akiskal formulated the modern concept of affective temperament, and described ve temperaments: depressive, hyperthymic, cyclothymic, MOTS CLÉS Tempérament ; Trouble bipolaire ; Trouble affectif ; Maladie maniaco- dépressive ; Endophénotype KEYWORDS Temperament; Bipolar disorder; Affective disorder; Manic-depressive illness; Endophenotype

Les endophénotypes tempéramentaux...leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les endophénotypes tempéramentaux...leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes

*Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (J.-M. Azorin)

© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.

L’Encéphale (2012) 38, S70-S74

Dispon ib le en l igne sur www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.el sev ier .com/locate/encep

Les endophénotypes tempéramentauxTemperamental endophenotypes

J.-M. Azorina*, E. Fakraa, M. Adidaa, R. Belzeauxa, M. Cermolaccea, P. Mazzolaa, N. Corréarda, M. Duboisa, D. Pringueyb, M. Sokolowskyc, A. Kaladjiand

a SHU Psychiatrie Adultes – Pavillon Solaris, Hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France b Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, CHU Pasteur, 06002 Nice cedex, France c Service du Pôle psychiatrie, Hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France d Pôle de Psychiatrie des Adultes, CHU Robert Debré, Avenue du Général Koenig, 51092 Reims cedex, France

Résumé Le tempérament a été défi ni comme le noyau biologique héritable de la personnalité, qui demeure stable au cours de la vie et établit le niveau basal de réactivité, d’humeur et d’énergie d’un individu. Si le lien entre tempérament et maladie mentale remonte à la médecine gréco-romaine, Kraepelin a été l’un des premiers auteurs à porter attention aux bases tempéramentales du trouble bipolaire. Il a proposé quatre types tempéramentaux qu’il a décrits dans l’histoire prémorbide de la majorité des patients maniaco-dépressifs, et trouvés surreprésentés chez les apparentés biologiques de ces patients. À partir de ces bases, Akiskal a formulé le concept moderne de tempérament affectif, et décrit cinq tempéraments : dépressif, hyperthymique, cyclothymique, irritable et anxieux. Selon le modèle d’Akiskal, il existe dans le trouble bipolaire, un continuum allant du tempérament aux épisodes thymiques constitués. Une série d’études récentes ont montré le rôle joué par les tempéraments dans l’émergence des épisodes bipolaires, leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes ont pu confi rmer les premières observations de Kraepelin. Il a été récemment proposé que les tempéraments puissent être porteurs de certains avantages dans une perspective évolutionniste, tant au niveau individuel que d’un groupe, de sorte que les troubles affectifs seraient des réservoirs génétiques pour des tempéraments adaptatifs et le prix à payer pour le risque de l’exceptionnalité. À côté de ces perspectives théoriques, porter attention aux composantes tempéramentales peut avoir des implications importantes pour le traitement du trouble bipolaire. Enfi n des études récentes ont également confi rmé que le concept de tempérament affectif remplissait les critères requis pour être considéré comme un endophénotype.© L’Encéphale, Paris, 2012

Summary Temperament has been defi ned as the heritable biologically determined core of personality that remains stable throughout the life span and establishes the baseline level of reactivity, mood, and energy of a person. If the link between temperament and mental disorder goes back to the Greco-Roman medicine, Kraepelin was among the fi rst authors to pay attention to the temperamental bases of bipolar disorder. He proposed four temperamental types that he described in the premorbid histories of the majority of manic-depressive patients, and found overrepresented in the biologic relatives of these patients. Building on this ancestry, Akiskal formulated the modern concept of affective temperament, and described fi ve temperaments: depressive, hyperthymic, cyclothymic,

MOTS CLÉSTempérament ;Trouble bipolaire ;Trouble affectif ;Maladie maniaco-dépressive ;Endophénotype

KEYWORDSTemperament;Bipolar disorder;Affective disorder;Manic-depressive illness;Endophenotype

Page 2: Les endophénotypes tempéramentaux...leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes

Les endophénotypes tempéramentaux S71

Introduction

Le but de ce travail est de donner un aperçu rapide des différents angles sous lesquels la notion de tempéra-ment a été abordée en psychiatrie et de présenter ce en quoi le tempérament peut être considéré comme un endophénotype.

Historique et défi nition

La notion de tempérament désigne généralement les aspects génétiques et constitutionnels de la personnalité, alors que le caractère fait référence aux attributs acquis au cours du développement au sein de la structure familiale [1]. Si l’on peut trouver les prémisses d’une telle notion chez Hippocrate ou Aristote [2], c’est en fait Kraepelin qui a donné tous ses droits au concept de tempérament en psychiatrie [1], en décrivant les états caractéristiques des prédispositions pré-morbides au sein des troubles affectifs. Kraepelin a ainsi le premier décrit les tempéraments dépressif, maniaque, irritable et cyclothymique, sur lesquels surviennent les épisodes thymiques et qui par conséquent peuvent être retrouvés avant et entre ces épisodes. En outre de tels tempéraments apparaissent surreprésentés chez les appa-rentés biologiques des patients maniaco-dépressifs [1]. Le concept a subi des variations au cours de l’histoire, à travers les œuvres de Schneider, Kretschmer ou Sheldon, pour être repris par Akiskal et le courant néo-kraepelinien. Sur la base d’observations cliniques et psychométriques, Akiskal a décrit les tempéraments hyperthymique, dépressif, cyclothymique, irritable et anxieux dont il a pu valider la teneur au cours de nombreuses études empiriques [4].

D’autres concepts des tempéraments ont vu le jour à notre époque, ainsi le modèle élaboré par Cloninger [5] qui a initialement proposé l’existence de trois dimensions tempéramentales héritables : la recherche de nouveauté, l’évitement du danger et la dépendance à la récompense. En fait ces dimensions tempéramentales se recoupent très largement avec le modèle néokraepelinien d’Akiskal [6].

La notion de tempérament n’est pas exclusive de celle de personnalité. MacKinnon et Pies [7] ont ainsi proposé un modèle intéressant selon lequel l’instabilité affective présente au sein des tempéraments cyclothymiques dès le plus jeune âge provoquerait chez les patients une série de contre-attitudes éducatives néfastes et susceptibles de ren-forcer l’instabilité thymique, et par là-même de conduire à la

constitution de personnalités borderline ainsi que vulnérables à la survenue de troubles affectifs. Cette hypothèse a pu récemment recevoir un début de validation empirique : ainsi, en 2011, Perugi et al. [8] ont pu montrer, dans une étude effectuée chez des patients dépressifs majeurs présentant une comorbidité avec le trouble de personnalité borderline, que l’existence d’un tempérament cyclothymique pouvait être prédictive de six des neuf caractéristiques de la person-nalité borderline telle que défi nie dans le DSM-IV.

Aspects descriptifs

Le tempérament hyperthymique, qui revêt sur le long terme et a minima plusieurs des composantes de l’hypo-manie, se caractérise par un optimisme excessif, un excès de confi ance, un haut degré d’extraversion et de socialité associé à de la désinhibition. L’hyperthyme est éloquent, chaleureux, plaisante volontiers et se lie facilement. Il a l’esprit aventureux, le goût du risque et se lance aisément dans de nouveaux projets ; sa volonté est forte et il paraît très actif. Il est volontiers intrusif et semble agir à sa guise. Il est généreux, peu respectueux des normes avec souvent de multiples liaisons sexuelles. Il se contente généralement de peu de sommeil.

Le tempérament dépressif, à l’inverse, est marqué par un surcroît de pessimisme et de scrupulosité associé à un défi cit chronique d’énergie. Les sujets pourvus d’un tel tem-pérament n’aiment pas le changement et se trouvent plutôt dans une position de dépendance et de passivité à l’égard des autres. Ils ont des diffi cultés à se faire de nouveaux amis et sont généralement très susceptibles. Le tempérament anxieux se caractérise, lui par une inquiétude chronique à l’égard des faits et évènements de la vie quotidienne, inquiétude relative à la santé des proches et/ou aux malheurs qu’ils pourraient subir.

Le tempérament cyclothymique a pour marque de fabrique l’existence de changements rapides d’humeur et d’énergie avec des sentiments rarement mitigés, le plus souvent « trop hauts » ou « trop bas » ; il en va de même pour le niveau d’énergie. Le cyclothyme a tendance à ressentir les émotions de façon particulièrement intense ; sa confi ance en lui varie d’un extrême à l’autre avec des périodes d’en-thousiasme suivies d’un pessimisme excessif. Son besoin de sommeil est très variable, avec une tendance à la rêverie dans la journée. La vie amoureuse est très souvent chaotique. Le tempérament irritable est considéré comme étant une

irritable, and anxious. According to Akiskal’s model, bipolar disorder lies along a continuum from temperament to full-blown episodes of affective illness. A series of recent studies have shown the role played by temperaments in the outbreak of bipolar episodes, their clinical presentation, as well as the illness course and comorbidities. Furthermore modern familial and genetic studies have confi rmed the fi rst observations of Kraepelin. It has been recently proposed that affective temperaments may carry distinct evolutionary advantages on the individual or a group level, so that affective disorders would be genetic reservoirs for adaptative temperaments and the price to be paid for the chance of exceptionality. Apart from these theoretical perspectives, paying attention to temperamental components may have important implications for the treatment of bipolar disorder. Finally recent studies confi rmed as well, that the concept of affective temperament fulfi lled the criteria required to be considered as an endophenotype.© L’Encéphale, Paris, 2012

Page 3: Les endophénotypes tempéramentaux...leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes

S72 J.-M. Azorin et al.

variante extrême du précédent. Il se caractérise par des accès de colère excessifs et sans commune mesure avec les évènements susceptibles de les avoir déclenchés. Les sujets à tempérament irritable sont volontiers bagarreurs, agressifs, sceptiques et très critiques. Leur relation à autrui est de ce fait très instable et souvent explosive, avec des confl its répétés [3]. Des instruments standardisés permettent en pratique une évaluation quantifi ée de ces tempéraments [4].

Tempéraments et maladie bipolaire

Les tempéraments semblent intervenir dans le déclenche-ment, la nature et l’évolution des troubles bipolaires. Une étude prospective réalisée chez des enfants et adolescents souffrant de trouble dépressif majeur a pu montrer que l’existence d’un tempérament cyclothymique était prédic-tive de la survenue d’un trouble bipolaire associé à un degré élevé de suicidalité [9].

L’étude EPIMAN II Mille a, de façon rétrospective, suggéré le rôle joué par les tempéraments dans le déclenchement de la maladie. Pour atténuer ou renforcer les effets de leur tem-pérament, les sujets sont amenés à consommer des toxiques, ce qui conduit à des confl its interpersonnels, augmente leur niveau de stress et provoque la survenue du premier épisode ; les épisodes suivants seraient quant à eux entretenus par un mécanisme de Kindling ou de sensibilisation [10,11]. Les patients ayant un tempérament hyperthymique débutent plus volontiers leur maladie par un épisode maniaque et ont une polarité maniaque prédominante ; les patients à tempérament dépressif débutent leur affection par un épisode dépressif et ont une polarité dépressive prédominante ; les patients cyclothymiques ont plus de début mixte, avec une polarité mixte prédominante [10]. De façon générale les états mixtes seraient liés à la survenue d’un épisode thymique sur un tempérament de polarité opposée : cela a pu être montré à la fois pour les manies mixtes [12] et les dépressions mixtes [13]. Les tempéraments sont également susceptibles de modifi er le cours évolutif des épisodes : ainsi dans l’étude EPIMANN II Mille l’un des facteurs prédictifs de la survenue de cycles rapides était la présence d’un tempérament cyclothymique [14]. Les études EPIMAN II Mille pour le trouble bipolaire I et EPIDEP pour le trouble bipolaire II ont également montré que la pré-sence d’un tempérament cyclothymique était associée à une augmentation du risque suicidaire [15,16]. Les tempéraments interviennent enfi n dans le déterminisme des comorbidités psychiatriques rencontrées dans les troubles bipolaires. Nous avons évoqué plus haut le mécanisme par lequel étaient associées les comorbidités addictives. Il semble que les comorbidités avec les troubles des conduites alimentaires et en particulier la boulimie fassent intervenir l’impulsivité asso-ciée à l’existence d’un tempérament cyclothymique [17]. La présence d’un tempérament irritable favorise elle l’existence d’une comorbidité anxieuse, en contribuant à augmenter le niveau de stress des sujets [18]. L’existence d’une comorbi-dité anxieuse contribue par ailleurs à aggraver l’évolution du trouble bipolaire et favoriserait peut-être la survenue de comorbidités organiques [18].

Aspects génétiques et biologiques

À la suite des observations princeps de Kraepelin, plusieurs études récentes ont montré d’une part que les tempéraments affectifs étaient plus marqués chez les patients souffrant de

troubles bipolaires que chez des sujets contrôles, et que par ailleurs ces tempéraments étaient plus prononcés chez des apparentés sains de premier degré de patients bipolaires que chez des sujets contrôles ou des apparentés sains de premier degrés de patients unipolaires [19,20]. Dans la plupart de ces études les différences entre patients bipolaires, apparentés sains de premier degré et sujets contrôles sont les plus nettes sur les tempéraments cyclothymiques.

Concernant les études proprement génétiques, une première étude de linkage suggérait une association du tempérament cyclothymique au locus chromosomique 18p11 au sein de familles souffrant de troubles bipolaires, ainsi que des associations plus faibles sur les chromosomes 3 et 7 [21]. Une étude GWA plus récente [22] également réalisée chez des patients bipolaires montre une forte association du tempérament irritable sur le chromosome 1, une association du tempérament hyperthymique sur les chromosomes 12 et 22 ainsi qu’une association du tempérament cyclothymique sur le chromosome 13q 31, sur une région par ailleurs déjà retrouvée associée au trouble bipolaire et à l’existence de symptômes psychotiques. Par ailleurs d’autres associations potentielles sont suggérées pour les tempéraments dépressif et anxieux.

Au niveau des études de biologie moléculaire, une association a été retrouvée entre l’allèle s du gène du trans-porteur de la sérotonine et l’ensemble des tempéraments comportant une composante dépressive, à savoir les tem-péraments dépressif, cyclothymique et irritable [23]. Il est intéressant de noter que cet allèle a, par ailleurs, été associé à des composantes de la maladie bipolaire que l’on retrouve liées sur le plan clinique à la présence des tempéraments à composantes dépressives : dépression bipolaire, anxiété, suicide, éthylisme et réactivité au stress [10]. Aucune association directe n’a été retrouvée pour le tempérament hyperthymique ; en revanche une association a été rapportée entre la recherche de nouveauté, dimension liée au tempé-rament hyperthymique [6] et un polymorphisme du gène de transporteur de la dopamine (DAT1) [24], lui-même associé à la prise de stimulants chez les patients bipolaires [10]. Aucune association directe ou indirecte n’a été retrouvée pour le tempérament cyclothymique. En revanche, sur le plan purement biologique, le tempérament cyclothymique semble se caractériser par une variabilité extrême dans les réponses comportementales et biologiques au stress [25].

Aspects phylogénétiques et anthropo-culturels

Pour rendre compte du lien génétique entre tempéraments et trouble bipolaire, Akiskal et Akiskal, 2005 [3] en ont proposé une conceptualisation évolutionniste, selon laquelle le prix à payer pour la conservation des gènes ayant une valeur adaptative, serait le risque potentiel de trouble bipolaire. Dans cette conception, le trouble bipolaire constituerait ainsi un « réservoir génétique » à l’égard des tempéraments adaptatifs [26].

Selon ce modèle, le tempérament hyperthymique favoriserait le leadership, l’exploration et la conquête du territoire ; le tempérament dépressif caractérisé par la sensibilité à la souffrance, serait particulièrement utile dans le soin apporté à la progéniture et aux membres malades de l’espèce. Chez l’homme ces traits auraient évolué vers le sens du sacrifi ce et la dévotion aux autres, famille, institution, corps social, favorisant ainsi la conformité aux rôles et aux normes. Les traits du tempérament dépressif se recoupent

Page 4: Les endophénotypes tempéramentaux...leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes

Les endophénotypes tempéramentaux S73

en partie avec ceux du tempérament anxieux qui par sa dimension de souci altruiste, participerait également à la survie de l’espèce. Le tempérament cyclothymique aurait lui une fonction spécifi que liée à la reproduction, l’alternance de traits émotionnels et comportementaux opposés favori-sant l’approche du partenaire, mais aussi son rejet en cas d’échec ou d’insuffi sance, conduisant à sélectionner ainsi le conjoint le plus approprié à l’élevage de la progéniture. Les penchants créatifs habituellement associés à la cyclothymie dériveraient de la capacité à attirer le partenaire sexuel.

Le tempérament irritable servirait, lui, à la domination, dans la lutte pour les ressources, ses attributs permettant de protéger celles-ci des convoitises de l’ennemi potentiel [3].

De façon intéressante, dans une étude comparative entre différents pays, Gonda et al., en 2011 [26], ont pu établir un parallélisme entre la fréquence des tempéraments retrouvés dans chacun d’eux et un certain nombre de dimensions culturelles. Ainsi un parallèle existe entre la fréquence des tempéraments dépressifs et le degré de collectivisme, la fréquence des tempéraments hyperthymiques et le degré d’évitement de l’incertitude par la formation de lois strictes, enfi n entre le tempérament irritable et la répartition du pouvoir au sein d’une société donnée. Ces aspects anthropo-culturels viennent à l’appui du modèle phylogénétique des tempéraments affectifs.

Aspects thérapeutiques

Le modèle tempéramental des troubles bipolaires n’est pas sans conséquences sur le plan thérapeutique. L’idée centrale dans ce domaine est que le tempérament constitue la base et le point de départ, de même que le point d’arrivée des épisodes thymiques. Ainsi le risque d’un traitement trop agressif des épisodes est de compromettre ce qu’il y a d’unique chez tel individu malade ainsi que ses modalités propres de fonctionnement intercritique [3].

Une telle notion doit être gardée à l’esprit, à une époque où il est recommandé de procéder à un traitement agressif des épisodes afi n d’éviter la persistance de symp-tômes résiduels susceptibles de faire le lit des récidives. Il importe par conséquent d’être capable de bien distinguer, en intercritique, ce qui revient au tempérament et ce qui est manifestation résiduelle.

La psychoéducation pourrait jouer un rôle important dans la mesure où les sujets porteurs d’un tempérament anxieux, dépressif, cyclothymique ou irritable ont tendance par des chemins divers à provoquer, au sein de leur entourage, des situations de stress qui majorent le risque de survenue des épisodes. Il en va de même de l’usage d’alcool qui augmente également ce risque, tout en étant utilisé pour apaiser les conséquences de ce stress. Il peut être également utile d’éduquer les sujets hyperthymiques sur les situations à risque où les conduisent les excès de leur tempérament, et en particulier quant ceux-ci sont renforcés par la prise de stimulants. Il conviendra également d’être prudent dans l’utilisation d’antidépresseurs chez les sujets dont les comportements présentent des composantes hypomaniaques sachant que de telles molécules sont à même, elles aussi, de provoquer des épisodes maniaques ou mixtes.

Des thérapies plus spécifi ques ont pu être également proposées : ainsi les thérapies à base de relaxation ou de méditation pour les tempéraments anxieux, la prescription du travail chez les tempéraments dépressifs, ou les thé-rapies interpersonnelles et d’aménagement des rythmes

sociaux dans le cas de tempéraments cyclothymiques et/ou irritables [3].

Des recherches sont encore nécessaires pour connaître l’effet des différents thymorégulateurs sur les tempéra-ments, car il s’agit d’un domaine jusqu’à présent peu exploré tant par les cliniciens que par l’industrie pharmaceutique.

Conclusion

Selon Gottesman et Gould [27], un marqueur donné peut être considéré comme un endophénotype quand il est associé à la maladie dans une population, héritable, manifeste que la maladie soit active ou non et quand il présente une co-ségré-gation avec la maladie au sein des familles atteintes. Les lignes qui précédent ne peuvent que confi rmer la légitimité des tempéraments à mériter ce titre. La place et le rôle des endophénotypes tempéramentaux restent un terrain largement ouvert à la recherche en psychiatrie.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun confl it d’intérêt en lien avec cet article.

References[1] Akiskal HS, Hirschfeld RMA, Yerevanian BI. The relationship of

personality to affective disorders. A critical review. Arch Gen Psychiatry 1983;40:801-10.

[2] Akiskal HS, Akiskal KK. In search of Aristotle: temperament, human nature, melancholia, creativity and eminence. J Affect Disord 2007;100:1-6.

[3] Akiskal KK, Akiskal HS. The theoretical underpinnings of affective temperaments: implications for evolutionary foun-dation of bipolar disorder and human nature. J Affect Disord 2005;85:231-9.

[4] Akiskal HS, Akiskal KK, Haykal RF, et al. TEMPS-A: progress towards validation of a self-rated clinical version of the Temperament Evaluation of the Memphis, Pisa, Paris, and San Diego autoquestionnaire. J Affect Disord 2005;85:3-16.

[5] Cloninger CR. A unifi ed biosocial theory of personality and its role in the development of anxiety states. Psychiatric Dev 1986;3:167-226.

[6] Maremmani I, Akiskal HS, Signoretta S, et al. The relationship of Kraepelinian affective temperaments (as measured by TEMPS-1) to the tridimensional personality questionnaire (TPQ). J Affect Disord 2005;85:17-27.

[7] MacKinnon DF, Pies R. Affective instability as rapid cycling: theoretical and clinical implications for bordeline personality and bipolar spectrum disorders. Bipolar Disord 2006;8:1-14.

[8] Perugi G, Fornaro M, Akiskal HS. Are atypical depression, bor-derline personality disorder and bipolar II disorder overlapping manifestations of a common cyclothymic diathesis? World Psychiatry 2011;10:45-51.

[9] Kochman FJ, Hantouche EG, Ferrari P, et al. Cyclothymic temperament as a prospective predictor of bipolarity and suicidality in children and adolescents with major depressive disorder. J Affect Disord 2005;85:181-9.

[10] Azorin JM, Kaladjian A, Adida M, et al. Correlates of fi rst-episode polarity in a French cohort of 1089 bipolar I disorder patients: role of temperaments and triggering events. J Affect Disord 2011;129:39-46.

[11] Azorin JM, Kaladjian A, Adida M, et al. Baseline and pro-dromal characteristics of first-versus multiple-episode mania in a French cohort of bipolar patients. Eur Psychiatry 2011;27:557-62.

Page 5: Les endophénotypes tempéramentaux...leur présentation clinique, ainsi que l’évolution du trouble et ses comorbidités. En outre les études génétiques et familiales modernes

S74 J.-M. Azorin et al.

[12] Akiskal HS, Hantouche EG, Bourgeois ML, et al. Gender, tem-perament and the clinical picture in dysphoric mixed mania: fi ndings from a French national study (EPIMAN). J Affect Disord 1998;50:175-86.

[13] Azorin JM, Kaladjian A, Adida M, et al. Self assessment and characteristics of mixed depression in the French national EPIDEP study. J Affect Disord 2012 (in press).

[14] Azorin JM, Kaladjian A, Adida M, et al. Factors associated with rapid cycling in bipolar I manic patients: Findings from a French National study. CNS Spectr 2008;13:780-7.

[15] Azorin JM, Kaladjian A, Adida M, et al. Risk factors associated with lifetime suicide attempts in bipolar I patients: fi ndings a French National Cohort. Compr Psychiatry 2009;50:115-20.

[16] Azorin JM, Kaladjian A, Besnier N, et al. Suicidal beha-vior in a French Cohort of major depressive patients: Characteristics of attempters and nonattempters. J Affect Disord 2010;123:87-94.

[17] Perugi G, Toni C, Sanna Pasino MC, et al. Bulimia nervosa in atypical depression: the mediating role of cyclothymic temperament. J Affect Disord 2006;92:91-7

[18] Azorin JM, Kaladjian A, Adida M, et al. Psychopathological correlates of lifetime anxiety comorbidity in bipolar I patients: fi ndings from a French National Cohort. Psychopathology 2009, 42:380-6.

[19] Mendlowicz MV, Girardin JL, Kelsoe JR, Akiskal HS. A com-parison of recovered bipolar patients, healthy relatives of bipolar probands, and normal controls using the short TEMPS-A. J Affect Disord 2005;85:147-51.

[20] Chiaroni P, Hantouche EG, Gouvernet J, et al. The cyclothymic temperament in healthy controls and familialy at risk indivi-duals for mood disorder: endophenotype for genetic studies? J Affect Disord 2005;85:135-45.

[21] Evans LM, Akiskal HS, Greenwood TA, et al. Suggestive linkage of a chromosomal locus on 18p11 to cyclothymic temperament in bipolar disorder families. Am J Med Genet B Neuropsychiatric Genet 2008;147:326-32.

[22] Greenwood TA, Akiskal HS, Akiskal KK, et al. Genome-wide association study of temperament in bipolar disorder reveals signifi cant association with three novel loci. Biol Psychiatry 2012;72:303-10.

[23] Gonda X, Rihmer Z, Zsombeck T, et al. The 5-HTTLPR poly-morphism of the serotonin transporter gene is associated with affective temperaments as measured by TEMPS-A. JAffect Disord 2006;91:125-31.

[24] Sobol SZ, Nelson ML, Fisher C, et al. A genetic association for cigarette smoking behavior. Health Psychol 1999;18:7-13.

[25] Goplerud E, Depue RA. Behavioral response to naturally occu-ring stress in cyclothymia and dysthymia. J Abnorm Psychol 1985;94:128-39.

[26] Gonda X, Vazquez GH, Akiskal KK, Akiskal HS. From putative genes to temperament and culture: cultural characteristics of the distribution of dominant affective temperaments in national studies. J Affect Disord 2011;131:45-1.

[27] Gottesman II, Gould TD. The endophenotype concept in psy-chiatry: etymology and strategic intentions. Am J Psychiatry 2003;160:636-45.