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UNIVERSITE CLAUDE BERNARD –LYON 1
FACULTE DE MEDECINE LYON EST
Année 2014 N°
ETHNOGRAPHIE D’UN CABINET DE MEDECINE GENERALE
La question du sens dans la relation médecin-malade
THESE
Présentée
A l’Université Claude Bernard Lyon 1
et soutenue publiquement le 20 novembre 2014
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par
ASTYL Léa
Née le 17/03/1982 à Al Khobar
UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1
. Président de l'Université François-Noël GILLY
. Président du Comité de Coordination François-Noël GILLY
des Etudes Médicales
. Secrétaire Général Alain HELLEU
SECTEUR SANTE
UFR DE MEDECINE LYON EST Doyen : Jérôme ETIENNE
UFR DE MEDECINE
LYON SUD – CHARLES MERIEUX Doyen : Carole BURILLON
INSTITUT DES SCIENCES PHARMACEUTIQUES
ET BIOLOGIQUES (ISPB) Directrice : Christine VINCIGUERRA
UFR D'ODONTOLOGIE Directeur : Denis BOURGEOIS
INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE
READAPTATION Directeur : Yves MATILLON
DEPARTEMENT DE FORMATION ET CENTRE
DE RECHERCHE EN BIOLOGIE HUMAINE Directeur : Pierre FARGE
SECTEUR SCIENCES ET TECHNOLOGIES
UFR DE SCIENCES ET TECHNOLOGIES Directeur : Fabien de MARCHI
UFR DE SCIENCES ET TECHNIQUES DES
ACTIVITES PHYSIQUES ET SPORTIVES Directeur :Claude COLLIGNON
(STAPS)
POLYTECH LYON Directeur : Pascal FOURNIER
I.U.T. Directeur : Christian COULET
INSTITUT DES SCIENCES FINANCIERES
ET ASSURANCES (ISFA) Directeur : Véronique MAUME-DESCHAMPS
I.U.F.M. Directeur : Régis BERNARD
CPE Directeur : Gérard PIGNAULT
Faculté de Médecine Lyon Est
Liste des enseignants 2014/2015
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Classe exceptionnelle Echelon 2
Cochat Pierre Pédiatrie Cordier Jean-François Pneumologie ; addictologie Etienne Jérôme Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Guérin Jean-François Biologie et médecine du développement
et de la reproduction ; gynécologie médicale Mauguière François Neurologie Ninet Jacques Médecine interne ; gériatrie et biologie du
vieillissement ; médecine générale ; addictologie Peyramond Dominique Maladie infectieuses ; maladies tropicales Philip Thierry Cancérologie ; radiothérapie Raudrant Daniel Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Rudigoz René-Charles Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Classe exceptionnelle Echelon 1
Baverel Gabriel Physiologie Blay Jean-Yves Cancérologie ; radiothérapie Borson-Chazot Françoise Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques ;
gynécologie médicale Denis Philippe Ophtalmologie Finet Gérard Cardiologie Gouillat Christian Chirurgie digestive Guérin Claude Réanimation ; médecine d’urgence Lehot Jean-Jacques Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Martin Xavier Urologie Mellier Georges Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Michallet Mauricette Hématologie ; transfusion Miossec Pierre Immunologie Mornex Jean-François Pneumologie ; addictologie Ponchon Thierry Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Pugeat Michel Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques ;
gynécologie médicale Revel Didier Radiologie et imagerie médicale Rivoire Michel Cancérologie ; radiothérapie Vandenesch François Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Zoulim Fabien Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Première classe
André-Fouet Xavier Cardiologie Barth Xavier Chirurgie générale Berthezene Yves Radiologie et imagerie médicale Bertrand Yves Pédiatrie Beziat Jean-Luc Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie
Boillot Olivier Chirurgie digestive Braye Fabienne Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ;
brûlologie Breton Pierre Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Chassard Dominique Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Chevalier Philippe Cardiologie Claris Olivier Pédiatrie Colin Cyrille Epidémiologie, économie de la santé et prévention Colombel Marc Urologie Cottin Vincent Pneumologie ; addictologie D’Amato Thierry Psychiatrie d’adultes ; addictologie Delahaye François Cardiologie Disant François Oto-rhino-laryngologie Di Fillipo Sylvie Cardiologie Douek Philippe Radiologie et imagerie médicale Ducerf Christian Chirurgie digestive Dumontet Charles Hématologie ; transfusion Durieu Isabelle Médecine interne ; gériatrie et biologie du
vieillissement ; médecine générale ; addictologie Edery Charles Patrick Génétique Fauvel Jean-Pierre Thérapeutique ; médecine d’urgence ; addictologie
Gaucherand Pascal Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Guenot Marc Neurochirurgie Gueyffier François Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie
clinique ; addictologie Guibaud Laurent Radiologie et imagerie médicale Herzberg Guillaume Chirurgie orthopédique et traumatologique Honnorat Jérôme Neurologie Lachaux Alain Pédiatrie Lermusiaux Patrick Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Lina Bruno Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Lina Gérard Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Mabrut Jean-Yves Chirurgie générale Mertens Patrick Anatomie Mion François Physiologie Morel Yves Biochimie et biologie moléculaire Morelon Emmanuel Néphrologie Moulin Philippe Nutrition
Négrier Claude Hématologie ; transfusion Négrier Marie-Sylvie Cancérologie ; radiothérapie Neyret Philippe Chirurgie orthopédique et traumatologique Nicolino Marc Pédiatrie Nighoghossian Norbert Neurologie Ninet Jean Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Obadia Jean-François Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Ovize Michel Physiologie Picot Stéphane Parasitologie et mycologie Rode Gilles Médecine physique et de réadaptation Rousson Robert-Marc Biochimie et biologie moléculaire Roy Pascal Biostatistiques, informatique médicale et
technologies de communication Ruffion Alain Urologie Ryvlin Philippe Neurologie Scheiber Christian Biophysique et médecine nucléaire Schott-Pethelaz Anne-Marie Epidémiologie, économie de la santé et prévention Terra Jean-Louis Psychiatrie d’adultes ; addictologie Thivolet-Bejui Françoise Anatomie et cytologie pathologiques
Tilikete Caroline Physiologie Touraine Jean-Louis Néphrologie Truy Eric Oto-rhino-laryngologie Turjman Francis Radiologie et imagerie médicale Vallée Bernard Anatomie Vanhems Philippe Epidémiologie, économie de la santé et prévention
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Seconde Classe
Allaouchiche Bernard Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Argaud Laurent Réanimation ; médecine d’urgence Aubrun Frédéric Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Badet Lionel Urologie Bessereau Jean-Louis Biologie cellulaire Boussel Loïc Radiologie et imagerie médicale Calender Alain Génétique Charbotel Barbara Médecine et santé au travail Chapurlat Roland Rhumatologie Cotton François Radiologie et imagerie médicale Dalle Stéphane Dermato-vénéréologie Dargaud Yesim Hématologie ; transfusion Devouassoux Mojgan Anatomie et cytologie pathologiques Dubernard Gil Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Dumortier Jérome Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Fanton Laurent Médecine légale Faure Michel Dermato-vénéréologie Fellahi Jean-Luc Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Ferry Tristan Maladie infectieuses ; maladies tropicales
Fourneret Pierre Pédopsychiatrie ; addictologie Gillet Yves Pédiatrie Girard Nicolas Pneumologie Gleizal Arnaud Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Guyen Olivier Chirurgie orthopédique et traumatologique Henaine Roland Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Hot Arnaud Médecine interne Huissoud Cyril Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale
Jacquin-Courtois Sophie Médecine physique et de réadaptation Janier Marc Biophysique et médecine nucléaire Javouhey Etienne Pédiatrie Juillard Laurent Néphrologie Jullien Denis Dermato-vénéréologie Kodjikian Laurent Ophtalmologie Krolak Salmon Pierre Médecine interne ; gériatrie et biologie du
vieillissement ; médecine générale ; addictologie Lejeune Hervé Biologie et médecine du développement et de la
reproduction ; gynécologie médicale Merle Philippe Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Michel Philippe Epidémiologie, économie de la santé et prévention Monneuse Olivier Chirurgie générale Mure Pierre-Yves Chirurgie infantile Nataf Serge Cytologie et histologie Pignat Jean-Christian Oto-rhino-laryngologie Poncet Gilles Chirurgie générale Raverot Gérald Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques ;
gynécologie médicale
Ray-Coquard Isabelle Cancérologie ; radiothérapie Richard Jean-Christophe Réanimation ; médecine d’urgence Rossetti Yves Physiologie Rouvière Olivier Radiologie et imagerie médicale Saoud Mohamed Psychiatrie d’adultes Schaeffer Laurent Biologie cellulaire Souquet Jean-Christophe Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Vukusic Sandra Neurologie Wattel Eric Hématologie ; transfusion
Professeur des Universités - Médecine Générale
Letrilliart Laurent
Moreau Alain
Professeurs associés de Médecine Générale
Flori Marie
Lainé Xavier
Zerbib Yves
Professeurs émérites
Chatelain
Pierre
Pierre
Pédiatrie
Pédiatrie
Bérard Jérôme Chirurgie infantile Boulanger Pierre Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Bozio André Cardiologie Chayvialle Jean-Alain Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Daligand Liliane Médecine légale et droit de la santé Descotes Jacques Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie Droz Jean-Pierre Cancérologie ; radiothérapie Floret Daniel Pédiatrie Gharib Claude Physiologie Itti Roland Biophysique et médecine nucléaire Kopp Nicolas Anatomie et cytologie pathologiques Neidhardt Jean-Pierre Anatomie Petit Paul Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Rousset Bernard Biologie cellulaire Sindou Marc Neurochirurgie Trepo Christian Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Trouillas Paul Neurologie Trouillas Jacqueline Cytologie et histologie Viale Jean-Paul Réanimation ; médecine d’urgence
Maîtres de Conférence – Praticiens Hospitaliers
Hors classe
Benchaib Mehdi Biologie et médecine du développement et de la
reproduction ; gynécologie médicale Bringuier Pierre-Paul Cytologie et histologie Davezies Philippe Médecine et santé au travail
Germain Michèle Physiologie Jarraud Sophie Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Jouvet Anne Anatomie et cytologie pathologiques Le Bars Didier Biophysique et médecine nucléaire Normand Jean-Claude Médecine et santé au travail Persat Florence Parasitologie et mycologie Pharaboz-Joly Marie-Odile Biochimie et biologie moléculaire
Piaton Eric Cytologie et histologie Rigal Dominique Hématologie ; transfusion Sappey-Marinier Dominique Biophysique et médecine nucléaire Streichenberger Nathalie Anatomie et cytologie pathologiques Timour-Chah Quadiri Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie
clinique ; addictologie
Maîtres de Conférence – Praticiens Hospitaliers
Première classe
Ader Florence Maladies infectieuses ; maladies tropicales Barnoud Raphaëlle Anatomie et cytologie pathologiques Bontemps Laurence Biophysique et médecine nucléaire Chalabreysse Lara Anatomie et cytologie pathologiques Charrière Sybil Nutrition Collardeau Frachon Sophie Anatomie et cytologie pathologiques Cozon Grégoire Immunologie Dubourg Laurence Physiologie Escuret Vanessa Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Hervieu Valérie Anatomie et cytologie pathologiques Kolopp-Sarda Marie Nathalie Immunologie Laurent Frédéric Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Lesca Gaëtan Génétique Maucort Boulch Delphine Biostatistiques, informatique médicale et
technologies de communication Meyronet David Anatomie et cytologie pathologiques Peretti Noel Nutrition Pina-Jomir Géraldine Biophysique et médecine nucléaire Plotton Ingrid Biochimie et biologie moléculaire Rabilloud Muriel Biostatistiques, informatique médicale et
technologies de communication Ritter Jacques Epidémiologie, économie de la santé et prévention Roman Sabine Physiologie Tardy Guidollet Véronique Biochimie et biologie moléculaire Tristan Anne Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Vlaeminck-Guillem Virginie Biochimie et biologie moléculaire Voiglio Eric Anatomie Wallon Martine Parasitologie et mycologie
Maîtres de Conférences – Praticiens Hospitaliers
Seconde classe
Casalegno Jean-Sébastien Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Chêne Gautier Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Duclos Antoine Epidémiologie, économie de la santé et prévention Phan Alice Dermato-vénéréologie
Rheims Sylvain Neurologie Rimmele Thomas Anesthésiologie-réanimation ;
médecine d’urgence Schluth-Bolard Caroline Génétique Simonet Thomas Biologie cellulaire Thibault Hélène Physiologie Vasiljevic Alexandre Anatomie et cytologie pathologiques Venet Fabienne Immunologie
Maîtres de Conférences associés de Médecine Générale
Chanelière Marc
Farge Thierry
Figon Sophie
10
REMERCIEMENTS
Au Professeur Pierre FOURNERET
Pour l’honneur que vous me faites de présider le jury de cette thèse. Je vous remercie de votre
confiance et de votre disponibilité. Veuillez accepter ici le témoignage de mon profond respect
et de ma sincère reconnaissance.
Au Professeur Liliane DALIGAND
Pour l’honneur que vous me faites de juger ce travail. Votre expertise dans votre domaine
m’impressionne. Je vous remercie sincèrement de l’intérêt que vous avez porté à ce sujet.
Veuillez accepter ici l’expression de ma gratitude envers vous.
Au Professeur Alain MOREAU
Pour avoir accepté de m’accompagner pendant ce travail. Je vous remercie chaleureusement de
m’avoir éclairé de vos connaissances tout au long de cette année et de m’avoir fait découvrir des
domaines passionnants dans le cadre de ce sujet. Votre bienveillance et votre simplicité sont
exemplaires à mes yeux. Je vous assure de ma sincère reconnaissance.
Au Maître de Conférences Evelyne LASSERRE
Pour avoir accepté de me suivre tout le long de ce travail. Je vous remercie pour votre active
présence. Vos conseils judicieux, votre regard pertinent et votre soutien permanent ont rendu ce
travail encore plus agréable à réaliser. Soyez assurée de ma profonde gratitude.
Au Docteur Philippe ROCH, maître de stage universitaire
Pour avoir accepté de venir de Haute-Savoie pour juger mon travail. Je vous suis reconnaissante
de m’avoir accompagné dans mes premiers pas en médecine générale. Vous m’avez ouvert les
portes de votre cabinet en ville avec passion, pendant six mois. Je vous fais part aujourd’hui de
mes remerciements les plus sincères pour votre engagement dans l’enseignement.
11
Aux quatre médecins qui ont participé à l’étude, aux secrétaires et bien sûr aux patients. Je vous
remercie de votre disponibilité et de votre accueil chaleureux au cabinet. Sans vous, ce travail
n’aurez tout simplement pas été possible. MERCI !
A mes maîtres de stage :
Aux Dr Bruno Tallon, Dr Sonia Peyrot, Dr Nadège Toussaint et au Dr Emmanuel Viry. Je vous
remercie tous sincèrement pour votre compagnonnage. Chacun à votre façon, vous m’avez fait
découvrir avec passion votre métier. A tous les médecins et équipes paramédicales qui ont croisé
ma route professionnelle. Je vous remercie.
A nous:
A mon mari, qui me soutient inlassablement chaque jour et que j’admire. Nos différences nous
rassemblent autant que nos points communs. Tu es essentiel à mon bonheur. L’ennui ne fait pas
partie de mon vocabulaire à tes côtés.
A mon fils Hugo, le plus beau forcément ! Ta joie illumine notre vie.
A ton petit frère ou ta petite sœur à venir…
A ma famille :
A mes parents, qui m’ont toujours soutenue, et accompagnée dans mes études. J’ai la chance
d’avoir beaucoup voyagé à vos côtés. Vous avez fait en sorte que je sois autonome et sereine
pour mon avenir. Je vous en remercie. Je suis très fière de votre parcours et de mes origines.
A mon petit frère qui a grandi, à ses trop nombreuses qualités… Je te souhaite plein de bonheur
dans la vie !
A mes beaux-parents, qui nous soutiennent et nous aident depuis des années.
A tous les autres, aux quatre coins du monde, installés ou exilés, je pense à vous. Quelle force de
se construire sans cesse !
Aux absents, qui brillent.
12
A mes amis :
A Agnès, qui me connait et me supporte depuis plus de vingt ans. A Man, Olivia, Anso et Céline,
pour vos sourires, votre soutien et votre ouverture d’esprit.
A Mallo, Chacha, et Nolwenn, parce que vous faites aussi partie de ma famille. « Ma maison est
votre maison ».
A Laure, Panda, Marie, Julien, Anso, Thomas, Nico, Geoff, Virgin, Claire, Guillaume, Ptite Laure,
Sylvain, Paco, Charlotte, Bruno, Fabienne, Paul, Marie-Maelle, Romain, Sylvie et j’en oublie
forcément ! A nos vacances, nos premiers de l’an, nos week-ends, et nos discussions sans fin
pour changer le monde ! Que ça ne s’arrête jamais… Vous m’êtes nécessaires.
A Gaétane et Benoit, pour nos soirées sympas et nos vacances familiales ! A Thomas, parce que
tu nous accompagnes dans tous les grandes étapes de notre vie. A Anso B, Mailys, Marco et les
autres, je prends toujours autant de plaisir à vous revoir à chaque fois! A Po et Daf, pour le
Vietnam et tant d’autres choses… A Mat, le roi de l’immuno et de la médecine interne, bravo
pour ton abnégation, tu m’impressionnes.
A Camille, Sofia, Charline et Emilie, and co pour votre bonne humeur, votre gentillesse et pour
les très bons moments passés à Lyon depuis notre arrivée ! Pourvu que ça dure !!!
Aux gentils bressans, Pierrot, Abdel, Deborah, Aude, Manu, Amandine, Nathalie, Simon, Brice et
Souandou, je suis ravie de vous avoir rencontré. Je vous souhaite plein de bonheur dans la vie!
A mes psys pétillantes préférées, Helene, Axelle et Violaine, aux nombreux repas partagés, et à
votre grain de folie que je m’efforce d’acquérir!
A tous les acteurs du cab’ des Etats (E.Viry, Matthieu, France, Pierre-Éric, Céline, Julie, N.Bez,
Jeanne, Magali, Loubna, Mélanie), parce que vous représentez pour moi plus qu’un cadre de
travail. Je vous souhaite le meilleur dans vos vies personnelles et professionnelles. A Jeanne et
au Dr N.Bez, je vous suis particulièrement reconnaissante de m’avoir fait confiance si souvent.
A mon groupe de pairs, je suis ravie de vous côtoyez si souvent, vous enrichissez ma pratique
médicale et j’apprécie ces moments avec vous.
A tous ceux que j’ai connu loin, très loin, ou tout près que je ne vois plus ou moins, vous m’avez
tous accompagné avec bienveillance, aux différents moments de ma vie. Je vous en remercie.
13
LE SERMENT D’HIPPOCRATE
Je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l'exercice de la
Médecine.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans discrimination.
J'interviendrai pour les protéger si elles sont vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou
leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les
lois de l'humanité.
J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je
ne tromperai jamais leur confiance.
Je donnerai mes soins à l'indigent et je n'exigerai pas un salaire au-dessus de mon travail.
Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés et ma conduite
ne servira pas à corrompre les moeurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement la vie ni ne
provoquerai délibérément la mort.
Je préserverai l'indépendance nécessaire et je n'entreprendrai rien qui dépasse mes
compétences. Je perfectionnerai mes connaissances pour assurer au mieux ma mission.
Que les hommes m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois couvert
d'opprobre et méprisé si j'y manque.
14
TABLE DES MATIERES
Préambule……………………………………………………………………………………………………………………………………… 18
1 Introduction……………………………………………………………………………………………………………………………..19
2 Cadrage théorique…………………………………………………………………………………………………………………….21
2.1 La relation médecin-malade .............................................................................................. 21
2.1.1 Importance de la relation médecin-malade ................................................................ 21
2.1.2 Evolution du sens de la relation dans l’interaction médecin-malade ........................... 21
2.1.3 L’approche centrée sur le patient ............................................................................... 22
2.1.4 Construction de la relation médecin-malade .............................................................. 23
2.2 L’interactionnisme symbolique .......................................................................................... 24
2.2.1 Définition ................................................................................................................... 24
2.2.2 La dramaturgie sociale et la distance au rôle d’Erving Goffman .................................. 25
2.2.3 L’interactionnisme symbolique appliqué à la médecine.............................................. 27
2.3 L’ethnographie comme outil méthodologique ................................................................... 28
2.3.1 Avant-propos ............................................................................................................. 28
2.3.2 Revue des principales méthodes qualitatives ............................................................. 28
2.3.3 L’observation dans l’ethnographie ............................................................................. 30
2.3.4 Exemples d’ethnographies et d’observations participantes en dehors et dans le milieu
médical…………….……………………………………………………………………………………………………………………….31
3 Matériel et méthode………………………………………………………………………………………………………………...33
3.1 Choix de la méthode .......................................................................................................... 33
3.1.1 L’ethnographie........................................................................................................... 33
3.1.2 Choix du type d’observation....................................................................................... 34
3.1.3 Choix du type d’entretien .......................................................................................... 34
3.2 Mise en place de l’étude .................................................................................................... 35
3.2.1 Contexte de l’étude ................................................................................................... 35
3.2.2 Sélection de la population étudiée ............................................................................. 36
3.2.3 Rôle du chercheur ...................................................................................................... 38
3.3 Recueil des données .......................................................................................................... 39
3.3.1 Journée d’observation directe de la salle d’attente et du secrétariat (de la salle de
repos, si elle est occupée) ......................................................................................................... 39
3.3.2 Observation directe participante de la relation médecin-malade en consultation ...... 40
3.3.3 Entretien semi-directif médecin (35 minutes)/ canevas .............................................. 40
3.4 Méthode d’analyse des entretiens et des données d’observation participante .................. 41
15
3.5 Stratégie de recherche bibliographique ............................................................................. 42
4 Résultats et analyse…………………………………………………………………………………………………………………..44
4.1 Lieu de l’étude ................................................................................................................... 44
4.1.1 Un cabinet dans son quartier ..................................................................................... 44
4.1.2 Description du cabinet médical .................................................................................. 46
4.2 Le sens de l’accueil et d’hospitalité dans le cabinet ............................................................ 48
4.2.1 Des valeurs partagées fondatrices dans le discours des médecins .............................. 48
4.2.2 Des subtilités dans l’accueil de la patientèle pour chaque médecin ............................ 50
4.2.3 Le souci constant d’un accueil respectueux de l’autre ................................................ 53
4.2.4 Le rôle de la secrétaire dans l’accueil ......................................................................... 55
4.2.5 L’hospitalité physique des lieux vue par les médecins ................................................ 57
4.2.6 L’accueil perçu par les patients .................................................................................. 58
4.2.7 Le choix historique de la localisation géographique du cabinet .................................. 59
4.3 Les objets et leurs sens dans chaque espace ...................................................................... 60
4.3.1 La salle d’attente ....................................................................................................... 60
4.3.2 La salle de repos ........................................................................................................ 64
4.3.3 Le secretariat ............................................................................................................. 66
4.3.4 Les bureaux ............................................................................................................... 67
4.4 Le sens des interactions non verbales au cabinet ............................................................... 71
4.4.1 L’interaction non verbale des médecins ..................................................................... 71
4.4.2 Patients dans l’attente ............................................................................................... 72
5 Discussion…………………………………………………………………………………………………………………………………77
5.1 Forces et limites de l‘étude ................................................................................................ 77
5.1.1 Les forces de l’étude .................................................................................................. 77
5.1.2 Les limites de l’étude ................................................................................................. 78
5.2 Le sens de l’accueil et d’hospitalité dans le cabinet ............................................................ 80
5.2.1 La notion de valeur .................................................................................................... 80
5.2.2 L’investissement du lieu ............................................................................................. 81
5.2.3 L’identité professionnelle ........................................................................................... 82
5.2.4 Les représentations des acteurs en fonction de codes ................................................ 83
5.3 Les objets et leurs sens dans chaque espace ...................................................................... 85
5.3.1 La salle d’attente ....................................................................................................... 85
5.3.2 La salle de repos, un sas de décompression................................................................ 88
5.3.3 Le secrétariat, une barrière séparant l’extérieur de l’intérieur du cabinet .................. 89
16
5.3.4 Le bureau à l’image du médecin ................................................................................. 89
5.4 Le sens du comportement non verbal au cabinet ............................................................... 91
5.4.1 Les valeurs affichées par les médecins ....................................................................... 91
5.4.2 La salle d’attente, reflet du quartier ........................................................................... 92
5.5 Synthèse des pistes de réflexion ........................................................................................ 94
5.5.1 Axe 1 : Reconnaitre les valeurs fondatrices qui donnent du sens à la relation et à
l’espace médical………………………………………………………………………………………………………………………. 94
5.5.2 Axe 2 : Observer les objets et leurs sens dans l’espace médical .................................. 95
5.5.3 Axe 3 : Comprendre lorsque le corps parle ................................................................. 96
6 Conclusions……………………………………………………………………………………………………………………………….97
7 Annexes………………………………………………………………………………………………………………………………….101
7.1 Annexe 1 : Courrier destiné aux médecins de l’étude ....................................................... 101
7.2 Annexe 2 : Entretien du Dr Marmotte, le 10/06/2014 ...................................................... 102
7.3 Annexe 3 : Entretien du Dr Zèbre, le 23/06/2014. ............................................................ 110
7.4 Annexe 4 : Entretien du Dr Hérisson, le 20/06/2014. ....................................................... 114
7.5 Annexe 5 : Entretien du Dr Gazelle, le 16/07/2014. .......................................................... 120
8 Bibliographie…………………………………………………………………………………………………………………………..129
9 Abréviations……………………………………………………………………………………………………………………………132
17
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Figure 1: Plan du cabinet médical étudié ........................................................................................... 46
Photo 1: La salle d'attente................................................................................................................. 61
Photo 2: La salle d'attente................................................................................................................. 61
Photo 3: Petit cadre en salle d'attente .............................................................................................. 63
Photo 4: La salle de repos ................................................................................................................. 65
Photo 5: La salle de repos ................................................................................................................. 65
Photo 6: Le secrétariat ...................................................................................................................... 66
Photo 7 : Bureau du Dr Marmotte ..................................................................................................... 68
Photo 8 : Bureau du Dr Marmotte ..................................................................................................... 68
Photo 9: Bureau du Dr Gazelle .......................................................................................................... 69
Photo 10: Bureau du Dr Gazelle ........................................................................................................ 69
Photo 11: Bureau du Dr Hérisson et du Dr Zèbre ............................................................................... 70
Photo 12: Bureau du Dr Hérisson et du Dr Zèbre ............................................................................... 70
18
PREAMBULE
Les relations humaines sont passionnantes. De par mon parcours personnel, j’ai été amenée à
rencontrer diverses cultures et à les voir vivre ensemble, dans un cadre familial ou amical. J’en
retire une grande source d’enrichissement. La médecine m’a permis de découvrir un autre type
de relation, celle qui existe entre un soignant et un soigné.
La relation médecin-malade est mise en jeu à chaque interaction entre ces deux acteurs. Elle
peut être différente pour un même médecin, d’un patient à l’autre et ainsi qu’avec un même
patient. Cette relation pivot de notre exercice quotidien en tant que médecin généraliste, est
fondamentale. Dès la spécialisation en médecine générale, la relation médecin-malade est
abordée en cours théorique. L’expérience de chacun des relations interindividuelles est un
support intéressant et son partage, essentiel pour l’analyse de la relation médecin-malade. Il faut
prendre la mesure des difficultés que le travail sur la relation médecin-malade représente au
jour le jour pour un médecin. Pourtant, il parait nécessaire pour tous de nous y pencher dans
l’optique d’une meilleure alliance thérapeutique avec le patient.
A l’aide d’échanges avec le Dr Alain Moreau, médecin généraliste et enseignant à la faculté, je
me suis intéressée à l’interactionnisme symbolique. J’ai rapidement trouvé un fort parallèle avec
le cabinet libéral de médecine générale. Par la suite, j’ai rencontré Evelyne Lasserre,
anthropologue, qui m’a fait découvrir de nombreux auteurs dont Erving Goffman et son travail
sur la symbolique de la mise en scène théâtrale de la dramaturgie sociale. La recherche du sens
des interactions est devenue à mes yeux, un moyen d’analyser la relation médecin-malade. Là,
une vision anthropologique du cabinet libéral de médecine générale est apparue indispensable.
19
1 INTRODUCTION
La qualité de la relation médecin-malade est un enjeu majeur dans la recherche d’une meilleure
alliance thérapeutique. Cette alliance est elle-même fondamentale à toute prise en charge
médicale. Selon la WONCA Europe (Société Européenne de Médecine générale-Médecine de
famille), la relation médecin-malade est un des éléments qui entre dans la définition de la
médecine générale en 2002 : « La médecine générale utilise un mode de consultation spécifique,
qui construit dans la durée une relation médecin-patient basée sur une communication
appropriée. Elle développe une approche centrée sur la personne dans ses dimensions
individuelle, familiale, et communautaire ». Parmi ses compétences «savoir», «savoir-être» et
«savoir-faire», le praticien dans le cadre de la relation médecin-malade, interagit avec son
patient en utilisant sa composante « savoir-être ». Cette dimension de la médecine générale,
psychologique et sociale, évolue sans cesse, au gré de notre monde contemporain.
En sciences humaines et sociales, à travers l’Histoire, nous retrouvons l’analyse des différents
types de relations médecin-malade. Partis d’un modèle paternaliste unidirectionnel, nous
évoluons de nos jours vers un modèle davantage centré sur le patient, l’ACP (Approche Centrée
sur le Patient), tout en gardant un médecin décisionnaire. Cette relation qui se doit de plus en
plus concertée entre les deux acteurs, nous amène à faire usage malgré nous, de nos ersatz
d’apprentissages scolaires en psychologie et en sociologie.
L’interactionnisme symbolique, un des principaux courants actuels d’analyse sociologique
s’applique à toute interaction entre deux acteurs. Nous faisons l’hypothèse que cette vision est
transposable à la relation médecin-malade en médecine générale, ce qui implique que «les
humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que les choses ont pour eux. Ce sens
est dérivé ou provient des interactions de chacun avec autrui » (1).
La littérature internationale sociologique et médicale ont déjà fait appel à cette théorie dans
l’étude de la relation soignants-soignés (ou famille de soignés) en services hospitaliers
(néonatalogie, pédiatrie ou urologie…). Après des recherches bibliographiques, nous nous
sommes aperçus qu’en médecine générale, l’interactionnisme symbolique était relativement peu
usité dans l’analyse de la relation médecin-malade. Or, de prime abord, il parait pourtant évident
que la spécialité médicale où cela aurait le plus de sens d’en faire usage est la médecine
générale, de par sa dimension médico-psycho-sociale. Comment les interactions observées dans
20
un cabinet médical permettent-elles dans leur contexte de sens de comprendre la relation
médecin-malade ?
Les interactions entre les différents acteurs d’un cabinet de médecine générale, verbales, non
verbales ou modifiées par l’environnement sont soumises au sens qu’en donnent les
protagonistes et influencent la relation médecin-malade. Cette dernière étant la pierre angulaire
de l’exercice de la médecine générale, son étude à travers l’interactionnisme symbolique,
contribuerait à sa meilleure compréhension.
L’objectif de ce travail exploratoire est de comprendre à travers une ethnographie des
interactions ayant lieu entre les différents protagonistes d’un cabinet de médecine générale en
milieu urbain, les significations qu’elles ont pour eux. Pour dégager le sens donné par chacun à
ces interactions, l’ethnographie a été réalisée grâce à une observation participante de la relation
et à des entretiens semi-dirigés des médecins étudiés. Une analyse des données recensées a été
effectuée en les triangulant à la relecture des médecins observés, à la direction du travail de
recherche et à la littérature.
21
2 CADRAGE THEORIQUE
2.1 La relation médecin-malade
2.1.1 Importance de la relation médecin-malade
« L’essence de la médecine réside (…) dans la relation médicale et, plus précisément, dans la
rencontre avec le malade » (2).
En médecine générale, les médecins sont amenés à suivre leurs patients plusieurs années, un
lien s‘instaure dès la première rencontre et à chacune d’entre elles. Dans la définition de la
médecine générale proposée par la WONCA, il est écrit l’importance du relationnel entre un
médecin et son patient et il est précisé qu’il faut « utiliser l’interaction de la consultation comme
outil thérapeutique ».
Les notions de relation médecin-malade, de communication et d’empathie sont ainsi étudiées
dès la première année de médecine dans la plupart des facultés en France en cours de Sciences
Humaines et Sociales. Par la suite, les objectifs de l’examen classant national(ECN), examen à
passer après six ans de tronc commun en médecine, établissent que « l'étudiant doit apprendre
à maîtriser la relation médecin-malade et sa différence dans la maladie aiguë grave et dans la
maladie chronique. Il doit savoir communiquer et justifier sa démarche diagnostique et
thérapeutique en s'appuyant sur les données actuelles de la science (…). Cette attitude
professionnelle dont l'étudiant doit connaître les aspects médico-légaux, doit respecter la
déontologie et les droits des malades. » On peut conclure que la relation médecin-malade est
une notion fondamentale.
2.1.2 Evolution du sens de la relation dans l’interaction médecin-malade
Elle est en perpétuel mouvement (2). Dans les années cinquante, la relation médecin-malade est
envisagée par T. Parsons (3), comme un jeu de pouvoir, entre confiance et conscience. Il s’agit
d’un modèle très asymétrique entre deux acteurs, réduisant le patient à un rôle passif. Le patient
22
doit reconnaitre son incompétence à se soigner lui-même et a l’obligation morale de coopérer
avec le médecin.
Cette conception fonctionnaliste a été critiquée par la suite par E. Freidson (4) dans les années
quatre-vingt, montrant que le patient pouvait être acteur dans la relation : « ce sont la foi et la
confiance de la part du client et l’autorité de la part du médecin qui sont les éléments critiques
de cette interaction ». La relation médecin-malade est ainsi envisagée petit à petit par A.L.
Strauss (5), comme un « ordre négocié ». Ce type d’approche montre « l’importance des
processus de marchandage, dans lesquels aucun des partenaires n’a, a priori, une suprématie
définitive » (6).
« Comprendre l’histoire du patient et de sa maladie, (…) la prise en compte du cadre de vie dans
lequel s’inscrit sa maladie » dit M. Stewart (7). L’approche bio-psycho-sociale ne suffit plus à elle
seule pour comprendre l’expérience de maladie du patient qui dépend de sa « biographie »
personnelle. Il faut tenter de comprendre le sens de la maladie auprès du patient expliqueront N.
Mead et P. Bower (8). Plusieurs auteurs mettent ainsi en place petit à petit l’ACP pour répondre
aux nouvelles attentes.
2.1.3 L’approche centrée sur le patient
Il s’agit d’un concept principalement développé à partir des travaux des années cinquante de M.
Balint et de C.R. Rogers (9). Ce dernier a travaillé sur une approche centrée sur la personne, une
thérapie verbale, mettant l'accent sur le patient et le processus relationnel plus que sur le
symptôme. L’ACP est actuellement appliquée à la relation médecin-malade et fait partie des
acquis demandés en cursus de médecine générale alliant le partenariat médecin-malade, la prise
de décision partagée et la conscience de soi. M. Balint (10) parle d’un « colloque singulier » une
rencontre de deux personnes, un médecin « détenteur d’un savoir » et un patient « détenteur
d’un problème ».
Les différents axes du concept ACP sont au nombre de six:
- Explorer la maladie et l’expérience de la maladie vécue par le patient par les aspects cognitifs
de la représentation de la maladie et les préoccupations du patient.
- Comprendre la personne dans sa globalité biopsychosociale, la dimension contextuelle.
23
- S’entendre et négocier avec le patient sur le problème, les solutions et le partage des
responsabilités. Avoir une compréhension commune.
- Valoriser la prévention et la promotion de la santé
- Etablir et maintenir une relation médecin patient, une alliance thérapeutique, une attitude
compréhensive vis-à-vis des défenses, résistances
- Et enfin, faire preuve de réalisme, s’adapter à chaque situation et tenir compte des limites du
médecin.
Modèle mis en avant de nos jours, il a été soutenu par une théorie développée dans un article de
2004, d’L. Anthony et AL. Suchman (11) : le CRPR (complex responsive processus of relating),
qu’on pourrait traduire par les processus complexes de réactions mis en en place dans
l’interaction humaine. Il promeut le comportement consistant à être dans l’interaction située, la
différence, la diversité, et la réactivité réciproque spontanée des acteurs. Chacun mobilisant des
modèles de sens et de relations différents pour chaque interaction créée y compris avec le
même partenaire.
2.1.4 Construction de la relation médecin-malade
En essayant de dépasser les clivages entre le modèle paternaliste et le modèle autonomiste, qui
peuvent chacun avoir leurs avantages en fonction des situations rencontrées, se développe l’idée
dans la relation médecin-malade d’une décision médicale partagée (12).
La même relation peut se rapporter à différents modèles au gré de l’interaction entre médecin et
patient. La relation médecin-malade est ainsi déterminée par les facteurs individuels psycho-
sociaux et culturels des deux protagonistes et par l’environnement où elle se situe. Les attitudes
peuvent être conscientes ou inconscientes. Il s’agit d’une relation thérapeutique régie par la
confiance, non égalitaire, non linéaire et avec un rôle symbolique et social. L’espace de cette
interaction laisse la porte ouverte aux jeux de la distance au rôle préconisée par E. Goffman (13).
A. Sarradon-Eck (14)(15), médecin généraliste et anthropologue, propose de définir la relation
médecin-malade comme une relation thérapeutique, à travers l’influence que va avoir le
médecin sur le traitement qu’il prescrit au malade mais aussi comme une relation sociale, c’est à
24
dire une rencontre entre deux acteurs, tous deux membres de groupes sociaux divers, et
engagés dans une action réciproque qu’est le soin.
2.2 L’interactionnisme symbolique
2.2.1 Définition
Dans le prolongement de l’ACP, il existe un courant d’analyse sociologique de l’interaction entre
deux acteurs, il s’agit de l’interactionnisme symbolique. Les trois principes fondamentaux en
sont selon H. Blumer (1), les suivants :
1. Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que les choses ont pour
eux.
2. Ce sens est dérivé ou provient des interactions de chacun avec autrui. Ce principe précise
le premier en attribuant une source au sens. La signification n’est pas inhérente aux
objets, mais elle se forme à travers les manières d’agir à l’égard d’autrui en fonction des
objets. L’objet tient donc son sens non de sa « nature », mais des conduites qu’il suscite.
H. Blumer reprend l’idée de G.H. Mead pour qui l’univers des significations émerge d’un
processus de coopération et d’adaptation mutuelle au sein du groupe social.
3. C’est dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des
objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié. Le processus d’interprétation
subjective ne cesse de transformer la signification des objets. Ce processus constitue le
mécanisme fondamental du fonctionnement du soi : l’individu contrôle ses actions en
agissant sur lui-même, en se donnant des indications, en identifiant ses besoins et ses
buts, et finalement en modifiant la définition de la situation en fonction des
circonstances.
Ces principes se rapprochent des différents axes de l’ACP dont la compréhension commune et
l’alliance thérapeutique. L’interactionnisme symbolique intègre l’analyse du verbal, du non
verbal et de l’environnement. Il s’agit d’« actions réciproques» : actions qui se déterminent les
25
unes les autres. A chaque instant, les partenaires d’une interaction évaluent les circonstances et
se positionnent mutuellement après une réévaluation et un réajustement réciproque.
Nous poussant à une réflexion certaine et bouleversante, surtout dans le cadre d’une application
dans le soin, W.I. Thomas affirme que « si les hommes pensent qu’une chose est vraie, elle
devient réelle dans ses conséquences » (16).
D. Le Breton dans son livre intitulé « L’interactionnisme symbolique » (17), reprend les principes
de ce courant de la sociologie compréhensive. Il souligne que l’origine du comportement tient à
une série d’influences sociales, et surtout à la manière dont l’Homme les comprend. Ainsi, il situe
le centre de gravité de l’analyse dans le « lien de sens et d’action » qui se noue entre les acteurs
en présence. Il montre comment cette pensée analytique peut modifier profondément la vision
que l’on a de situations diverses comme la déviance, l’éducation et bien sûr la médecine. Tout
est réduit à une somme d’interactions, faisant ainsi presque disparaitre la notion même de
société comme entité.
Il décrit la scène de l’interaction comme une « figuration symbolique des corps dans l’espace »,
« une chorégraphie où les mouvements réglés des partenaires s’appellent et se répondent
subtilement créant un rythme, une cohérence ». Le symbole, approche plus corporelle, fait écho
au sens, d’analyse plus verbale.
2.2.2 La dramaturgie sociale et la distance au rôle d’Erving Goffman
E. Goffman (18) est un des grands auteurs du courant interactionniste. Ethnologue et sociologue,
il a publié de nombreux écrits au vingtième siècle. Voici quelques notions abordées dans certains
de ses livres :
Dans « Asiles » (19), il observe trois années durant, le fonctionnement d’un hôpital psychiatrique
américain dans les années soixante. Il y relève de nombreuses difficultés de ce type
d’institution : les déviances du quotidien (reflexes de survie des pensionnaires), les limites d’un
exercice humain du soin en hôpital psychiatrique, les rites d’accueil ou le cadre du soin.
Dans « Stigmate » (20), il s’intéresse au handicap, au sens large et soutient qu’il existe deux
identités : une « virtuelle », par le prisme de la vision qu’a la société du stigmate en question, et
26
une identité « réelle », la connaissance qu’on a de soi-même. E. Goffman désigne par
« stigmate », le symbole de la diversité ou de la différence de chacun. D. Le Breton parle d’une
« marque physique ou morale susceptible d’entrainer le discrédit de l’individu ».
Dans « La mise en scène de la vie quotidienne » (21) avec ses deux tomes, « La présentation de
soi » et « Les relations en public », et dans « les rites d’interaction », il développe la notion d’une
métaphore théâtrale de l’interaction. Il fait intervenir tout un langage appartenant à l’art du
théâtre : Acteur, personnage, rôle, masque, script, décor, façade, scène, mise en scène, cadre,
représentation, coulisse, rituel... Le monde social est un théâtre, et l'interaction une
représentation de personnages. Dès lors, « l'acteur doit agir de façon à donner,
intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en
retirer une certaine impression ». Par exemple, lorsqu'on est invité à dîner chez quelqu'un, on
participe à une véritable « mise en scène »: chacun s'efforce de tenir le « rôle » qui lui est dicté
par la situation. La personne qui reçoit soigne son apparence et le décor, ce qu’E. Goffman
appelle la « façade ». L'espace physique est divisé : la salle à manger, où a lieu la représentation,
constitue la « scène » et la cuisine, elle, forme une « coulisse ». Il s’agit d’un lieu où la
représentation est suspendue et où n'entrent généralement pas les invités. Les hôtes peuvent
alors s'y relâcher, préparer leur prestation à venir ou faire des commentaires sur la pièce qui se
joue. La « face » est le terme employé par E. Goffman pour désigner « la valeur sociale positive
qu'une personne revendique effectivement à travers une ligne d'action que les autres supposent
qu'elle a adoptée au cours d'un contact particulier ». En interaction avec d'autres, la règle
fondamentale que doit respecter tout individu est de « préserver sa face et celle de ses
partenaires ». Différentes stratégies individuelles de « figuration » viennent garantir le respect
de sa face et celle d'autrui, évitant de les compromettre (le tact, les règles de savoir-vivre ou
encore la diplomatie). Des « échanges réparateurs » viennent rétablir l'ordre lorsqu'a lieu un
incident.
Dans « La distance au rôle » (13), E. Goffman indique que derrière le masque de l’acteur, il y a un
« moi », réel, personnel, qui rend possible une distance au rôle joué. Elle laisse apparaitre la
personne derrière le personnage. C’est précisément dans les manifestations de distance au rôle
que le style personnel d’un individu se découvre. Il y reprend la notion de « Figuration »: ce
qu’entreprend une personne pour que ses actions, ne fassent perdre la face a personne, y
compris à elle-même. Il développe l’exemple d’un chirurgien au bloc opératoire en train
d’opérer. Telle une pièce de théâtre, il y détaille les différents temps de l’opération, rythmés par
27
les multiples attitudes du chirurgien, comme si ce dernier dictait le comportement que les autres
devaient avoir à travers le sien. E. Goffman indique aussi que la distance au rôle, peut-être
possible par la multiplicité des rôles en fonction des situations vécues et que l’adhésion à un rôle
est fondamentale pour sa réussite.
2.2.3 L’interactionnisme symbolique appliqué à la médecine
L’objectif d’un médecin est de soigner quelqu’un de quelque chose (22). L’interactionnisme
symbolique permet de servir ce propos. En l’appliquant à la relation médecin-malade, nous
souhaitons mettre en exergue cette diversité et complexité de sens données par chaque acteur.
En utilisant ce concept comme outil, nous souhaitons parvenir à comprendre quel sens les
patients et les médecins donnent aux interactions qui existent dans la construction de la relation
médecin-malade.
L’utilisation de l’interactionnisme dans les travaux médicaux et surtout paramédicaux (sages-
femmes et infirmières) existe. Les études recensées sur PubMed sont pour beaucoup effectuées
à l’étranger, et lorsqu’il s’agit d’un cadre médical, faites en milieu hospitalier et/ou sur le ressenti
de patients ou de la famille sur telle ou telle pathologie.
Dans Outsiders, H.S. Becker (23) mène une étude d’observation participante dans le monde des
musiciens de jazz et sur les fumeurs de marijuana dans les années 1950. Il construit une théorie
interactionniste de la déviance et refuse le fonctionnalisme, en particulier l'idée que la déviance
soit le résultat de facteurs sociaux subis par les individus.
En 1963, A.L. Strauss dans « L’hôpital et son ordre négocié » (5) analyse les relations autour du
malade, les interactions entre les professions et l’organisation du travail dans l’institution
hospitalière.
B. Milly dans un article intitulé « Les professions en prison » en 2001 (24), effectue une étude de
terrain en prison, y étant lui-même intervenant. Il met en exergue plusieurs professions (dont les
médecins) confrontées à des limites de leurs pratiques dues au cadre de la prison. Il travaille
aussi sur les oppositions et convergences paradigmatiques entre l’interactionnisme symbolique
et l’individualisme méthodologique
28
On peut lire des travaux sur la relation soignants-mères des bébés soignés, en néonatalogie (25)
effectués par des infirmières, ou une étude faite par des médecins brésiliens sur le ressenti des
femmes souffrant d’incontinence urinaire en post-opératoire (26).
Nous avons retrouvé en France quelques travaux dirigés en cabinet libéral de médecine
générale, par une poignée d’auteurs qui usent de l’interactionnisme symbolique et parfois même
de l’ethnographie mais aucun document n’est dans PubMed. Ce sont plutôt des travaux qu’on
peut retrouver sur Cairn, réalisés souvent par des anthropologues ou des médecins
anthropologues. Ils sont détaillés dans le paragraphe exemples d’ethnographies (paragraphe 2-3-
4).
2.3 L’ethnographie comme outil méthodologique
2.3.1 Avant-propos
Nous avons choisi de traiter notre objet de recherche par une approche qualitative (27), avec
une vision interactionniste, outil entre autres de l’anthropologie, capable d’explorer les
spécificités de la relation humaine entre un médecin et son patient, dans le cadre des soins en
médecine générale. Le choix de l’ethnographie permet de se baser sur l’observation
d’interactions entre des acteurs et leur environnement. Il s’agit pour cette observation, d’une
attitude de disponibilité, de dérive et d’attention flottante selon F. Laplantine (28). Pour notre
sujet, nous souhaitons faire émerger des idées nouvelles et originales permettant de compléter
notre compréhension du sens des interactions de la relation médecin-malade en cabinet de
médecine générale.
2.3.2 Revue des principales méthodes qualitatives
Les méthodes de recherche qualitative (29) sont nombreuses. Les plus utilisées en santé sont :
-La théorisation ancrée : elle vise à « produire une théorie non pas à partir de catégories
conceptuelles puisées dans la littérature mais à partir de données recueillies auprès de
personnes ayant une expérience significative permettant la description approfondie d’un
29
phénomène à l’étude » (exemple : changement de comportement suite à une maladie grave). La
théorie est habituellement générée au moyen d’entretiens individuels ou collectifs (focus group).
-La phénoménologie : c’est l’étude de l’expérience faite par une ou plusieurs personnes, au cours
d’entretiens individuels, pour expliciter le sens de ce phénomène (exemple : annonce d’un
diagnostic grave).
-L’ethnographie : cette méthode réside dans la « compréhension de certains éléments culturels
d’un groupe (conceptions, représentations, croyances) à partir du point de vue des membres de
ce groupe, de l’observation de leur fonctionnement ou de l’analyse de divers types de
documents pertinents». Il s’agit d’une analyse du comportement humain qui englobe le verbal,
le non verbal et l’environnement de l’interaction située. Sa signification réside dans les
perspectives et les significations adoptées par un individu dans un contexte particulier, ce qui
explique que la compréhension de ce qui est observé surgit tout à la fois de l'observation du
comportement et des informations que donnent les individus sur l'interprétation de leurs
expériences. Selon F. Laplantine, « cette expérience, à dire vrai étrange, qui consiste à nous
étonner de ce qui nous est le plus familier (ce que nous vivons quotidiennement dans la société
où nous sommes nés ou qui nous accueille depuis longtemps) et à rendre plus familier ce qui
nous paraissait originellement étrange et étranger (les comportements, les croyances, les
coutumes des sociétés qui ne sont pas les nôtres) est l’expérience même de l’ethnographie, ou
comme on dit, du terrain » (28). C’est cette méthode qui a été choisie dans ce travail et que
nous allons donc développer.
Les approches compréhensives et qualitatives, partant d’apports méthodologiques mêlant
phénoménologie, ethnographie et s’appuyant sur la théorisation ancrée, utilisent principalement
l’observation et les entretiens.
Les différentes techniques de recueil de données (30) utilisées sont :
- Les méthodes de consensus comme le groupe nominal (avec échelle de Lickert) et la technique
Delphi.
- L’analyse de documents par la recherche action.
- Les entretiens individuels dirigés, semi-dirigés, approfondis, et les focus group.
30
- L’observation (détaillée paragraphe 2-3-3)
2.3.3 L’observation dans l’ethnographie
L’ethnographie se définit comme « l’observation rigoureuse, par imprégnation lente et continue,
de groupes humains minuscules avec lesquels les ethnologues entretiennent un rapport
personnel » (28). L’ethnographie comporte principalement un travail d’observation, même si elle
peut être complétée par des entretiens ou des documents complémentaires type photographie,
cartographie, ou tout autre document enrichissant l’observation. Il en existe quatre grands
types : l’observation directe participante ou non participante et indirecte.
2.3.3.1 L’observation directe
Elle se fait en présence du chercheur, de manière manuscrite, sans instrument interposé, qui
serait une délégation de l’observation à un tiers. L’observation se fait sur le comportement
verbal, le comportement non verbal et l’environnement de l’interaction. L’observation directe
peut-être participante ou non participante.
L’observation directe participante :
La qualification par le terme de « participante » (31) de l’observation, implique de la part du
chercheur une immersion totale dans son terrain, pour tenter d’en saisir toutes les subtilités, au
risque de manquer de recul et de perdre en objectivité. Cette méthode permet de vivre la réalité
des sujets observés et de pouvoir comprendre certains mécanismes difficilement décryptables
pour quiconque demeure en situation d’extériorité. Le chercheur a un accès privilégié à des
informations difficilement accessibles autrement. Il se sert de son propre rôle dans le projet pour
récolter des données brutes, de manière à rassembler le matériau le plus objectif possible.
L’observation participante permet également de constater des décalages entre le dire et le faire.
Elle ne nécessite pas beaucoup de ressources. Elle permet de saisir les contextes physique,
géographique, et social, qui peuvent interagir avec le projet. Le chercheur peut être amené à
suivre l’itinéraire d’une personne ou le fonctionnement d’une structure toute une journée pour
prendre en compte tous les paramètres. Tous les terrains n’y sont pas accessibles (situations de
violences).
31
Pour finir, l’observation participante est caractérisée par le temps de travail, l’implication dans le
rôle, et la nature de la position empruntée. Le degré d’engagement dans le travail (volume des
descriptions, nombre d’informateurs mobilisés, documents annexes et indicateurs de travail)
participe à signer la qualité du travail. Il faut envisager une description scrupuleuse pour
diminuer les chances de manquer un évènement très significatif.
L’observation directe non participante :
Le chercheur est présent physiquement mais n’est pas en immersion, il ne joue pas un rôle dans
la scène étudiée. Il essaye d’avoir une position neutre même si des interactions existent. La
recherche-action est un travail « interventionniste », où le chercheur et les acteurs veulent
résoudre un problème concret visant à améliorer un système ou une situation sociale.
2.3.3.2 L’observation indirecte
Elle analyse le phénomène par un travail de recherche sur documents écrits ou autre support.
2.3.4 Exemples d’ethnographies et d’observations participantes en dehors et dans le milieu médical
Pour appréhender la technique ethnographique, un travail de recherche sur le cimetière du
Père-Lachaise effectué en 1982 (32), fait découvrir le cimetière autrement, notamment grâce à
l‘observation flottante. Il met en avant de façon ludique, les usages insoupçonnés de ce lieu et la
richesse historique qu’il y renferme.
« L’expérience cubique », travail ethnographique effectué par deux anthropologues, E. Lasserre
et A. Guioux (33), retrace quant à lui l’univers d’un service d’entrée en soins psychiatriques. Il
met en évidence les difficultés de la confrontation à la souffrance et les complexités de
compréhension dans l’interaction soignants-soignés. Il met également en avant les avancées en
termes de soins ambulatoires permettant d’imaginer des patients soignés avec un quotidien plus
traditionnel dans la société.
A. Vega dans « Une ethnologue à l’hôpital » (34), raconte une semaine passée en « observation
participante » dans un service de neurologie à Paris. Là-aussi, nous retrouvons la souffrance des
32
principaux acteurs de la relation de soins. Nous découvrons les difficultés humaines des
infirmières à trouver leur place et rôle dans le soin, technique ou plus social. Enfin, nous y
comprenons les détails de fonctionnement de la société hospitalière et la dramaturgie des
situations vécues.
J. Peneff (35) explore les urgences d’un hôpital, en réalisant une observation participante en tant
que brancardier, il y développe entre autres les difficultés du quotidien aux urgences, les
rythmes saccadés, les différentes catégories professionnelles et la relation aux patients et aux
familles.
En cabinet de médecine générale, peu de travaux ont été réalisés en France. A. Sarradon-Eck qui
participe à l’ouvrage « Singuliers généralistes » (15), est médecin anthropologue. Elle a écrit
plusieurs articles partant de travaux d’ethnographie (36) en médecine générale, par une
observation participante et directe de consultations médicales. Elle analyse notamment
l’interprétation des patients de leur maladie, les représentations des malades sur les soins. Elle
développe par exemple l’application dans le soin aux patients hypertendus. D’autres thèmes,
comme l’éthique en anthropologie de la santé, la dualité entre anthropologue et médecin sont
également développés. L’originalité de son travail vient du fait qu’elle analyse entre autres le
discours des patients auprès de leur médecin (elle-même), grâce à l’observation participante en
tant que médecin. Pour des problèmes éthiques et de faisabilité chez les non médecins, cette
situation est rare.
33
3 MATERIEL ET METHODE
3.1 Choix de la méthode
3.1.1 L’ethnographie
Ce travail est basé sur l’étude de la relation médecin-malade à travers un courant
sociologique. Nous nous dégageons de la question d’une étude quantitative, en recherchant à
analyser une interaction humaine et à mieux comprendre le sens donné à un phénomène.
L’étude mise en place est exploratoire. Il s’agit d’une analyse sociologique de terrain, basée sur
l’observation d’interactions entre des acteurs et de leur environnement, complétée par des
entretiens individuels semi-directifs des médecins et des entretiens informels de patients.
Le cabinet médical en ville (et ses consultations) représente un territoire difficile à explorer du
fait du secret médical et de par sa condition libérale. Une des spécificités de cette étude est que
nous nous intéressons davantage à la forme qu’au fond, c’est-à-dire que les données médicales
du patient ne sont pas à exploiter. Seules les interactions en tant que telles, entre les acteurs ou
l’environnement au cabinet médical, sont à explorer. La relation médecin-malade existe et se
met en place quel que soit le motif de consultation, même si elle peut avoir différents aspects
pour chaque patient ou pour un même patient. Connaître en partie le milieu d’étude a facilité la
mise en place de mon rôle d’observateur.
Médecin généraliste de formation et non anthropologue, j’ai mis l’outil qu’est l’ethnographie
avec l’observation participante, au service du propos que je souhaitais étudier. Le travail était
limité par le cadre de la thèse d’exercice en médecine générale. Le journal ethnographique n’a
pas été utilisé pour démontrer mais uniquement pour essayer de comprendre les interactions
que l’on retrouve dans un cabinet médical et quels sens elles ont pour les acteurs. Il est évident
que le matériel apporté par l’ethnographie est vaste et permet d’étudier d’autres choses que
l’hypothèse effectuée ici. Ces données enrichissent les connaissances sur la relation médecin-
malade et le cabinet médical mais elles n’ont pas pu toutes être analysées.
Pour finir, l’intérêt de ce travail réside également dans le fait qu’il permet d’étudier avec le
même chercheur, le médecin et ses malades et ceci dans une unité de temps et de lieu.
34
3.1.2 Choix du type d’observation
L’observation a été directe et participante (31) pour être au plus proche des relations humaines
habituelles existantes au cabinet de médecine générale. Nous avons refusé l’enregistrement
vidéo devant le caractère intrusif et réducteur du champ de vision. Les relations humaines étant
complexes et nécessitant une sensorialité diverse, plus sophistiquée que celle d‘un objet, un être
humain allait être plus à même de recueillir les données. L’observation a été participante pour
fausser le moins possible les interactions. J’ai également observé deux à trois consultations par
médecin, d’une part pour les voir en situation de relation directe avec leur patient et d’autre part
pour étudier le bureau, en tant que lieu habité, les objets prenant sens aussi avec l’activité de la
pièce.
3.1.3 Choix du type d’entretien
Le choix d’un entretien individuel des médecins s’est fait car l’interaction est souvent une
relation intime et singulière avec son médecin, sur le territoire de ce dernier. Afin de mieux les
cerner, nous avons réalisé des entretiens semi-dirigés car nous recherchions des éléments
globaux pour comprendre le sens général de la vision du cabinet et d’autres plus précis, pour
comprendre le sens de certains choix pratiques dans le cabinet (37).
Dans le cadre de l’ethnographie, j’ai également réalisé en salle d’attente, des entretiens à la
volée, informels, des patients avant leur rendez-vous, après une courte présentation, pour
recueillir leurs significations des interactions ou leurs réflexions.
Nous nous sommes intéressés principalement aux interactions en lien avec le médecin dans la
relation médecin-malade. Nous avons estimé que si l’étude devait apporter des modifications à
mettre en place dans les interactions, seul le médecin pourrait les réaliser.
Dans un premier temps, nous avions choisi de réaliser des entretiens de patients en plus, pour
mieux connaitre la relation qu’ils entretenaient avec leurs médecins. Très vite, nous nous
sommes rendus compte du travail fastidieux qu’il allait falloir mettre en place pour interroger
plusieurs patients par médecins en espérant arriver à une saturation des données. De plus, les
entretiens étaient peu contributifs car les patients étaient plutôt avares de mots malgré la
35
reformulation des questions pour qualifier leurs relations. La question directe du sens des
interactions n’étant pas évidente avec les patients.
3.2 Mise en place de l’étude
3.2.1 Contexte de l’étude
Les données de l’étude ont été recueillies dans un cabinet médical de Lyon dans le Rhône. Il est
situé en zone urbaine, dans un quartier socio économiquement bas, avec un brassage culturel
important. L’histoire du quartier sera abordée ultérieurement. Le cabinet est au deuxième étage
d’un immeuble d’habitations à loyer modéré (HLM) et est composé de quatre médecins
généralistes, une secrétaire et une femme de ménage. Le choix s’est porté sur un cabinet de
groupe partiellement connu, j’y remplace très ponctuellement depuis trois ans. Un cabinet de
quatre médecins permettait une étude des salles communes et des bureaux médicaux sans
décupler le travail d’observation. Le cabinet médical existe depuis plusieurs années. Un des
médecins y travaille depuis trente ans, il s’agit du Dr Marmotte. Il avait repris le cabinet à un
médecin installé seul qui avait dû s’en aller pour des raisons personnelles. Dr Gazelle est installé
depuis vingt ans et Dr Zèbre et Dr Hérisson y sont depuis onze ans. Ils reçoivent des étudiants en
médecine depuis plusieurs années, des internes et des externes. L’immeuble dispose d’un
ascenseur pour accéder au cabinet. La configuration du cabinet s’apparente à celle d’un
appartement composé de deux T3 jumelés. On y trouve trois bureaux médicaux (deux médecins
se partageant le même bureau), une salle d’attente, une salle de repos, deux remises et un
secrétariat. Chaque médecin travaille trois jours par semaine.
Je me suis déplacée une première fois au cabinet pour parler de manière informelle de mon
travail. L’étude a ensuite été présentée par mail (annexe 1) puis oralement, en personne, aux
médecins. Une présentation brève du travail a été faite verbalement à la secrétaire. L’accord de
chacun des participants a été obtenu avec enthousiasme.
36
3.2.2 Sélection de la population étudiée
3.2.2.1 Sélection du cabinet
Ce cabinet a été choisi car plusieurs éléments garantissaient une pertinence des résultats pour
notre étude. Il s’agit d’un cabinet de groupe de quatre médecins généralistes pratiquant plutôt
une médecine dite conventionnelle allopathique. Il y a deux médecins hommes et deux médecins
femmes. Ils sont d’âges différents. Le cabinet se compose d’une patientèle très diverse socio
économiquement parlant et surtout culturellement. Il est situé dans un quartier empreint
d’histoire et dans un bâtiment HLM. L’idée de ce travail a été accueillie avec enthousiasme par
les médecins.
Les médecins ont été interrogés en entretien individuel. Ils ont tous été observés en
consultation, sauf le Dr Gazelle, car au cours de son entretien, j’ai pu me rendre compte qu’il ne
faisait pas que de la médecine dite conventionnelle mais pratiquait certaines médecines dites
parallèles.
3.2.2.2 Sélection des patients
En pratique, tous les patients entrant dans le cabinet étaient observables en salle d’attente, dans
le bureau de la secrétaire ou dans les couloirs. Ils étaient donc tous à inclure. Les médecins du
cabinet ne prenant quasiment pas de nouveaux patients du fait de leur patientèle importante,
j’avais donc une certaine garantie d’une patientèle suivie.
Lors des phases brèves d’observation de patients en consultation, chez les médecins, il s’avère
qu’il s’est toujours agi de patients habituels du cabinet.
La sélection des patients s’est faite lors des jours d’observations, en cinq journées au total,
parfois par demi-journées en fonction de mes propres contraintes et des plannings des médecins
du 10 juin au 16 juillet 2014. Lors de ces journées d’observations, les entretiens étaient effectués
le matin ou le midi en fonction des disponibilités du médecin, ainsi que les quelques
consultations observées. L’observation a concerné non seulement la salle d’attente mais
également les autres pièces du cabinet dont le bureau de la secrétaire, le couloir et la salle de
37
repos. J’ai eu la possibilité de retourner sur les lieux de l’étude, aussi souvent que nécessaire. J’y
suis retourné à de nombreuses reprises, notamment pour le rétrocontrôle des entretiens des
médecins et pour prendre des photos des lieux après accord des médecins.
Pour l’échantillon des patients, la diversité était recherchée et non la représentativité statistique.
Comme il s’agit d’une étude qualitative, une seule information retrouvée par l’entretien ou
l’observation peut avoir dans certains cas le même impact que des données répétées lors d’un
questionnaire d’étude quantitative. La saturation des données était l’objectif à atteindre.
Lorsque les données de l’observation ont été redondantes et suffisamment diverses, j’ai cessé
mon travail de recueil.
Les critères d’inclusion pour les patients observés en consultation étaient :
- un patient ayant consulté son médecin généraliste à plusieurs reprises
- un patient majeur
- un patient acceptant la présence d’un étudiant lors de la consultation médicale
Les critères d’exclusion pour les patients observés en consultation étaient :
- un patient accompagné
- un patient mineur
- un patient avec des troubles cognitifs visibles
- un patient non vu au cabinet médical (visite)
- un patient reconnu du chercheur
- un patient ayant reconnu le chercheur
Les motifs de consultation n’ont pas engendré de sélection car ils sont souvent multiples. La
relation médecin-malade est établie lors de chaque consultation médicale.
38
3.2.3 Rôle du chercheur
J’ai été présentée comme étudiante en médecine aux patients du cabinet lorsque j’assistais aux
consultations, ce qui m’a permis de me placer dans le cadre d’une observation directe
participante de l’interaction située. Ce rôle présentait un double avantage : les patients ont
l’habitude de cette tierce personne lors des consultations (rôle d’étudiant déjà existant dans la
situation), je ne gênais pas le déroulement de la scène et ce rôle était assez passif. Par ailleurs, il
s’agissait d’un rôle que j’avais déjà endossé récemment dans le cadre de mes études médicales.
Il n’était donc pas difficile à crédibiliser.
Par contre, lors de mes phases d’observation en salle d’attente, j’étais assise et j’essayais de me
fondre dans la patientèle. J’en sortais lorsque seule au bout d’un moment avec un patient en
salle d’attente. J’en profitais pour l’interroger sur telle ou telle situation ou sur le cabinet en
général. Lorsque je sortais de l’anonymat, je me présentais comme étudiante en médecine
travaillant sur les relations entre un patient et son médecin.
Ma tenue était sobre. Je me suis efforcée d’être discrète y compris dans ma prise de notes. Je
souhaitais pendant la phase d’observation rester incognito par rapport à ce travail de thèse.
Petit à petit et en immersion dans mon rôle, j’ai aguerri ma capacité d’observation. Cependant,
j’ai réalisé avant le début de l’étude, des observations de scènes dans un parc fréquenté et dans
une salle d’attente d’un autre cabinet. Un test de canevas pour interroger les médecins a été
effectué auprès d’un médecin d’un autre cabinet.
J’ai tenu un carnet de bord durant mes jours d’observation. La prise de notes était manuscrite
immédiate pendant les phases d’observation et complétée le soir après relecture. La prise de
notes concerne des notes descriptives, des réflexions personnelles, des émotions, des notes
prospectives et des notes d’analyse. J’ai également systématiquement réalisé de petits croquis
pour me remémorer le placement de chacun dans la salle d’attente au fil du temps. Les notes
ont été chronologiques. Je les ai ensuite reprises dans un second carnet au propre de manière
plus claire, commençant à mettre en avant des données importantes ou redondantes, au fur et à
mesure.
39
3.3 Recueil des données
3.3.1 Journée d’observation directe de la salle d’attente et du secrétariat (de la salle de repos, si elle est occupée)
Lors de ces journées d’observation, je m’asseyais en salle d’attente, à des places différentes. Il
est arrivé que je sois debout au secrétariat ou dans le couloir. J’ai tenu un carnet de bord pour
réaliser une chronique d’activité. J’ai aussi dessiné une carte de déambulation avec de nombreux
croquis, ce qui permettait de cerner la relation médecin-malade par ses à-côtés
(environnement). J’ai noté le détail des lieux, des actions, et des personnages, les réflexions
personnelles et le ressenti. La prise de notes était manuscrite. Les éléments paraissant
intéressants, nécessitaient parfois des questionnements ultérieurs auprès des médecins.
J’observais à nouveau les lieux pour affiner mes notes descriptives, dès que possible, par
exemple lorsqu’il n’y avait aucun patient en salle d’attente. Lorsque le rendement marginal de
l’observation a décru à un niveau très bas, nous avons arrêté la phase d’observation. Lors des
phases d’observation stricte, je ne me présentais pas en salle d’attente et essayais d’être
discrète.
J’ai réalisé des entrevues brèves, à la volée lors de l’observation en salle d’attente. Les patients
étaient informés que je ne souhaitais aucune donnée médicale les concernant et que leurs
propos resteraient anonymes. Ces entretiens informels étaient effectués en tant qu’étudiante en
médecine. Lorsqu’ils souhaitaient plus d’informations, je leur disais faire un travail sur la relation
entre un patient et son médecin et sur l’environnement du cabinet. Tous les patients ont
volontiers répondu à mes questions.
J’ai recensé dans mon carnet de bord 67 patients observés dont 59 en salle d’attente sur cinq
journées au total. Les huit patients observés hors de la salle d’attente sont les deux patients vus
en consultation par médecin, soit six patients, puisque je n’ai pas assisté aux consultations du Dr
Gazelle. Deux patients sont entrés dans le secrétariat lorsque j’y étais mais ne sont pas allés en
salle d’attente. Lorsqu’un des médecins était sans patient et qu’il se dirigeait vers la salle de
repos, si la salle d’attente n’était pas occupée ou renouvelée, je l’y accompagnais. A posteriori,
j’ai trouvé le nombre de patients observés faible, au prorata du temps passé. Cela s’explique par
le contexte, les trois médecins ne travaillent pas toujours en même temps. C’était l’été, une
période où les cabinets sont moins fréquentés.
40
Les photos insérées dans ce travail le sont avec l’accord des médecins du cabinet.
3.3.2 Observation directe participante de la relation médecin-malade en consultation
Je venais un jour qui convenait au médecin, et en général je voyais les premiers patients de la
matinée ou de l’après-midi, après l’entretien du médecin. J’ai utilisé le carnet de bord avec une
prise de notes manuscrites pendant et après la consultation. J’ai assisté à la consultation en
retrait comme une jeune étudiante en médecine à côté du médecin. L’objectif était de
comprendre le type de relations qu’avait le médecin avec ses patients, et d’avoir une approche
du sens de la pièce, de ses objets et des interactions dans le rythme imposé par la consultation.
Je ne demandais pas l’avis du patient pour la prise de notes en consultation comme noté dans
les règles d’observation incognito. Tous les patients ont accepté ma présence. Il n’y a pas eu
d’enregistrement audio.
3.3.3 Entretien semi-directif médecin (35 minutes)/ canevas
Un enregistrement audio a été effectué avec l’accord des médecins, grâce à un téléphone
portable noir et silencieux. J’ai également pris quelques notes manuscrites de réflexions
personnelles immédiates pendant les entretiens. J’ai détruit les bandes audio dès la
retranscription des verbatim effectués. J’ai également anonymisé le travail à ce moment-là. Des
pseudonymes simples et en rapport avec les noms ont été choisis. Je leur ai proposé de choisir
un autre pseudonyme lors du rétrocontrôle, servant à trianguler la validité des données pour
l’analyse. La plupart n’ont pas modifié ceux que j’avais choisis moi-même initialement, mais un
médecin est intervenu pour que je change son pseudonyme. Il a préféré un surnom que lui avait
donné une patiente quelques années auparavant. Il s’agit du Dr Gazelle.
L’enregistrement audio de l’entretien s’est fait dans le bureau médical ou dans la salle de repos
pour le Dr Gazelle. Le canevas a été fait sans qu’une grille de questions ne soit rédigée de
manière précise, mais avec une trame d’éléments à recueillir :
41
- Biographie : âge, sexe, installation lieu/ nombre d’années, type d’exercice, environnement
familial.
- Comment vous décririez-vous en tant que médecin? Etre dans l’incitation au récit et peu
directive.
Relances : Quel type de médecin pensez-vous être pour vos patients ? Comment qualifieriez-
vous la relation que vous avez avec vos patients ? Est-ce toujours la même? Quel (s) type (s) de
relation (s) pensez-vous avoir en général avec vos patients ?
- Comment gérez-vous votre association ? Comment cela se passe-t-il avec vos associés ?
- Questions sur des précisions concernant certains objets ou certaines attitudes ou choix du
cabinet ? Notamment certaines curiosités que j’avais repérées en observation dont : L’ouverture
du cabinet en personne par la secrétaire ou le médecin/ La fermeture de la porte de la salle
d’attente/ Logement HLM-le choix du quartier/ L’aspect physique du cabinet-la décoration.
Les mots prononcés avec insistance par les médecins, avec une intonation appuyée, ont été
notifiés en gras sur les verbatims.
Le canevas a été construit pour répondre à l’objectif de la thèse, il a été modifié lorsque nous
avions besoin d’expliciter le sens d’objets ou de situations particulières ou nouvelles. Dans
l’ensemble, l’entretien était relativement ouvert pour que les médecins se confient facilement.
Pour le rétrocontrôle, appelé aussi « member checking », nous avons repris rendez-vous avec
chaque médecin, et ils ont relu le contenu de leur verbatim respectif en ma présence. J’ai pu
noter leurs réactions et leurs commentaires. J’ai également pu préciser ou compléter certaines
questions. Certaines données ont été anonymisées pour le respect de chacun. Les modifications
ont été notifiées dans les résultats.
3.4 Méthode d’analyse des entretiens et des données d’observation participante
L'analyse a été inductive de contenu thématique par un processus de construction de catégories
à partir de l'analyse des propos des participants et de l’observation. Ceci a été effectué avec
Evelyne Lasserre et le Dr Alain Moreau.
42
La triangulation des résultats vient des différents types de données : observation du cabinet et
entretiens, rétrocontrôle de l’ensemble des résultats réalisé auprès des médecins par les
médecins, expertise de la direction de thèse et confrontation à la littérature.
Les quatre médecins ont reçu les résultats rédigés pour le rétrocontrôle, seuls deux médecins
ont répondu par mail.
3.5 Stratégie de recherche bibliographique
La bibliographie a été obtenue en partie grâce à une recherche sur internet, voici les sites les
plus visités:
-PubMed : www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed
-BDSP : Banque de Données de Santé Publique : http://www.bdsp.ehesp.fr
-CAIRN.info : http://www.cairn.info
-HAS : Haute Autorité de Santé : http://www.has-sante.fr
-http://www.sudoc.abes.fr
Les différents mots-clés utilisés sont:
-médecine générale, médecin généraliste
-relation médecin-patient, relation médecin-malade
-interactionnisme symbolique
-recherche qualitative
-ethnographie
-alliance thérapeutique
-approche centrée sur le patient
-vécu, ressenti du patient
43
-sens, signification, interprétation
Autres sources :
En plus des articles et thèses lus, il y a également eu de nombreux ouvrages lus ou simplement
consultés (cf bibliographie).
44
4 RESULTATS ET ANALYSE
Nous partirons du quartier géographique dans lequel se situe le cabinet vers les locaux en eux-
mêmes. Par la suite, nous développerons trois axes d’analyses des résultats recueillis. Ces trois
axes ont été choisis en concertation entre les directeurs de thèse (l’un anthropologue, l’autre
médecin généraliste) et l’étudiant recueillant les données.
4.1 Lieu de l’étude
4.1.1 Un cabinet dans son quartier
Dans les années vingt, un projet d’urbanisation est créé sur le lieu d’un ancien bidonville et de
quelques fermes, reliant le cœur de la ville de Lyon à la banlieue. Un quartier d’Habitations à Bon
Marché (HBM) voit le jour en 1930, l’équivalent des premiers HLM. Ces logements seront
révolutionnairement modernes pour le milieu principalement ouvrier qui y logera. L’architecte
de ce projet sera décrit comme visionnaire et humaniste pour son époque.
Les habitants vont vivre dans la cité, en communauté car ils n’auront que peu de moyens de
transport et développeront des activités de toutes sortes sur place. Malgré le désintérêt des
responsables des logements de la ville, ils créeront un microcosme social. Plusieurs décennies
plus tard, dans les années quatre-vingt, le quartier sera réhabilité et ceci à la demande de ses
habitants, qui s’investiront dans sa mise en valeur par des artistes locaux.
Aujourd’hui, ce même quartier est relativement défavorisé, classé en catégorie 2 au titre du
CUCS (Contrat Urbain de Cohésion Sociale). C’est un quartier prioritaire en politique de la ville, il
s’agit de penser le futur de la ville en cohésion avec ce type de quartiers et de les faire accéder à
certains crédits. Ce quartier est également classé en ZUS (Zone Urbaine Sensible), il compte
15000 habitants environ et 93% de logements sociaux. Il y existe une forte population d’origine
immigrée, selon l’INSEE en 2008, entre 20 et 40%.
Sur le plan de la santé, il y a eu une enquête de satisfaction de la population en 2010 sur le
quartier(38). Elle retrouve que la part des ménages se considérant en bonne santé est en baisse :
73% contre 82% en 2009 et 79% en 2008, une proportion inférieure aux quartiers adjacents.
45
Selon l’étude, la consultation de spécialistes est considérée comme de plus en plus difficile : 30%
des ménages ont des difficultés pour consulter un spécialiste contre 18% en 2009 et 21% en
2008. Les principales raisons évoquées sont des raisons de délai (44% : en baisse), et de coût
(38% : en hausse). De plus en plus de ménages limitent leurs dépenses de santé dans l’enquête,
46% des ménages contre 39% en 2009 et 33% en 2008. Cette part est plus élevée que celle des
autres quartiers prioritaires où elle est également en hausse.
Selon toujours cette enquête de population, la sécurité et les incivilités, seraient très dépendants
des sous-quartiers. Les transports, les commerces de proximité et les activités culturelles, dans
ce quartier, se sont partiellement développés mais il reste beaucoup à faire pour redonner à
celui-ci, la vivacité sociale de ses premières années.
L’étude que nous allons vous présenter a été effectuée dans un cabinet médical de ce quartier.
On y arrive par une grande avenue et non loin du marché, dans une zone commerçante, on
retrouve des immeubles identiques, blancs aux volets gris, vieillis par le temps et collés les uns
aux autres. Le cabinet est dans un de ceux-là, au deuxième étage d’un immeuble HLM de huit
étages. Devant chacun des immeubles, il y a une citation apposée. Il semblerait que ces citations
fantaisistes soient des phrases prononcées par les habitants des immeubles lors d’une
manifestation culturelle où on leur demandait de citer un personnage célèbre. Devant
l’immeuble qui nous intéresse, il y a les plaques de quatre médecins généralistes, argentées et
celle d’un dentiste occupant un cabinet en face sur le même palier. On arrive au deuxième étage,
par l’escalier ou l’ascenseur étroit. Sur le pas de la porte, on retrouve à nouveau des plaques
avec l’identité de chaque médecin. Il faut sonner.
46
4.1.2 Description du cabinet médical
Dr Marmotte
Dr Hérisson
et Dr Zèbre
Dr Gazelle
Remise
Salle d’attente
Secrétariat
1722,6 mm x 585,5 mm
1824,0 mm x 585,5 mm
1824,0 mm x 585,5 mm
1140,0 mm x 506,7 mm
1520,0 mm x 540,4 mm
1216,0 mm x 371,5 mm
912,0 mm x 405,3 mm
912,0 mm x 304,0 mm
Entrée
Figure 1: Plan du cabinet médical étudié
47
La secrétaire ou un des médecins en son absence, vient ouvrir. Le cabinet est constitué de deux
appartements jumelés dos-à-dos. Ainsi les deux entrées sont face à face mais une seule est
utilisée, celle indiquée sur le plan. On entre dans le couloir, sur la droite se situe le secrétariat
puis la deuxième porte à droite est la salle d’attente. Sur la gauche en entrant, il y a des toilettes
et une petite remise. Plus loin, sur la gauche, le long du couloir on retrouve le bureau du Dr
Zèbre et du Dr Hérisson, puis le bureau du Dr Marmotte. Sur la droite après la salle d’attente et
suite au couloir étroit décoré d’un grand et large miroir, on trouve une remise et l’entrée du
bureau du Dr Gazelle. Reste une porte au bout du couloir à gauche, celle de la salle de repos, qui
fait office de petite cuisine et où se situent aussi les toilettes privées. Une plante verte est située
dans chaque pièce commune. Les balcons à gauche sur le plan ne sont pas exploités.
48
4.2 Le sens de l’accueil et d’hospitalité dans le cabinet
Le travail présenté ci-après est inductif et subjectif, pour mieux comprendre la relation médecin-
malade, en approfondissant le sens que les différents interlocuteurs donnent à l’environnement
et à leurs attitudes verbales et non verbales.
4.2.1 Des valeurs partagées fondatrices dans le discours des médecins
Lors de la réalisation de ce travail de recherche, nous nous sommes aperçus qu’il existait un socle
de valeurs communes entre les médecins qui soutenaient l’existence et la bonne marche de ce
cabinet de groupe.
Ainsi le Dr Marmotte précise que les médecins du cabinet ont: « La même approche globale de la
personne (…), les mêmes valeurs. » Il décrit : « Une vision assez proche de la maladie, assez
proche du rôle du médecin, assez proche du rapport au malade (…), il y a (…) une cohérence
globale…», entre les médecins. Il insiste sur la différence entre le cabinet et l’hôpital : « Il faut
qu’il y ait à la fois de la rigueur, tout ce qu’il faut au niveau matériel, mais qu’il y ait aussi un
certain accueil de qualité. Ce n’est pas un lieu aseptisé comme à l’hôpital. »
Le Dr Gazelle, à sa manière, parle du mot « éthique » dans un quartier plutôt défavorisé. Par ce
terme, il souligne qu’ils ont « la même éthique, oui c’est important parce qu’on est dans un
quartier où il y a énormément de souffrance : souffrance sociale, souffrance psychologique. »
Mais, il explique aussi avec beaucoup de sérieux et de véhémence : « Oui, les patients, on les
connait, on les accueille. Très souvent on rentre dans la salle d’attente. On ne dit pas : « Au
Suivant », « Monsieur untel »… jamais, jamais, jamais, on ne dit dans la salle d’attente le nom du
patient. On les connait. Je m’approche de lui, je lui serre la main mais c’est dans la salle d’attente
que je vais le chercher. »
Le Dr Zèbre s’exprime sans détour : « Non, on n’a pas forcément la même façon de travailler
mais on a le même état d’esprit. Je ne sais pas si je suis claire. On est bien attaché à la personne.
Enfin, on a un peu la même idée de la médecine. On n’est pas dans l’abattage. On trouve que le
contact avec le patient, c’est important. »
49
Le Dr Hérisson évoque en plus de la notion d’accueil, l’aspect financier, exprimant clairement
que ce n’est pas une source de discorde ni une priorité entre médecins: « Ah oui, je crois
vraiment que, en tout cas, tous les quatre, on a une dimension de l’accès au soin qui est la même.
Ça, ça me parait vraiment évident. On va recevoir tout le monde, quoi, je crois que c’est vraiment
euh… le mot d’ordre de chacun et on s’est rendu compte dès le départ qu’on avait la même façon
de fonctionner. Je pense qu’on a quand même une relation à l’argent aussi, qui est la même,
voilà. Il n’y a d’ailleurs jamais de conflit là-dessus. »
Les quatre médecins ont une vision identique de l’accueil du malade et de l’accès au soin mais
nous comprenons également lors de ce travail de recherche que le cabinet s’est construit au fil
des années, dans le cadre d’un réseau de « réflexion spirituelle » précise Dr Marmotte. Le Dr
Gazelle y fait référence : «Donc, on a à la fois cette qualité d’association entre nous, mais il faut
aussi un ancrage spirituel (…) ». Il indique que les femmes du cabinet ont été « recrutées par le
milieu confessionnel. Une, Dr Zèbre, Dr Marmotte la suivait depuis le début de ses études de
médecine dans un groupe de réflexion chrétien (…)» et Dr Hérisson avait été l’interne du Dr
Marmotte.
Nous comprenons rapidement qu’à leurs yeux, leur association est une réussite en terme
d’entente et qu’ils ressentent une satisfaction dans leur travail quotidien côte à côte. Nous
percevons des valeurs fondatrices dans ce cabinet de groupe. Ces valeurs semblent venir en
partie de valeurs religieuses. Ces médecins appartiennent au même groupe, à la même classe, au
sens anthropologique. Ils ont les mêmes codes. Je peux témoigner d’une relative bonne humeur
quotidienne dans le cabinet. Les médecins ayant une bienveillance palpable, elle est ressentie
par les patients en salle d’attente. Je n’ai pas souvenir d’un haussement de ton ou d’une
altercation de la part d’un médecin.
Une autre valeur importante est énoncée de manière collégiale. Les médecins du cabinet sont
fiers de la cohabitation de différentes cultures et de différents niveaux de vie dans leur salle
d’attente. Le Dr Gazelle évoque des patients d’origine vietnamienne, marocaine, algérienne,
tunisienne, etc… Ils disent tous ne pas faire de différence avec chacun d’eux. Ainsi, Dr Marmotte
raconte : « J’ai même un professeur de faculté qui venait en salle d’attente, à côté de tout le
monde. Ça n’a jamais posé de problème ». Il finit même par entrer dans les détails à propos
d’une histoire d’un patient policier ayant arrêté le mari d’une patiente : « Donc en salle
d’attente, s’étaient côtoyés le monsieur qui avait arrêté le mari de la dame qui était à côté d’elle.
Ils ne l’ont pas su. Je crois que c’est ça la médecine aussi. C’est ça qui est extraordinaire dans la
50
médecine. Le jour où il y avait ce professeur avec un nœud papillon… avec des gens qui avait
l’équivalent de la CMU (couverture médicale universelle) à l’époque. C’est ça qui est
extraordinaire dans la médecine. C’est que vous avez deux genres de type de personnes qui
viennent de milieux complétement différents, des histoires complètement différentes, elles sont
côte à côte en salle d’attente. Elles ne le savent pas, sauf peut-être l’habillement. Mais, quand
elles sont face à moi, c’est pareil, il n’y en a pas une qui a plus de valeurs que d’autres. Voilà.
J’essaye de tout donner. Ce que je peux donner. »
Pour ma part, j’ai aussi pu constater cette diversité, ce melting-pot en salle d’attente à de
nombreuses reprises. On y retrouve des origines diverses, africaines, nord-africaines,
caucasiennes et asiatiques. Certains ont une culture qui transparait plus que d’autres, à travers
les vêtements portés ou leur français approximatif. Notamment, j’ai rencontré un patient venant
consulter en costume traditionnel africain, un bonnet de ski en laine bien enfoncé sur les deux
oreilles. Un bonnet qui se terminait par un gros pompon à son extrémité.
4.2.2 Des subtilités dans l’accueil de la patientèle pour chaque médecin
Les quatre médecins du cabinet déclarent de manière unanime avoir chacun une patientèle
différente de leurs collègues, ils ont aussi des caractéristiques propres en tant que médecin.
Dr Marmotte
Le Dr Marmotte déclare n’être « jamais venu en trainant des pieds » au cabinet et préfère
s’occuper « des malades plus que des maladies ». Nous le percevons comme quelqu’un
d’humain, voici ses propos : « On est dans le face à face et non dans le je-sais-tout, donc je vais
vous dire ce qu’il faut faire. De mettre de l’humanité dedans, parce qu’on fait… La médecine, c’est
un rapport de sujet à sujet : Un qui questionne et un qui répond. Il faut que cette dimension
humanitaire, elle paraisse aussi ailleurs. »
Il voit une « dimension spirituelle dans l’engagement en tant que médecin généraliste » et «
essaye (…) d’être quand même un médecin qui soit à l’écoute, (silence) ». Il nous explique : « On
comprend mieux la personne quand on situe la maladie dans l’histoire de la personne, l’histoire à
la fois diachronique et synchronique. Hein. Voilà. Cette dimension m’intéresse. C’est ce que
51
j’essaye de faire, maintenant, est-ce que je réussis ou pas ? (moue dubitative). Autre dimension
qui m’intéresse, c’est une dimension systémique… »
Il se dit fier de soigner quatre à cinq générations, et dit bien connaître ses patients mais reste
très discret à son propos. Dans son rôle de médecin, il souhaite une certaine distance, et ne
souhaite pas de familiarités avec les patients. Pourtant un de ses patients en salle d’attente avait
un ressenti différent, il l’avait décrit comme un très bon médecin qui le connaissait bien et que
lui aussi connaissait bien car ils se fréquentaient depuis plusieurs années. Dr Marmotte a eu
beaucoup de difficultés à se confier sur la description de quelques éléments familiaux basiques
lors de l’entretien. Il ne semble peu ou pas du tout vouloir en parler même à moi qui ne suis pas
une patiente.
Il évoque aussi son engagement syndical pour les valeurs sociales, il parle d’un « syndicat où on
se battait pour l’égalité d’accès aux soins. »
Dr Marmotte est un médecin qui parait en perpétuelle recherche d’amélioration et très investi
dans plusieurs domaines. C’est un médecin généraliste plutôt scientifique, exigeant mais distant,
pourtant peut-être malgré lui, son attitude semble être ressentie comme proche des gens par
ses patients.
Dr Gazelle
Tel le Dr Marmotte, il explique comment, les années passant, il s’intéresse de plus en plus au
patient, en tant que personne : « Je passe de plus en plus de temps à écouter mes patients et de
moins en moins à les examiner. Ce qui m’intéresse, c’est de plus en plus savoir comment ils vivent
avec leur maladie plutôt que la maladie elle-même, donc ce qui m’intéresse de plus en plus c’est
le malade, ce n’est pas la maladie. »
Il a la particularité de tutoyer certains patients qu’il a vu grandir, et d’être extrêmement
bienveillant avec les enfants. Par deux fois, je l’ai vu traverser la salle d’attente pour aller saluer
un bébé : « Salut, moi c’est Gazelle », dit le Dr Gazelle, puis il se retournait et complimentait la
maman, pourtant à chaque reprise, ce n’était pas son patient.
Il s’agit d’un médecin qu’on perçoit comme chaleureux et humain d’emblée devant sa gestuelle
non verbale et sa voix grave et calme. Il parait simple et accessible, de par son aspect physique,
sa venue en vélo et sa disponibilité à répondre aux demandes diverses et multiples.
52
Dr Zèbre
Elle parle peu et se qualifie simplement : « Je pense être à l’écoute des patients ». Quand je lui
demande comment elle pense que les patients la perçoivent, elle me dit : « Je pense être plutôt
souriante », mais admet également être assez directe et espère qu’ils ne lui en tiennent pas trop
rigueur.
Discrète, c’est un médecin à la voix douce avec les patients. Elle se déplace d’ailleurs assez
lentement. Elle apporte une certaine réassurance par sa voix posée.
Elle évoque la sécurité dans le cabinet, à travers la fermeture de la porte d’entrée et de la porte
de la salle d’attente. Lors du feed-back, elle me dira en relisant la retranscription de son
entretien, que la notion d’accueil est extrêmement importante à ses yeux, « fondamentale ».
Dr Hérisson
Elle dit avoir une certaine ouverture d’esprit : « (…) comme acceptant tout le monde, je pense ne
pas trop juger les patients (…), j’essaye vraiment d’être le plus ouverte possible, et j’ai
l’impression que, voilà, que les patients le ressentent comme ça. (…) ils apprécient aussi d’être
considérés aussi comme… voilà, comme… quelqu’un de la société qui a droit à tout, euh aux
mêmes choses que les autres. Je pense que c’est important, je me dis que les gens, ils ont leur vie,
leurs difficultés, que ce n’est pas à moi de juger ça de toute façon, la justice est là pour ça. Et puis
moi, je suis là pour les soigner et puis les écouter. »
Elle confie apprécier la relation médecin-malade où l’on a une « dimension socio-médicale » qui
est très importante et elle s’en rend compte nous dit-elle, lors de ses échanges avec les étudiants
en médecine : « L’externe : « Non mais, on fait trop de social ici, ça ne m’intéresse pas. » (Rire du
Dr Hérisson), je me rends compte, que sûrement effectivement, qu’on en fait beaucoup. »
Elle ne parle pas de la dimension spécifique d’accueil à l’entrée, mais uniquement de la sécurité.
J’apprends qu’elle a été victime d’une agression verbale de la part d’un patient toxicomane et
que ce dernier avait volé un téléphone. Elle dit avec un ton humoristique : « Il avait volé le
téléphone portable, mais répondu au téléphone quand on avait appelé. Voilà. Donc, c’est pour
dire que ce n’était pas du grand méchant… c’était du grand perdu (sourire). » C’est un médecin
dynamique et enthousiaste.
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Nous notons que malgré l’existence d’un cabinet de groupe, chacun a gardé ses caractéristiques
propres. Il ne semble pas y avoir d’effacement de la personnalité ou des pratiques de l’autre. Le
respect est mutuel. Nous pourrions caractériser ces médecins d’humanistes.
4.2.3 Le souci constant d’un accueil respectueux de l’autre
4.2.3.1 L’attitude respectueuse des médecins entre eux
L’accueil est une valeur appliquée dans plusieurs types de relations, visible pour les patients dans
les liens que les médecins entretiennent avec les autres personnes présentes au cabinet. Tous les
médecins évoquent un cadre de travail de qualité. Le Dr Marmotte indique une équipe « à la fois
au service du patient et une dynamique de groupe, parce que je pense qu’on ne travaille bien
qu’en équipe ». Il dit aussi qu’ils prennent « un temps d’échange tous les jours ». Durant mon
travail de recherche, j’ai assisté à des échanges, quotidiens, mais souvent abrégés par des coups
de téléphone ou des patients qui arrivaient. Ils se réunissent aussi une fois par mois, en dehors
du cabinet pour faire le point.
Je perçois un respect de l’autre à travers leurs relations de travail, comme lorsque le Dr Gazelle
raconte comment le Dr Marmotte l’a accueilli : « Au contraire, tu me rends un service en venant
t’installer à côté de moi, il y a longtemps que je cherche un associé. Tu viens t’asseoir à côté de
moi, tu prends tous les nouveaux patients qui arrivent et on partage les charges du cabinet, c’est
normal ». Dr Gazelle rajoute : « Et encore au bout de quelques mois d’installation, il est venu me
voir en disant mais ce n’est pas normal que tu paies autant de charges que moi alors que tu vois
moins de patients que moi… On va proratiser. Et là je lui ai dit : « Ecoute, je pense que si je
m’étais installé tout seul, j’aurai payé plein pot le cabinet. C’est déjà pas mal que je n’en paie que
la moitié et je n’ai pas payé de droits de présentation ». C’est pour te dire que son exigence
éthique, ce niveau qui me va tout à fait, je me suis tout à fait reconnu. »
Un matin, j’ai pu constater que le Dr Gazelle portait également une attention particulière à son
collègue. Il fit attendre ses patients en salle d’attente, le temps de dire au revoir au Dr
Marmotte. Pourtant, celui-ci partait simplement en visite à domicile et rentrait au cabinet par la
suite pour le déjeuner.
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Le Dr Hérisson et le Dr Zèbre partagent leur bureau et consultent une fois par semaine, dans le
bureau d’un des deux médecins hommes. C’est avec beaucoup de tact que chacune parle de la
situation. Le Dr Hérisson dit : « Alors, moi, je le vis très bien, je ne sais pas comment Dr Zèbre le
vit, ça nous oblige à ranger notre bureau quand c’est le vendredi soir, quand je sais que le lundi
c’est Dr Zèbre qui arrive, mais ça fait partie du respect de l’autre et elle fait pareil, je pense,
quand j’arrive le bureau est propre. Donc, voilà. Ça me parait être, voilà, non, finalement, ça ne
me dérange pas, ça ne pèse pas plus que ça. » Le Dr Zèbre se confie : « On en prend son parti.
C’est vrai que les patients nous disent : « Ah, vous avez changé de bureau ? ». Encore
maintenant, on leur explique : « oui le jeudi, je travaille de l’autre côté ». Bon, ce qui pèse un peu,
c’est que de l’autre côté, il y a un tas de papiers qui s’accumulent, ça j’aime pas trop … (Rire)
Arriver, voir cette masse de papier, j’avoue que, voilà … Bon, je mets ça de côté, mais l’exercice
avec les autres médecins, on s’entend tellement bien. On travaille. On a le même état d’esprit. On
a une qualité de travail qui est importante vraiment, donc je fais abstraction du reste »
4.2.3.2 La bienveillance envers les autres intervenants
Un jour, en parlant de la météo, brusquement Dr Marmotte décide de mettre la climatisation
dans le bureau de la secrétaire. J’apprends d’ailleurs que la secrétaire habituelle est en congé
maladie, enceinte, elle a dû s’arrêter presque deux mois avant le début du congé maternité.
Nous voilà tous à la remise, qui est au milieu du cabinet. Dr Marmotte avec énergie, dégage le
climatiseur qui était stocké là depuis la fin de l’été dernier, faisant fi de ses problèmes de santé
encore récents et l’installe dans le bureau de la secrétaire vers l’entrée, avant son arrivée.
Les médecins du cabinet libèrent des plages horaires pour qu’une infirmière dans le cadre d’une
association de prévention, consulte des patients et les aident d’une autre manière à mieux
comprendre leur maladie et à se prendre en charge.
Les médecins sont très chaleureux et encourageants avec moi. Ils essayent de me mettre à l’aise
et me considèrent. Dr Marmotte s’assoit à côté de moi pour faire l’entretien, Dr Gazelle me
propose qu’il soit fait dans la salle de repos pour la convivialité. Dr Zèbre et Dr Hérisson se
rendent très disponibles. Tous acceptent que j’assiste à quelques consultations sans difficultés.
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4.2.4 Le rôle de la secrétaire dans l’accueil
La secrétaire, c’est un peu l’image du cabinet, c’est la première chose que les patients voient en
entrant. Il s’agit de femmes le plus souvent. Après un échange de politesse, elle s’enquiert de
l’existence de votre rendez-vous : avec quel médecin, à quelle heure et quel est votre nom. En
parlant du nom, je ne compte plus les fois où je l’ai vu faire répéter les patients, ça semble être
un vrai casse-tête les noms de famille et « on ne sait jamais comment les écrire » dit-elle. Il faut
dire que plusieurs patients ont des origines diverses et ne prononcent pas toujours leurs noms
de façon distincte.
Un jour, je la retrouve derrière la banque dans son bureau, avec une stagiaire, j’en profite pour
les interroger sur leurs âges, stupéfaite, je découvre que la secrétaire à dix-neuf ans et la
stagiaire quinze ans. Elles font des études courtes.
Lorsqu’elle n’accueille pas les patients, elle est au téléphone ou trie du courrier ou encore
scanne des documents. Les patients vont souvent la voir pendant leur temps d’attente, vérifier
qu’il n’y a pas d’erreur de rendez-vous, voir si le médecin en a encore pour longtemps ou
simplement pour discuter de leurs problèmes ou râler du retard... Mais dans ce dernier cas, ils ne
font jamais ouvertement de remarques aux médecins, uniquement à la secrétaire. Lorsqu’il s’agit
de discuter avec la secrétaire, le plus souvent, ce sont les mamans, avec une poussette qu’elle
laisse dans le couloir. Tout en la surveillant de loin, elles échangent des banalités. Plus
surprenant, certains patients tutoient la secrétaire, lorsque je l’interroge à ce sujet, elle me dit :
« Non, je ne les connais pas, y en qui se sentent chez eux, c’est le quartier qui veut ça… Des fois,
ils nous font rire, c’est bien. »
Un après-midi, un patient entre avec un document à remettre à son médecin. La secrétaire lui
indique que ce dernier est actuellement absent et qu’elle le lui remettra ultérieurement.
Manifestement inquiet, le patient épie chaque geste de la secrétaire pour ranger le document et
finit par lui dire : « Et vous penserez bien à lui mettre un postiche ! Hein ! ». Il n’avait pas
d’accent.
Les médecins insistent sur l’importance de l’accueil par la secrétaire qui leur parait primordial.
Dès mon arrivée, j’y ai été confrontée, après avoir sonné, la secrétaire est venue m’ouvrir la
porte d’entrée du cabinet, m’amenant à me présenter sur le seuil. Lorsque la secrétaire est
absente, c’est un médecin qui se libère pour aller ouvrir la porte. Quoi de plus naturel dans son
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domicile, un appartement de particulier, mais dans un cabinet médical, l’heure actuelle est
plutôt à l’entrée tout venant et l’on se dirige ensuite solitairement vers le secrétariat.
Lorsque j’ai interrogé les médecins à ce propos, Dr Marmotte m’a répondu qu’il y avait d’une
part des raisons de sécurité et d’autre part, principalement une dimension d’accueil très
importante, qu’ils souhaitaient donner à leur cabinet. Ainsi, il me dit : « Deux raisons. La
première, c’est que j’avais lu (silence), que les agressions se faisaient toujours quand il y avait
marqué : « sonnez et entrez », parce qu’on ne régulait pas (…). La deuxième chose, je pense que
l’accueil par la secrétaire fait partie de l’accueil complet au cabinet. C’est un élément essentiel.
Comment les gens sont accueillis quand ils arrivent ici. Ils sont reconnus. C’est le début du soin. Il
passe par la qualité de l’accueil qu’on a. ». Il assimile même l’accueil au soin. Le Dr Zèbre et le Dr
Gazelle tiennent les mêmes propos.
Dr Gazelle abonde dans le même sens : « C’est la même chose pour notre secrétaire. Elle ouvre la
porte, il y a un accueil, les gens sont accueillis, ce n’est pas une sonnette anonyme. Une porte qui
s’ouvre…c’est une perte de temps considérable pour une secrétaire d’aller ouvrir la porte. Elle
passe un temps fou, mais on est dans l’accueil ». Nous distinguons une dimension à type de
frontière avec ce franchissement de seuil accompagné. Mais la valeur ressentie par les patients
est non pas « sélection », mais plutôt « élection » de la patientèle qui rentre dans le cabinet, à
l’image d’une patientèle exclusive. En effet, le mot « sélection » apporte une idée négative, alors
que les patients le vivent très bien. Et au contraire, cette vision protectionniste est appréciée, ils
se sentent inclus dans le cercle de protection des médecins. Les patients sont ainsi reçus comme
des hôtes. On pourrait aussi évoquer un possible frein à la consommation médicale.
Il est évident que cette organisation présente des contraintes pour la secrétaire. Cette dernière
en tout cas ne m’en parlera pas. Elle semble trouver cette situation immuable. Par contre, elle
n’évoque pas la notion d’accueil. Elle ne semble pas avoir conscience des valeurs partagées par
les médecins du cabinet. Cette considération portée par les médecins envers le rôle central de la
secrétaire ne semble pas être ressentie par elle. Je rappelle que la secrétaire que j’interroge
n’est là que depuis quelques mois.
Je me suis donc enquise de savoir ce que pensait la secrétaire habituelle, qui est donc congé
maternité. Elle s’est confiée par téléphone. Elle dit avoir éprouvé de nombreuses difficultés à son
arrivée au cabinet, notamment avec les patients : « trop intense, je ne pensais pas rester ». Elle
indique qu’avec les médecins, ça s’est toujours bien passé. A présent, elle se dit « ravie » de
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travailler avec les patients. Concernant la valeur « accueil », elle ne m’en a pas parlé. Elle assure
que c’est pour des « raisons de sécurité » qu’il faut garder ce système d’ouverture de porte,
même si elle préfèrerait qu’il soit changé pour une porte automatique.
4.2.5 L’hospitalité physique des lieux vue par les médecins
Les deux femmes du cabinet, qui sont aussi les plus jeunes installées (dix ans, versus vingt et
trente ans pour les hommes) semblent plus préoccupées que les hommes par l’aspect général du
cabinet. Le Dr Hérisson évoque leurs investissements, de manière un peu lasse : « On s’en occupe
peu, c’est vrai, de ça. On a refait par contre la salle d’attente, il n‘y a pas très longtemps, mais
bon elle a déjà été, voilà, la tapisserie a déjà été déchirée, bon tout ça, on a recollé comme on
pouvait. C’est une pièce qui s’abime vite. Donc… euh… La décoration non, c’est vrai, que ce n’est
vraiment pas quelque chose qui nous prend du temps (rire), ça s’est sûr. Bon. »
Le Dr Zèbre quant à elle, avec beaucoup d’empathie, déclare : « Je trouve quand même que ça
compte. Que les gens se sentent bien. Je trouve quand même que notre cabinet est un peu vieux.
Et j’ai déjà des patients qui m’ont dit, enfin, ils ne m’ont pas dit : « Chez vous, c’est moche », mais
presque. Silence. Déjà, ce n’est pas accessible. Il y a des marches en bas. Dès qu’on a une
poussette, c’est compliqué. L’ascenseur ne marche pas toujours. Ça, c’est un point négatif(…).
Donc, voilà. Entre l’hyperluxueux, et des fois, la tapisserie qui se décolle, je trouve qu’il y a un
entre deux. Après, je ne suis pas sûre que ce soit le plus important pour les patients. Ou alors, ça
dépend des patients, il y en a qui vont s’attacher à des choses matérielles et d’autres pour qui, ce
n’est pas du tout ce qui est recherché quoi. Moi, je trouve que c’est important que ce soit au
moins propre, qu’il y ait de la place en salle d’attente. Voilà. Que ce soit un petit peu décoré. Qu’il
y ait quand même deux, trois petites choses. Montrer qu’il y a de la vie, que ce n’est pas
complètement décrépi. »
Les hommes ne me feront aucun commentaire de cet ordre. Dr Marmotte estime que le cabinet
est chaleureux, ce sera sa seule appréciation physique. Et pourtant, sur ce sujet-là, j’ai cherché à
l’inciter mais sans résultats.
La simplicité et la vétusté des lieux sont donc bien vécues par les médecins. Quand nous relions
ces aspects à l’importance de l’hospitalité et de l’accueil dans le cabinet, nous faisons un
parallèle avec un lieu de culte. Le cabinet n’est pas un lieu public, et n’est pas vécu comme tel.
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Mais cet accueil revendiqué peut sembler proche dans sa valeur de la symbolique religieuse,
notamment par l’idée de mettre en valeur le soin de la personne.
4.2.6 L’accueil perçu par les patients
Pour commencer, la totalité des personnes ont dit « bonjour » ou ont salué l’assemblée en
entrant dans la salle d’attente, à l’exception de 2 personnes.
J’ai pu constater que d’autres patients arrivant sans rendez-vous, la plupart du temps, étaient
quand même reçus, même brièvement, après une mise au point sur les règles de prise de
rendez-vous du cabinet. Mais je n’ai jamais entendu les patients formuler des excuses
verbalement en salle d’attente ou en partant sur le seuil. J’ai noté également qu’il y avait un va
et vient de cartes vitales et/ou de cartes bleues, pendant les consultations car certains patients
viennent sans carte vitale ou sans moyens de paiement dans un premier temps puis régularisent
la situation ultérieurement.
Certains patients viennent en urgence au cabinet médical, après avoir téléphoné : « Le médecin a
dit de prévenir dès que j’arrive » dit une patiente d’un ton grave, accompagnée de ce qui semble
être sa fillette qu’elle allonge inconfortablement sur deux chaises. Elle semble satisfaite d’être
considérée.
En parlant du cabinet, de son état et des médecins, les patients se confient peu à peu. Une
patiente du Dr Marmotte me dit : « Vous savez, j’ai deux phares dans ma vie, le séminaire de
théologie et le Dr Marmotte. » Le reste pour elle, n’a pas d’importance. Un patient du Dr
Hérisson est plus directif : un « coup de neuf par terre, on se sentirait mieux, pour les enfants, les
personnes âgées quand même ». Il estime que ça ferait venir plus de monde que c’est une
« question d’hygiène », et en même temps dit-il, « une salle d’attente, c’est une salle d’attente »,
ça ne lui importe pas tant que ça, tant qu’il est soigné. Une autre patiente du Dr Hérisson, a une
vision différente : « je suis très ouverte, le local n’a pas d’importance, je pourrais être soignée
dans la rue », puis elle me sourit et ajoute : « pour les choses classiques : angine, grippe… pas
besoin d’avoir fait Saint-Cyr, ou une école supérieure, ils ne sont que médecins généralistes, de
toute manière, hein… » En salle d’attente, j’ai pu rencontrer un patient du Dr Gazelle, il m’a
confié avoir de bonnes relations avec son médecin qu’il voyait depuis plusieurs dizaines
d’années, et avoir beaucoup apprécié que ce dernier soit venu voir sa sœur à l’hôpital. Ce patient
59
n’habite plus dans le quartier mais il m’a dit faire encore l’effort de venir car il se sent proche de
lui, ce d’autant que le Dr Gazelle parle Portugais comme lui, même s’ils n’utilisent pas cette
langue pour la consultation.
Côté patient, ils déclarent unanimement que la porte d’entrée est ouverte par la secrétaire en
personne pour des raisons de sécurité. Certains notent qu’il n’y a pas de caméra de surveillance.
L’organisation choisie pourrait être mal vécue par les patients, un peu sélective. Mais il semble
que les patients se sentent presque protéger et l’apprécient. Aucun ne relève la dimension
d’accueil dans le fait de venir leur ouvrir la porte d’entrée. L’auraient-ils remarqué si ça n’avait
pas été le cas ? Ils souhaitent compter pour leur médecin, espèrent être uniques, être
considérés, et ils ont l’impression de l’être ici. Ils apprécient la sensation d’être pris en compte.
4.2.7 Le choix historique de la localisation géographique du cabinet
Le cabinet se situe dans un quartier populaire, l’immeuble est un HLM, les médecins sont donc
en location depuis 30 ans. Le Dr Marmotte affirme avoir fait « le choix de l’installation dans ce
quartier » et précise que : « Le fait d’exercer dans le même lieu que là où habitent les patients,
quand on travaille dans le social, c’est important. On est le seul cabinet en logement social dans
le quartier. » Il s’est agrandi par la suite en rassemblant deux appartements jumeaux sur le
même étage. Il évoque l’absence d’acquisition immobilière : « J’ai un rapport à l’argent qui n’est
pas celui de capitaliser ou quoique ce soit.» Le Dr Zèbre nous dit que c’était important pour elle
d’être dans ce type de quartier : « (Rire) Oui, c’était important. Parce que le fait d’être installée
dans un quartier populaire, pour moi, ça a du sens et ça a toujours du sens d’ailleurs (…) être avec
les gens du quartier, c’est important ». Pour le Dr Hérisson, c’est grâce à son stage qu’elle a
découvert ce quartier et qu’elle s’est dit que cela lui « convenait bien ». Le Dr Gazelle est plus
attiré par des patients ayant un niveau socio-économique bas : « Je suis beaucoup plus à l’aise
dans ce quartier là avec des petites gens, avec des gens qui sont du côté des victimes, victimes de
la société, victimes du grand capital… Et euh, c’est vraiment avec ces gens-là avec lesquels je suis
à l’aise. » Il s’assimile à sa patientèle : « Donc, voilà, je suis plus à l’aise avec ces gens-là qu’avec
des gens qui ne sont pas du même milieu que moi. »
Ils ont un projet de maison de santé pluridisciplinaire avec l’office HLM à moyen terme dans ce
quartier.
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Les patients rencontrés en salle d’attente n’ont pas spécifiquement relevé la situation du cabinet
même si certains ont reconnus l’intérêt d’avoir un cabinet dans l’immeuble, dans leur quartier.
Quelques patients ont tout de même soulevé le fait que ce n’est pas parce qu’on est dans un
quartier modeste que le cabinet doit être modeste, sans tomber dans l’excès. A priori, aucun
patient n’a fait de remarques sur le choix du lieu du cabinet directement aux médecins.
4.3 Les objets et leurs sens dans chaque espace
4.3.1 La salle d’attente
Le papier peint est de couleur orange clair, avec une frise en hauteur géométrique et des
plinthes en bois, vétustes, au ras du sol. En entrant, on trouve cinq chaises de chaque côté,
adossées à une fine planche en bois, pour ne pas abimer le mur, et deux petits tabourets bleus.
Les chaises sont dures mais solides, stables en plastique, bleues et noires, et sans accoudoirs. A
gauche de l’entrée, se trouve une table basse avec des magazines. Il y a une grande fenêtre en
PVC blanche en face de la porte d’entrée. Il n’y a pas de jeux pour enfants en salle d’attente mais
il y en a dans les bureaux médicaux. Il n’y a pas d’horloge. Une plante verte dans le coin, à côté
de la table basse, semble être là pour égayer la pièce. Il y a des magazines pas de brochures.
L’éclairage faible est apporté par le plafonnier. C’est sûrement une ampoule à économie
d’énergie, ai-je pensé. D’une manière générale, il ne fait pas très chaud dans la salle d’attente si
l’on n’est pas trop nombreux, puis petit à petit, plus il y a de monde plus l’air ne circule plus.
C’est là que ça devient étouffant, surtout avec les différentes stimulations sensorielles olfactives.
J’ai observé très peu de patients avec une poussette en salle d’attente, les habitués viennent en
porte-bébé ou la garent dans un renfoncement du couloir.
La première chose dont je me suis rendue compte, est qu’il s’agit d’un théâtre vivant. Quatre
médecins généralistes reçoivent tous les âges, malades ou non, tous les sexes, toutes les
origines, les travailleurs ou non, la seule chose qui les limite théoriquement c’est leur situation
géographique. Une salle d’attente médicale de médecine générale reflète bien la société du
quartier, je viens seulement de le réaliser.
61
4.3.1.1 La porte d’entrée de la salle d’attente
La porte d’entrée de la salle d’attente du cabinet est fermée la plupart du temps. C’est une porte
pleine, on n’y voit pas à travers. Elle reste ouverte lorsqu’il y fait très chaud, par temps de
canicule. Ce n’est pas habituel. Les médecins du cabinet sont unanimes, il s’agit d’une question
de confidentialité des patients et de secret médical. Il est vrai que lors de notre travail de
recherche, certains jours de grande chaleur, la porte était ouverte et on entendait plus
distinctement les conversations téléphoniques de la secrétaire ou l’accueil des patients. Un jour,
deux patients en salle d’attente se reconnaissent et discutent ouvertement en ma présence de
leurs problèmes de santé : « le sang ça va, le cœur ça va, la prostate ça va, j’ai des problèmes
d’allergies… » Je leur demande s’ils se connaissent bien. Ils sont en fait collègues de bureau. Ils
me confient ne pas du tout être gênés par le fait de se retrouver dans la même salle
d’attente, « au contraire, c’est plus convivial. »
Une autre raison évoquée par le Dr Zèbre, est que la fermeture de la porte de la salle d’attente,
ça permet de « contrôler le va et vient dans le cabinet », car certains patients seraient curieux.
Les patients, eux, sont divisés, certains se sentent exclus par cette porte fermée, certains n’y
voient pas d’inconvénients. Je rencontre même une habituée, qui ferme elle-même la porte de la
Photo 1: La salle d'attente Photo 2: La salle d'attente
62
salle d’attente, en arrivant. Elle me dit : « ça ne me dérange pas, j’ai l’habitude ». A l’inverse, le
Dr Zèbre me dit qu’il y a régulièrement des patients qui l’ouvrent tout seuls.
La fermeture de la porte de la salle d’attente permet de respecter les patients et une certaine
confidentialité. Cela cloisonne aussi les patients à un espace défini qui leur appartient. Dans une
société actuelle qui casse les murs et crée de grands espaces à vivre dans les domiciles et
construit des open spaces dans les bureaux, cela parait contradictoire.
4.3.1.2 Les affiches en salle d’attente
La salle d’attente ne semble pas être un lieu où vont fréquemment les médecins du cabinet sauf
Dr Gazelle qui volontiers entre y dire bonjour. Les affiches strictement médicales sont souvent
reçues par des organismes de prévention, elles sont au nombre de cinq. Sur les 59 patients
observés, un seul a visiblement lu les affiches en ma présence et un autre a affirmé les avoir déjà
lues. A chaque fois qu’ils ont été interrogés, ils ont répondu qu’ils ne pensaient pas en avoir
besoin. Par exemple, une personne m’a répondu : « c’est de la pub, non ? Sauf les feuilles
blanches au-dessus de la table, qui sont toujours là… ». Un autre patient: « je n‘en ai pas besoin,
je ne viens pas assez souvent » me dit-il, alors qu’il vient une fois par mois, pour son
renouvellement de traitement.
Concernant les incivilités, il existe trois affiches scotchées dans la salle d’attente. Elles
concernent des retards, des absences non justifiées, également appelées « lapin » et l’utilisation
du téléphone en salle d’attente. Elles ne semblent pas fréquentes pour les médecins de sexe
masculin, un peu plus pour les médecins de sexe féminin. J’ai pu assister un jour à un patient qui
ne raccrochait pas son téléphone alors que le médecin l’avait appelé et qu’ils se dirigeaient vers
son bureau. Lors de mes journées d’observation, j’ai recensé 15 personnes sur 59 observés qui
ont fait un usage actif de leur téléphone portable, c’est-à-dire qu’ils ne l’ont pas juste consulté
quelques secondes (soit 25% de la patientèle). Ils téléphonent ou font d’autres activités sur
l’écran de leur téléphone. Il s’agit des patients les plus jeunes en règle générale.
Par ailleurs, il y a des affiches réglementaires. Des affiches sur le caractère enseignant de certains
médecins du cabinet, une affiche sur la cotation des actes de médecine générale et une affiche
sur la présence d’Azalée au cabinet (le réseau infirmier d’aide à la prévention, notamment du
diabète). Une feuille blanche sur la porte indique : « SALLE D’ATTENTE » en format A4 à l’encre
63
noire. Enfin, un petit cadre photo, format carte postale, renferme l’image d’une petite tortue
dans l’herbe, on peut y lire: « L’urgent est fait. L’impossible est en cours. Pour les miracles,
prévoir un délai. »
Photo 3: Petit cadre en salle d'attente
J’ai interrogé les médecins sur les affiches de leur salle d’attente. Elles ne sont pas le fruit d’une
réflexion particulière ou organisées ou mises en valeur d’une certaine façon. Elles sont
accrochées au mur, en fonction du besoin ou de l’occasion. Nous pouvons avancer que ce mode
d’information est mis en valeur de manière approximative. Est-ce un mode de communication
désuet ? Faut-il étudier et penser à la façon d’une société de communication l’affichage des
cabinets? La prévention à l’heure actuelle, intéresse-t-elle les patients ?
4.3.1.3 Les magazines de la salle d’attente
Sur la table basse, les magazines semblent être là par hasard mais on remarque qu’il n’y a
presque pas de magazines féminins ou people. Un magazine titre : « la vie méconnue de Jésus ».
En interrogeant le Dr Gazelle, j’apprends qu’il aime faire partager aux patients des magazines
intellectuels. Au cours de mon observation, j’ai dénombré 4 patients ayant feuilleté des
magazines en ma présence sur 59, soit 7% de la patientèle observée. Certains patients sont
venus avec leur propre papier journal (journaux gratuits ou locaux).
Lors de mon travail, j’ai parfois été bousculée dans mes idées reçues. Un jour, un couple âgé
visiblement d’origine asiatique, parlant une langue à consonance asiatique, s’installe en salle
64
d’attente. L’homme se lève et prend un magazine, « VSD» et se met à le lire attentivement. En
effet, dans le cabinet on trouve en ce moment des magazines comme « le pèlerin », « courrier
international » et « science et vie ». Il y a aussi quelques magazines pour enfants. On ne retrouve
pas de dépliants.
4.3.1.4 Autres objets en salle d’attente
Toute la semaine, j’ai retrouvé dans la plante verte le même emballage en carton déchiré d’un
médicament pour un rhume. Les patients du quartier parlant mal français ou certains patients
âgés ont parfois recours à ce type d’astuces pour ne pas oublier le nom d’un médicament face au
médecin en consultation.
4.3.2 La salle de repos
La salle de repos est toujours tout au fond des cabinets. Il y a une table et des chaises, un évier,
de quoi manger avec un micro-ondes, un petit réfrigérateur, et la machine à café. La machine à
café étant très usitée, elle est l’occasion de bavarder fortuitement et brièvement entre
médecins, lorsqu’un patient se fait attendre par exemple ou lorsqu’une consultation a été
fastidieuse.
La salle de repos, c’est aussi l’endroit où sont entreposés des objets dont on n’a plus l’utilité.
Notamment, une ancienne douche est encore visible. Des cartons y sont stockés. C’est juste à
côté des toilettes privées, dédiées au personnel, pour des raisons de praticité (les toilettes dans
l’entrée étant réservées aux patients).
Il y a aussi une plante verte comme dans chaque pièce commune du cabinet. Des dépliants sur
les difficultés d’accès aux soins dépassent de leur panier. Les médecins viennent chercher dans
cette pièce une rupture avec les consultations. Un rythme différent y évolue, plus lent. Par
exemple, j’ai souvent noté que lorsque vous êtes avec les médecins dans leurs bureaux, ils
cherchent à avancer, à voir la personne suivante rapidement… Dès lors qu’ils sont dans la salle
de repos, le temps est comme suspendu. Même s’ils viennent juste prendre un verre d’eau, ils
reprennent les consultations souvent plus tard que ce qu’ils avaient prévu. Un jour, le Dr Zèbre
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me rejoint dans la salle de repos, elle se confie sur la visite qu’elle vient d’effectuer à domicile. Le
patient âgé est mal en point et sa femme est exigeante concernant les soins notamment de
nursing qu’effectuent les infirmières à domicile. Cette femme impressionne le Dr Zèbre, elle se
dit admirative de son courage, de son parcours d’exilée, de sa reconstruction et de son ascension
sociale en France. La salle de repos est l’occasion de partager des émotions.
Ce qui dénote dans cette pièce, ce sont les objets de décoration. Il y en a une petite dizaine dans
moins de 10 m2. Lorsque j’en parle aux médecins, comme de concert, ils répondent : « il faut
voir avec Dr Gazelle, c’est lui qui les reçoit ». En effet, il me raconte qu’il en a plein son bureau et
que comme il y en avait trop, il en a mis dans la salle de repos: « Ce sont des patients qui me les
ont ramenés et je les mets en fait plus pour leur faire plaisir, pour qu’ils les revoient… Moi je
n’attache aucune importance à ce genre de choses, je ne me souviens même plus qui me les a
donnés, ni pourquoi… J’en ai trop, Je suis arrivé à la limite, je les amènerais bien à la maison, mais
ce n’est pas les mêmes goûts que mon épouse (…) A un moment, il n’y a plus de place. Le dernier,
c’est un tigre qui a été fait à la main, par un artisan du Soudan. J’ai un seul patient qui vient du
Soudan. » Devant ce succès chez un médecin peu matérialiste, je l’interroge sur d’autres types
éventuels de cadeaux périssables : « Souvent, c’est ceux que je préfère parce que ce n’est pas
quelque chose qu’on garde, c’est sûrement moins transactionnel… Pour moi, c’est beaucoup plus
facile et d’ailleurs j’apprécie beaucoup plus que la tunisienne m’amène un couscous, qu’on me
ramène des dattes d’Algérie, du vin d’Algérie,… Voilà, j’apprécie beaucoup plus. » Le Dr Gazelle
me dira aussi qu’on ne lui a pas proposé d’argent mais qu’il n’aurait jamais pu l’accepter, au vue
de la précarité de ses patients.
Photo 4: La salle de repos
Photo 5: La salle de repos
66
4.3.3 Le secretariat
C’est une petite pièce où trône un bureau central imposant. Son bureau a été changé pour plus
grand et plus haut. Il est en bois foncé. La secrétaire habituelle, qui est en congé maladie, se
sentait envahie par les patients et trouvait que sur le plan de la confidentialité, ce n’était pas
optimal avec un petit secrétaire. Le Dr Zèbre dit à ce propos : « C’est en changeant le bureau,
qu’on s’est rendu compte que l’ancien était minuscule… » Aujourd’hui, ce bureau parait avoir
toujours été là et crée une distance nécessaire comme protectrice pour celle qui l’utilise. Il
dessine un cercle d’intimité pour celles qui y travaillent au quotidien.
Une plante verte est posée sur la banque et quelques cartes postales exotiques ainsi qu’une
carte de Lyon sont sur les murs. Les affiches sont là depuis longtemps, en tout cas elles n’ont plus
de couleurs éclatantes. On observe, posé sur une étagère, un petit flacon : « Jardin zen, parfum
d’ambiance ». Il est écrit dessus : « actif sur les odeurs nauséabondes. » Le flacon est entamé.
Dans certains cas précaires, des patients ont parfois des problèmes d’hygiène corporelle.
Sur la même étagère, une panière à courrier existe pour chacun des médecins, elles sont pleines.
La secrétaire a des petites pochettes vers elle, qui contiennent des documents à remettre aux
patients. Des documents que les médecins préparent à la demande des patients le plus souvent.
Il arrive finalement, que ces documents ne soient pas réclamés. Dans ce cas, ils sont jetés une
fois de temps en temps pour libérer de l’espace.
Avant d’accéder aux bureaux, il y a un long et étroit couloir. Le long de celui-ci, il y a un miroir
prenant une grande partie de l’espace. Son encadrement est doré. Il y a été installé pour
agrandir la pièce, « donner plus de lumière et de profondeur ».
Photo 6: Le secrétariat
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4.3.4 Les bureaux
Il y a trois bureaux, pour quatre médecins. Les femmes du cabinet partagent comme indiqué
précédemment le même bureau. Un point commun frappant : c’est qu’il n’y a aucun cadre de
photo de famille visible. Une différence : les cabinets hommes ont une séparation physique des
lieux de parole et des examens physiques. On ne retrouve pas de séparation dans le bureau des
femmes.
4.3.4.1 Le bureau du Dr Marmotte
Le Dr Marmotte en parlant de son cabinet me dit : « Il y a beaucoup de désordre, parce qu’il y a
beaucoup de choses dans ma tête On essaye euh quand même de mettre notre touche à nous. Il
faut qu’il y ait à la fois de la rigueur ; tout ce qu’il faut au niveau matériel, mais qu’il y ait aussi un
certain accueil de qualité. » Encore une fois et malgré mon insistance, je n’ai pas recueilli
d’impressions sur l’aspect du cabinet auprès du Dr Marmotte, mais il m’a confié à propos de son
bureau : « Je ne sais pas s’il me ressemble, mais je m’y sens bien. (Rire) Sachant que je pourrais
travailler un peu n’importe où. Le mieux… c’est… je me sens chez moi quand j’arrive ici. Je n’ai pas
le sentiment d’arriver au travail, dans un bureau aseptisé. (Sourire). » Il m’explique qu’ils ne
veulent absolument pas d’une ambiance hospitalière aseptisée, mais que tout n’est pas
forcément que dans le paraitre, mais dans le savoir-être : « On essaye de donner une dimension
personnelle. Apres euh… C’est aussi la façon dont on occupe les lieux. Il n’y a pas simplement
l’environnement, c’est comment on vit dans les lieux. La façon dont on est, humainement
parlant. »
Dans les objets marquants, à part les nombreux papiers, il y a un paravent faisant également
office de meuble de rangement qui sépare la table d’examen et le bureau. Pour rappel, seuls les
deux bureaux masculins ont une séparation examen physique et entretien verbal. Le Dr
Marmotte indique que ce paravent crée « un espace, une répartition de volume », qui permet
notamment de parfaire un interrogatoire lorsque par exemple un patient est plus à l’aise en
dehors d’un face-à-face au bureau. Il y a aussi un rôle de pudeur dévolu au paravent. Le Dr
Marmotte d’ailleurs me confie ne pas être à l’aise pour consulter dans le bureau des femmes
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pour cette raison. Une affiche indique aussi les règles de prescription des génériques juste au-
dessus de son bureau.
Photo 7 : Bureau du Dr Marmotte Photo 8 : Bureau du Dr Marmotte
4.3.4.2 Le bureau du Dr Gazelle
Le Dr Gazelle a un bureau différent. Il a un bureau peu imposant en bois, avec un écran
d’ordinateur sous la table, derrière une plaque de verre, pour ne pas gêner la communication
médecin-patient. Il dit : « … L’informatique, comme je ne l’aime pas... Elle me le revaut bien ». Il
ne semble pas complètement à l’aise avec cette technologie. On trouve quelques livres mais pas
une bibliothèque imposante pour autant.
Il s’est aménagé un espace pour l’examen clinique physique, comme une alcôve, séparant le soin
du corps du reste. Il dit lui-même investir un peu moins le soin par l’examen physique, lorsque
c’est possible. D’ailleurs, de l’extérieur, le matériel médical ne parait pas respecter un ordre
défini.
Les objets dans son bureau sont nombreux : des souvenirs de patients, un casque de vélo, des
affiches humoristiques… Il y a également sur un mur, en hauteur et dos au patient lorsqu’il
s’assied, une affiche discrète d’un monument religieux chrétien. Je ne l’avais pas vue, c’est le Dr
Gazelle qui me l’a indiquée.
69
Il ne souhaite pas personnaliser plus son bureau. Il se sent proche des patients, et l’est
physiquement, comme j’ai pu le voir, embrassant les nourrissons ou ayant des attitudes très
tactiles envers les patients qu’il suit depuis longtemps. Toutefois, il garde une certaine pudeur
concernant sa famille, une distance.
Photo 9: Bureau du Dr Gazelle Photo 10: Bureau du Dr Gazelle
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4.3.4.3 Le bureau du Dr Hérisson et du Dr Zèbre
Ce bureau semble être le plus spacieux, et pourtant il fait la même superficie que celui du Dr
Marmotte. La différence est qu’il ne contient pas de coupure d’espace au centre. Le Dr Hérisson
me parle de son bureau : « Alors, on n’a pas beaucoup personnalisé. Un petit peu notre propre
cabinet à nous avec Dr Zèbre. On avait refait les locaux quand on est arrivé, il y a 11 ans,
euh…enfin, tapisserie et sol. C’est vétuste, c’est sûr. (…) qu’Il y a quand même des endroits qui
deviennent sales et puis difficilement, maintenant…nettoyables parce que, parce que c’est vieux
parce que, voilà … voilà, y a ce côté-là qui est quand même un petit peu gênant. Apres non, euh,
je n’attache pas une importance vraiment, à personnaliser le cabinet, quoi. Non. »
Dr Hérisson et Dr Zèbre ne sont pas dérangées par le fait de changer de cabinet, même si elles
reconnaissent que ce n’est pas évident d’utiliser le bureau d’un autre car il n’a pas le même
matériel, ni forcément les papiers adéquats, ni les mêmes besoins de rangement.
Le Dr Zèbre est la seule à avoir deux dessins de son fils affichés au mur, à la demande de ce
dernier. La famille a-t-elle besoin d’être présente par le biais d’objets, dans le quotidien au
travail ?
On trouve aussi une horloge en face de son bureau, comme souvent les médecins mais la sienne
fait un bruit de trotteuse immanquable lors des silences en consultation. Elles avaient besoin
avec Dr Hérisson d’une trotteuse, pour prendre le pouls. D’une manière plus générale, les
médecins ont peu investi leur lieu de travail avec des objets personnels.
Photo 12: Bureau du Dr Hérisson et du Dr Zèbre Photo 11: Bureau du Dr Hérisson et du Dr Zèbre
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4.4 Le sens des interactions non verbales au cabinet
4.4.1 L’interaction non verbale des médecins
On remarque tout de suite le Dr Marmotte. Il fait de grands pas rapides dans le couloir, il parle
vite, et plus il parle vite, plus il fait de pauses respiratoires en prenant une grande inspiration,
nasale ou buccale bruyante. A mon arrivée, le premier jour, nous discutons du cabinet en
attendant l’arrivée des patients qui sont en retard. Aucun temps n’est perdu, il traite en même
temps que nous nous entretenons, son courrier postal et ses e-mails. Il tape très vite sur le
clavier et semble à l’aise, le poignet souple sur la souris. Lorsque j’assiste enfin à sa consultation,
je note tout de suite qu’il est penché vers la patiente, et plus elle se raconte plus il se recule,
quand enfin c’est à son tour de lui répondre, petit à petit, il se rapproche à nouveau. Le Dr
Marmotte semble être très polyvalent, d’ailleurs il me fera remarquer qu’ « il n’y a pas que les
femmes qui peuvent faire plusieurs choses à la fois ». Il est également très consciencieux et
bienveillant envers sa patientèle. J’ai eu la sensation une seule fois qu’il pouvait avoir une petite
appréhension au sujet de ce travail, en riant il m’a dit « préviens-moi s’il faut que j’appelle mon
avocat ! ». Son entretien lui a semblé fidèle à lui-même, il est le seul à n’avoir strictement rien
modifié.
Dr Zèbre, discrète et sérieuse en consultation, est attentive aux dires des patients. Elle utilise
brièvement son ordinateur. Elle est à l’écoute, sans nécessité de gestes tactiles importants. Elle
marche lentement dans le cabinet. Ma présence est peut-être à l’origine d’une certaine retenue.
Je l’interroge sur ses aller-retours pour aller boire de l’eau en salle de repos alors qu’elle possède
un point d’eau dans son bureau : « Non, en effet, je n’avais pas fait attention... (Rires). Je n’ai pas
envie de boire de l’eau dans mon bureau. » Le fait de se désaltérer est un moment associé à de la
détente, une rupture des consultations. En ce sens, il ne lui semble inconsciemment pas
pertinent de boire de l’eau dans son bureau. Même après que je lui ai fait la remarque, cela lui
semble impensable.
Dr Hérisson est souriante. Elle est détendue et reçoit les patients avec enthousiasme et
dynamisme. Elle parle vite. Elle marche vite. En consultation, elle émet une certaine énergie
communicative avec laquelle les patients semblent repartir du cabinet, même si c’est peut-être
de manière éphémère… Bien que pouvant être contrariée, son visage semble exprimer de
manière permanente une joie et une certaine bienveillance.
72
Je n’ai pas assisté aux consultations du Dr Gazelle, car étant donné qu’il ne pratique pas toujours
des médecines conventionnelles, je n’ai pas souhaité y assister, n’y étant pas formée. Mais j’ai pu
l’observer dans le couloir, une attitude très chaleureuse et simple dans sa relation aux patients,
très tactile aussi. Le tutoiement, les accolades, les embrassades sont des gestes que je n’ai vu
effectués que par lui. Il est d’une grande disponibilité avec sa patientèle, le temps s’arrête avec
chaque patient même ceux qui ne faisaient que passer. Son humilité transparait à travers sa
tenue vestimentaire et son comportement.
Les médecins du cabinet, qu’ils rentrent ou non en salle d’attente, appellent tous les patients de
noms inaudibles pour des raisons de confidentialité. Ils marmonnent ou parlent vite c’est selon,
mais la plupart des patients se reconnaissent. Ils sont également tous raccompagnés à la porte
d’entrée en partant, où le plus souvent, une habituelle poignée de main est échangée. Le Dr
Gazelle est très à l’aise avec la salle d’attente, il y rentre et en sort facilement et cela
quotidiennement. Les autres médecins restent toujours sur le seuil de la porte. Le Dr Zèbre se
tenant la plus éloignée, le Dr Marmotte et le Dr Hérisson un peu moins. Tous entrouvrent la
porte sans frapper.
Les tenues vestimentaires des médecins sont simples et peu d’excentriques. Dr Marmotte est
probablement le plus apprêté. Les femmes ne semblent pas avoir de tabou particulier
concernant l’habillage. Dr Gazelle est probablement le plus décontracté. La notion de confort
vestimentaire semble lui convenir.
4.4.2 Patients dans l’attente
La salle d’attente du cabinet est une pièce quasi carrée. Finalement pas si décorée, quand on s’y
assied. La porte fermée, on sent la hauteur de la pièce devant l’absence de meubles imposants.
Ça donne l’impression d’être dans un cube quand on y est seul. L’observation de l’autre est
forcée dans une telle pièce isolée et en même temps la discrétion est indispensable pour
respecter chacun. La pièce peut être plus ou moins animée, à la manière d’un lieu public destiné
à l’attente. Je ne me suis jamais assise au même endroit pendant ce travail d’observation,
voulant connaitre différents angles de vue. Mais il y a tellement de manières différentes
d’attendre.... Voici quelques-uns des moments recueillis.
73
Le Lundi
La première patiente que j’ai observée, c’est une jeune fille pré-pubère, patiente du Dr Hérisson.
Elle écoute de la musique et explique quelque chose fièrement, à celle qui semble être sa mère :
« elle dit quatre-vingt-quatre fois le mot « smile » dans la chanson », parlant sûrement de
l’interprète. La mère acquiesce d’un signe de tête, décontenancée.
Durant l’après-midi, on se retrouve à six en salle d’attente. La porte est fermée. On étouffe.
L’atmosphère est irrespirable et pourtant nous ne sommes pas au complet dans la pièce.
Impossible de partir, chacun attend son rendez-vous. Chaque fois que la porte de la salle
d’attente s’ouvre, c’est instantanément une joie puis une déception dès que l’on n’est pas l’élu,
qui se lit sur les visages. Très vite, ils reprennent leurs faciès inexpressifs d’attente, subissant la
situation passivement pour la plupart. Une patiente se démarque et dit à sa fille : « ils auraient
pu mettre un ventilateur, la secrétaire en a un ». Personne ne réagit ni ne bouge.
Le mardi
Une patiente d’âge mûr entre dans le cabinet. Je l’aperçois de la salle d’attente mais elle va
directement aux toilettes. Puis, elle vient s’asseoir mais, se relève aussitôt pour aller se laver les
mains. Elle n’aura pas dit « bonjour » en arrivant. Elle se rassied, souffle bruyamment avec ses
joues, croise et décroise les jambes. Elle feuillette un magazine tv à présent, qu’elle a sorti de son
sac à main qu’elle garde sur ses genoux. Elle est assise près de la porte d’entrée de la salle
d’attente, se tient droite. Dix minutes plus tard, elle croise et décroise les jambes à nouveau,
range le magazine dans son sac, puis cherche un magazine sur la table basse mais n’en prend
aucun, se rassoit, les bras croisés sur le sac à main, souffle. Soudain, je me sens anxieuse, je me
surprends à souffler d’impatience pourtant, je n’ai pas rendez-vous. Vingt-cinq minutes après
son arrivée, elle téléphone dans la salle d’attente et parle fort, juste à côté de l’affiche lui
signalant de ne pas le faire. Enfin, Dr Hérisson sort de son bureau, la patiente en salle d’attente
se lève déjà. Le patient précédant est encore en train d’être raccompagné, elle sourit, délivrée de
son attente.
Il y a un patient joyeux, la cinquantaine, qui s’installe en choisissant son siège selon le même
code qui semble habituel des patients. Il feuillette des magazines féminins et des magazines pour
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enfants, plein d’entrain. C’est un patient du Dr Hérisson. Il me précisera à propos des magazines,
chercher du divertissement devant ce monde trop triste.
Le mercredi
Une patiente vient s’installer à côté de moi. Elle ne me parle pas, mais parait soucieuse. Elle se
met à feuilleter un magazine rapidement et le repose. Elle cherche à voir ce qu’il y a dans mon
carnet, ce que j’écris. Je m’arrête et referme le cahier. Une odeur de café se dégage de la
patiente, je m’aperçois qu’elle a des taches marrons sur le bas de son pantalon rose défraichi. En
fait, non, il n’y a pas que l’odeur du café, ça y est j’ai compris, ça sent l’urine. Dr Marmotte arrive.
Les patients du Dr Zèbre sont souvent discrets, j’en repère un, au fond de la salle d’attente assis
la tête contre la fenêtre, le visage dans sa main, silencieux, les jambes croisées haut,
recroquevillé. Chaque stigmate du temps sur son visage semble refléter un évènement difficile
de sa vie. Ils sont nombreux dans ce cas. Chaque médecin à une certaine patientèle, j’apprends
au fur et à mesure à les repérer lorsqu’ils entrent, comme un jeu.
Les patients du Dr Marmotte se mettent eux, le plus souvent devant la porte. Un manège parait
se jouer en entrant dans la salle d’attente. Ainsi, il semble que les patients choisissent leur siège
la plupart du temps, selon un certain code. Ils se mettent volontiers vers la porte quand ils sont
pressés, et surtout volontiers du côté du bureau du médecin qu’ils vont consulter, pourtant il n’y
a qu’une seule porte de sortie pour la salle d’attente. Une autre règle du code semble être qu’on
s’assied toujours en alternant un face à face, puis avec au moins une place d’écart puis de l’autre
côté… Ainsi de suite, jusqu’à remplir, une à une, toutes les chaises. Je n’ai pas noté de placement
par sexe.
Le jeudi
Un couple avec un enfant s’installe en salle d’attente. Ils se parlent et sont nerveux. Le père
transpire. Il s’absente dix minutes et revient avec des vaccins. Concentrés, ils relisent ensemble
l’ordonnance des vaccins. Qu’y a-t-il d’intéressant sur ce papier, une fois les vaccins achetés?
Certains patients, tous des hommes lors de mon travail, jouent avec leurs analyses biologiques
en salle d’attente. Ils les sortent et les remettent dans l’enveloppe à plusieurs reprises,
75
nerveusement. Je ne peux pas les lire de là où je me situe. Leur attente dans la salle parait plus
anxiogène que celle d’autres patients. Ils sont presque prêts à bondir à chaque ouverture de la
porte de la salle d’attente.
Des femmes, sûrement organisées, regardent leurs ordonnances en salle d’attente. Elles
vérifient dans leurs portefeuilles qu’elles ont ce qu’il faut pour la consultation : carte vitale, carte
de mutuelle que les médecins généralistes n’utilisent généralement pas, carte bleue… Il y a aussi
la liste, celle qui recense plusieurs doléances ou symptômes dont il faut faire part au médecin,
notés sur un post-it ou un bout de papier déchiré au crayon de papier, certaines la relisent.
Les patients ne se parlent pas entre eux, ils se regardent même très peu malgré la promiscuité. Il
est arrivé que la présence d’un nourrisson en salle d’attente, force le sourire et engage quelques
échanges de paroles sur le bébé entre patients ne se connaissant pas. Mais, dans la majorité des
cas, lors de ma semaine d’observation, la salle d’attente fut silencieuse. Dans ce cabinet, on
entend les voitures passer sur le boulevard, les enfants qui s’amusent au loin dans leur parc ou
encore les jours de marché, l’animation du quartier, ou les oiseaux. La secrétaire n’est pas
présente toute la journée. Le bruit du téléphone et son travail d’accueil ne sont donc pas des
fonds sonores permanents.
Le vendredi
Les patients sont habillés de la même manière que lorsqu’ils sortent dans le quartier, il y a des
tenues modernes, d’autres plus démodées. Il y a des tenues apprêtées et des tenues plus
débraillées. Il y a des tenues qui sont dictées par leurs religions ou d’autres par leurs cultures. On
y croise de tout.
Ce patient-là, un homme d’une trentaine d’années, il est étonnant. C’est le seul à être entré, et à
avoir lu toutes les affiches de la salle d’attente d’une traite. Ce sera le seul de mon travail
d’observation. C’est un patient du Dr Marmotte.
Il y a des scènes plus classiques, celle de la mère et de la fille qui vient d’avoir un bébé. La fille est
très « Babycook »1, mais la mère est très « cocotte-minute ». La fille donne le lait à température
ambiante, mais la mère est très chauffe-biberon. La fille ne voit que des avantages à la crèche
1 Le Babycook est un robot ménager emblématique d’une marque connue pour préparer les repas des
nourrissons : cuiseur, vapeur et mixeur.
76
mais la mère trouve qu’on y attrape des maladies. Et le petit loup, toujours dans le porte-bébé,
42 minutes après, gigote à souhait dans ce sac, histoire de faire savoir qu’il souhaite voir autre
chose que le mur de la salle d’attente! Elles attendent probablement l’expertise du Dr Zèbre.
La femme d’origine africaine, en boubou chatoyant, claque sa langue plusieurs fois dans son
bouche en attendant son rendez-vous. Ça résonne. Elle est impressionnante, elle a un port de
tête altier. Tout le monde l’observe discrètement. C’est une patiente du Dr Hérisson.
Le beau jeune homme se touche tout le temps la gorge en salle d’attente, avec une expression
de douleur. Une rougeur apparait. Il attend en balançant la jambe croisée avec un va et vient
rapide. C’est un patient du Dr Gazelle. Il l’a vu grandir.
77
5 DISCUSSION
Nous allons mettre en avant les forces et limites du travail puis nous détaillerons les pistes de
réflexion relevées dans ce travail et nous les confronterons à la littérature.
5.1 Forces et limites de l‘étude
5.1.1 Les forces de l’étude
La principale force de ce travail est l’originalité. Cette méthodologie est peu employée en
médecine générale. Les études effectuées sur les interactions et l’environnement du cabinet
libéral sont rares. Ce travail permet de compléter les études nombreuses sur la relation médecin-
malade mais à travers un autre angle, celui de l’ethnographie et en ouvrant le champ des sujets à
étudier plus en profondeur dans ce domaine cloisonné.
La relation médecin-malade est fondamentale dans la recherche d’une meilleure qualité de
soins. L’enjeu est important devant une société de plus en plus consommatrice dans le domaine
médical. Les études effectuées qualitatives ou quantitatives permettent d’avancer dans
l’optimisation de la relation, souhaitée par les deux acteurs de l’interaction.
Notre travail qualitatif permet d’apporter de nouvelles hypothèses ou pistes de réflexion.
L’analyse en profondeur de plusieurs aspects d’une problématique produit de nouvelles
connaissances. Ces connaissances permettent de nous remettre en question et mettent en
perspective des aspects différents d’une problématique. Ceci afin d’être dans un constant souci
d’amélioration de la qualité des soins.
Enfin, l’intérêt de ce travail réside également dans le fait qu’il permet d’étudier avec le même
chercheur, le médecin et ses malades et ceci dans une unité de temps et de lieu. La triangulation
des résultats a été effectuée avec les deux directeurs de thèse d’une part, apportant chacun son
regard spécifique et expérimenté de médecin généraliste et d’anthropologue. D’autre part, le
rétrocontrôle (« member checking ») des verbatims et des résultats, des médecins participants à
l’étude, a permis une validation des données.
78
5.1.2 Les limites de l’étude
5.1.2.1 Les limites personnelles du chercheur
En tant que jeune médecin, j’ai un regard qui diffère forcément de celui d’un anthropologue de
formation. Je suis inexpérimentée dans le travail ethnographique.
Etre le seul observateur dans un travail comme l’ethnographie, implique que ma seule vision
pondérée par mes directeurs de thèse, est mise en avant. Je suis le témoin principal mais surtout
unique, de mon travail. Les données recueillies à partir des entretiens sont retranscrites, puis
analysées. La méthode de thématisation utilisée pour cette étude qualitative dépend en partie
du regard interprétatif des chercheurs d’où un biais d’interprétation.
Il existe un biais de parti pris : connaître le milieu d’étude favorise la rapidité de travail mais cela
peut aussi être un biais par manque de curiosité ou présence de préjugés. Mais les patients ne
m’ont jamais reconnue ni inversement. Il faut dire que j’ai très peu remplacé dans ce cabinet. Et
les médecins, bien que m’ayant déjà rencontrée n’ont pas été familiers. Je pourrais même dire
que j’ai redécouvert le cabinet à travers ce travail.
Mon appartenance au milieu médical depuis plusieurs années a pu limiter certaines observations
qui auraient pu questionner un non-initié.
Le travail engagé demande beaucoup de disponibilité. Les données relevées sont considérables.
Pour finir, il existe deux rôles dans ce travail sur le terrain, celui de médecin et de patient. En
salle d’attente, je suis un patient lambda qui attend un rendez-vous. Avec le médecin, en
consultation, je m’identifie à un étudiant en médecine. Il n’y a qu’avec les membres du cabinet
que je suis à découvert. L’observation directe est peut-être moins participante lorsque je discute
avec les médecins ou la secrétaire car je suis à découvert. En pratique, cela n’a posé aucun
problème.
79
5.1.2.2 Les limites de l’échantillon
Il ne s’agit que d’un seul cabinet, en milieu urbain, non représentatif statistiquement. Il s’agit
d’un biais dit de sélection. Toutefois, nous ne cherchons pas à être significatif mais à
comprendre. Le cabinet a été choisi avec soin et selon des critères d’exhaustivité. Les données
d’observation ont permis d’arriver à saturation.
Les entretiens à la volée ont pu surprendre les patients en salle d’attente devant la présentation
inhabituelle. En pratique, je n’ai pas ressenti de réticence franche. Ce biais de modification du
comportement habituel du fait de la présence de l’étudiant ou de l’observateur est possible y
compris en consultation pour les deux acteurs. La représentativité des scènes observées en salle
d’attente par contre ne peut être mise en cause, car le travail a été fait incognito.
80
5.2 Le sens de l’accueil et d’hospitalité dans le cabinet
5.2.1 La notion de valeur
La première idée qui se dégage de ce travail est la nécessité de valeurs partagées entre les
médecins pour le type de relation médecin-malade choisi. Ces valeurs trouvent dans ce cas, leurs
origines dans une religion commune. Cependant, les codes dans la culture française sont souvent
inspirés des valeurs judéo-chrétiennes historiquement prépondérantes en France. Dans ce
cabinet, les médecins ont choisi l’accueil, l’hospitalité, l’égalité de l’accès au soin et la tolérance.
L’existence d’une vision commune semble être un socle fondamental dans leur pratique
professionnelle, comme Dr Marmotte le précise, ils ont : « la même approche globale de la
personne (…), les mêmes valeurs. » C’est un message qui est véhiculé aux patients de manière
plus ou moins consciente, par l’intermédiaire du type d’interaction choisie. On ne peut
s’empêcher de faire un parallèle avec l’entreprise : « l’âme de l’entreprise », « la culture de
l’entreprise » ou « l’identité de l’entreprise », autant de synonymes qui semblent transposables
au cabinet médical.
Selon les patients, les besoins de considération et d’écoute sont assurés au cabinet. Dans un
travail qualitatif français effectué en 2002, sur les critères de qualité de la relation médecin-
malade (39), il est mis en exergue le fait d’avoir des valeurs communes entre médecin et patient,
et des divergences qui sont inévitables. L’étude concluait qu’il y avait probablement plusieurs
modèles de relation médecin-malade à explorer. Cela montre que dans notre cas, les valeurs
sont partagées par les médecins entre eux et probablement par les patients. Les divergences
pourraient être associées aux différentes façons de travailler pour chaque médecin. Chaque
patient s’y retrouve.
Concernant les valeurs en elles-mêmes, elles sont étudiées par certains chercheurs dans les
professions de type travailleurs sociaux. Notamment D. Puaud (40) évoque à leurs propos, « un
art de l’ordinaire composé de microtraces d’hospitalité ». Il met en avant l’importance du
comportement verbal et non verbal dans l’attitude de reconnaissance de l’autre, en refusant
d’opposer l’émotion et le professionnalisme. Il développe par ailleurs, l’idée d’empathie
méthodologique pour réussir son travail d’observation ethnographique. Les médecins utilisent
l’empathie, faut-il qu’ils développent leur hospitalité pour optimiser la relation médecin-malade
?
81
Pour finir, ces valeurs communes font partie de critères de réussite et d’entente lors de la
création d’un cabinet médical selon les dires des médecins observés. Il se trouve que dans une
étude réalisée en 2012, sur les caractéristiques des associations rompues en médecine générale
(41), les médecins ne partageaient pas les mêmes attentes que leurs associés et les causes
évoquées de rupture étaient des styles opposés de travail, de gestion, et des difficultés de
communication. Ce travail appuie l’idée fondatrice que pour réussir une association de médecin,
il faut avoir un minimum de points communs dont une vision globale partagée de l’exercice de la
médecine. Dans le cas contraire, l’échec de l’association est aussi en étroit lien avec des burn-out
de médecins. Dans le cadre de l’entreprise qui réussit et de salariés épanouis, il y a un exemple
étudié au Canada, il y a dix ans (42), qui s’intéresse à la nécessité de construire une identité
sociale professionnelle cohérente et à la volonté de l’entreprise de réaffirmer l’importance de sa
culture face aux mutations de l’environnement socioéconomique. Là encore, des valeurs
fondamentales communes balisent la réussite des entreprises, pourquoi pas celle des cabinets
libéraux de médecine générale.
5.2.2 L’investissement du lieu
Le choix de travailler dans ce type de quartier est cohérent avec les valeurs revendiquées. A
l’image de ces valeurs partagées, l’environnement du cabinet est un outil pour appliquer le soin
de la personne. A la manière d’un lieu de culte, ils accueillent et soignent sans regarder de qui il
s’agit. Cela correspond à ce choix de travailler au cœur d’un immeuble HLM. Ainsi Dr Zèbre nous
dit que c’était important pour elle d’être dans ce quartier : « (…) le fait d’être installée dans un
quartier populaire, pour moi, ça a du sens et ça a toujours du sens d’ailleurs (…) être avec les gens
du quartier, c’est important ».
Toutefois, ce choix n’est pas mis en valeur par les patients verbalement. Ils ne leurs ont jamais
fait de commentaire à ce sujet. La patientèle n’imagine pas que les médecins ont choisi de venir
travailler ici par opposition à d’autres. Les patients ne se questionnent pas sur la présence de ces
médecins. Ces derniers se sont construits un décor dans ce quartier, et jouent un rôle choisi pour
une interaction privilégiée avec les patients, dans un investissement social important (14).
Les locaux sont au premier coup d’œil, un peu défraîchis. Pourtant, le désinvestissement au
niveau de la personnalisation des locaux est voulu par les médecins. Ils ne soulèvent que très peu
82
la question. Ce sont d’ailleurs plutôt les femmes, qui sont plus jeunes qui en parlent. Les
médecins soulignent leur caractère désintéressé du matériel, en insistant sur l’humain et la
chaleur qu’ils essayent de mettre dans l’occupation de l’espace que représente le cabinet. Par
ailleurs, beaucoup de patients disent ne pas être gênés par l’aspect de l’environnement, même
s’ils préfèreraient que ce soit autrement. Dr Marmotte indique : « (…) c’est aussi la façon dont
on occupe les lieux. Il n’y a pas simplement l’environnement, c’est comment on vit dans les
lieux. La façon dont on est, humainement parlant. » Concernant les locaux, une thèse effectuée
par F. Chauveau (43) met en évidence qu’il existe deux grand profils de médecins, un plus
scientifique et neutre, l’autre plus humaniste et personnalisé. Dans le cabinet de notre étude,
nous retrouvons des médecins plutôt neutres mais souhaitant une atmosphère chaleureuse et
humaniste. Il s’agit d’un profil qui mixe les deux précédents décrits par F. Chauveau.
De la même façon que A. Sarradon-Eck dans ces travaux, nous décryptons les profils des
médecins à travers leur environnement et les objets qui les entourent, en suivant une approche
dramaturgique telle que celle de E.Goffman. En psychologie des espaces de travail, il est dit que
« l’appropriation » se fait « à partir d’une occupation ou d’une utilisation particulière de l’espace,
une affirmation de soi sur les lieux. (…)L’organisation spatiale(…) constitue un message social sur
le groupe ou la société qui l’occupe, sa manière de vivre et ses valeurs » (44).
Certains patients évoquent une problématique pertinente : faut-il un cabinet modeste pour
soigner des gens modestes ? Eux, ne le souhaitent pas. Je n’ai pas retrouvé de littérature qui
aborde ce thème. Mais nous savons que chaque médecin, en fonction de son profil, investit son
cabinet d’une manière différente et pour cela, l’environnement extérieur ne parait pas être un
critère principal.
5.2.3 L’identité professionnelle
Les caractéristiques propres à chaque médecin ne sont pas effacées par le groupe. La patientèle
reste à l’image de chaque médecin. La notion d’identité professionnelle reste possible en
exercice de groupe y compris pour les subtilités de chaque médecin concernant la relation
médecin-malade.
Toutefois, pour chaque identité professionnelle, certains éléments sont plus ou moins mis en
avant en fonction de l’environnement, et ce pour le même ou pour différents patients. A.
83
Maalouf (45) nous dit, de cette manière : « L’identité ne se compartimente pas, elle ne se
répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en
ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui
n’est jamais le même d’une personne à l’autre. » L’idée de l’interaction symbolique et de la
relation unique à chaque reprise, se met en place.
Ainsi, Dr Marmotte, humain et à l’écoute, comme ses confrères, déclare n’être « jamais venu en
trainant des pieds » au cabinet. Il évoque une part spirituelle dans son travail qui n’est pas
évoquée par les médecins femmes. C’est un médecin généraliste qui se veut médecin de famille,
plutôt scientifique, dynamique et exigeant. Il ne souhaite pas de familiarités avec les patients. Dr
Gazelle, calme, avenant, s’intéresse comme le Dr Marmotte, aux patients et au monde dans
lequel ils vivent. Il tolère une familiarité plus importante, mais lui aussi reste discret quant à ses
éléments de vie privée. Il s’agit d’un médecin qu’on perçoit comme le plus chaleureux d’emblée,
car son accès parait simple. Dr Zèbre, dont la voix douce est rassurante, sourit facilement mais
admet également être « assez directe ». Par ailleurs, elle a des bribes de discours sécuritaire que
n’ont pas les médecins hommes. Dr Hérisson apprécie lorsque la relation médecin-malade a une
« dimension socio-médicale ». Elle aussi évoque la sécurité comme le Dr Zèbre. C’est un médecin
dynamique et enthousiaste.
Les sentiments, les représentations, les expériences et projets personnels construisent l’identité
professionnelle. C’est essentiel pour un épanouissement du professionnel. L’identité a été
étudiée par E. Marc (46), il développe les critères qui permettent la distinction de personnalité
entre un individu et un groupe. Il est possible qu’une application de ce travail dans le domaine
du cabinet permette aux médecins de contribuer à créer des critères de réussite d’une
association. Nous pourrions imaginer que certaines valeurs sont à envisager en cohésion et
d’autres sont à développer individuellement.
5.2.4 Les représentations des acteurs en fonction de codes
On perçoit à travers le discours des médecins, l’importance de la secrétaire comme un porte-
drapeau des valeurs défendues par le cabinet, « c’est un élément essentiel ». Notamment, lors
de l’ouverture de la porte d’entrée systématiquement en personne par la secrétaire. Mais cette
dernière n’a pas conscience de cette responsabilité d’accueil, les patients non plus. Ils n’ont pas
84
les mêmes représentations et ne font donc pas les mêmes interprétations d’une situation
identique. A première vue, le système d’ouverture de porte pourrait être contesté et nous
pourrions évoquer une forme de protectionnisme, un système excluant une partie du quartier,
une sélection de population. L’image renvoie symboliquement à celle d’un cadre de soin, imposé
en psychiatrie dès lors qu’on est hospitalisé, dans l’intérêt du patient. Mais les patients n’ont
absolument pas ce vécu-là. Ils invoquent des raisons de sécurité pour cette porte d’entrée,
comme un principe de précaution inaliénable. Il semble même qu’ils se sentent protégées par ce
système et ravis d’être accueillis en ce lieu et considérés comme des hôtes à protéger. La
secrétaire exprime peu son désaccord en regard de la contrainte générée par l’ouverture de la
porte d’entrée systématique.
L’importance de l’accueil est à pondérer par une étude qualitative effectuée en 2000 (47). Elle
apporte un autre regard sur le rôle de l’attente. Elle cherchait à faire ressortir les éléments
paraissant les plus importants aux yeux des patients dans la rencontre avec leur médecin. Les
résultats traduisaient le rôle primordial de la communication, des émotions, et de la relation
individuelle. Le temps passé en salle d’attente, l’accueil par la secrétaire et l’examen clinique ou
les gestes techniques étaient cités, mais n’étaient pas au premier plan. Enfin, une enquête par
questionnaire menée en 2002 par l’Union professionnelle des médecins libéraux de la Région
Rhône-Alpes, au sujet de la qualité d’accueil des patients en médecine générale, concluait au
sujet du rôle de la salle d’attente : « La majorité des patients n’attache pas une très grande
importance au décor », préférant privilégier, dans leur jugement, les qualités de leur médecin
(48).
Les médecins soulignent l’atout fondamental que représente la présence d’une secrétaire. Elle
joue un rôle central dans l’accueil des patients, elle humanise la relation, elle rassure et oriente.
L’accueil est un pré-requis pour favoriser une relation de soins constructive et durable dans le
temps. La présence d’un secrétariat joue un rôle dans l’humanisation des lieux et l’accueil des
consultants, mais elle permet également au médecin de travailler de façon plus fluide et efficace
en le libérant de diverses tâches dites non médicales. Le soin débute avec l’accueil de la
secrétaire. Cependant, nous pouvons noter que le secrétariat à distance en médecine générale
existe.
Devant ces divergences, nous estimons qu’il faut reconnaitre des différences d’interprétations
entre les acteurs. Les représentations de chacun, basées entre autres sur leur bagage culturel,
85
leur rôle et leurs expériences, divergent. Pour une même situation, nous n’arrivons pas au même
sens donné.
5.3 Les objets et leurs sens dans chaque espace
Discrets ou non, les objets nous accompagnent au quotidien nous raconte J.P. Filiod (49). Ils
reflètent nos goûts, nos craintes... Ils sont des témoins symboliques, qu’il s’agit de comprendre.
Il y a les objets qu’on porte, qui sont un prolongement du corps et les objets de décoration ou les
objets fonctionnels, qui occupent l’espace. La vision globale des médecins transparait dans les
détails des objets de la salle d’attente ou de leurs bureaux. Là-aussi, des difficultés de perception
de sens d’un même objet par les acteurs peuvent être mises en évidence. Ainsi E.T. Hall (50)
nous rappelle les dires des spécialistes de la psychologie transactionnelle : « l’erreur consiste à
croire que l’Homme et son environnement sont des entités distinctes et qu’ils ne font pas partie
intégrante d’un système d’interaction unique. »
5.3.1 La salle d’attente
5.3.1.1 Un espace neutre
C’est une pièce qui n’appartient pas à un médecin unique mais qui fait partie du cabinet de
groupe. C’est un lieu partagé. Il est dans notre étude peu personnalisé et peu investi, par choix,
principalement pour des raisons de simplicité et d’accueil mis en exergue d’une autre façon.
Certains médecins ont quand même noté la détérioration rapide des locaux devant la
fréquentation. En 2009, H. Idris parlait dans sa thèse (51), d’ « empreinte » donnée par les
professionnels aux lieux dans lesquels ils exercent. Nos résultats rejoignent cette idée. Au-delà
de l’aspect purement matériel ou pratique, l’aménagement personnalisé des lieux, même s’il est
peu important, reflète la satisfaction du médecin à exercer son métier. Dans son étude, les
médecins envisagent le cabinet comme un espace à exploiter pour promouvoir la santé et la
qualité des soins.
86
En 1967, J. Berger et J. Mohr dans « un métier idéal » (52) décrivent le cabinet d’un médecin
généraliste de campagne en Angleterre : « Les cabinets n’ont pas un air clinique. Ils ressemblent
à des pièces confortables, des pièces où l’on vit, mais ils sont plus ordonnés que la plupart des
salles de séjour et en dépit de leur exiguïté, ils offrent davantage d’espace. » Les médecins de
l’étude ne vont que très peu dans la salle d’attente, voire quasiment pas si ce n’est Dr Gazelle. A.
Sarradon-Eck dans son travail sur les médecins de campagne (14), décrit une pièce envisagée
comme un sas relativement impersonnel, un passage à sens unique, avant le bureau médical et
la consultation. La salle d’attente est standardisée, reproductible dans plusieurs cabinets. Ce
n’est pas la même vision que dans les années soixante. Les canapés sont devenus des chaises
pratiques à nettoyer. Les tapis sont devenus des linos lavables. Les cabinets ne sont plus dans les
domiciles de médecins. Il existe probablement des raisons sanitaires imposées par la société
comme un progrès, qui participent aux choix d’ameublement de la salle d’attente.
Une étude a été faite sur les groupes de réflexion Balint en salle d’attente et sur l’espace de
transition que représente cette pièce (53). Elle explique un des enjeux nécessaires dans la
relation médecin-patient, celui de se mettre à la place des malades, y compris
géographiquement: « La salle d’attente peut être momentanément ce lieu de repos, ce refuge
où se jouent certains phénomènes dans un espace-temps transitionnel de la relation médecin-
malade ». Elle devient alors lieu d’échanges. Il est envisageable que certains patients s’en
trouvent mieux considérés ou rassurés, dans le cas où la salle d’attente serait enjolivée, rendue
plus confortable, ou sophistiquée.
Dans cette étude, la porte de la salle d’attente est souvent fermée. La première raison invoquée
par les médecins est la confidentialité. Ils indiquent aussi, que cela permet d’éviter des
indiscrétions et permet des discussions entre médecins si nécessaire entre les consultations. Les
patients comprennent que les médecins aient besoin de fermer la porte de la salle d’attente,
pourtant ils ne se sentent pas très à l’aise et préfèreraient qu’elle soit ouverte. Les patients ne
reconnaissent pas la confidentialité comme une priorité dans leurs propos. Ces espaces
cloisonnés, limités, qui excluent l’insécurité, s’opposent à des lieux ouverts à tous à l’hôpital
comme dans les bureaux, type open space, limitant la protection de l’individualité au profit du
groupe. Nous pouvons penser aussi que le secrétariat, qui est en bureau ouvert, reste le maître
du jeu dans la fermeture comme l’ouverture du cabinet et de sa salle d’attente. Il pourrait s’agir
d’une sorte de clé symbolique prédéfinie par les valeurs affichées du cabinet. Cependant, il est à
noter qu’il existe des open spaces avec un secrétariat vitré fermé ou éloigné.
87
5.3.1.2 L’exploitation de l’espace
L’affichage et les magazines se rapportent à l’idée de décor dans le cadre d’une scène où va se
jouer une interaction. L’attente a une dimension symbolique émotionnelle. Un accueil
personnalisé dans le cabinet étudié fait partie de la considération et de la réassurance que
ressentent les patients. Toutefois, ils expriment des attentes de distraction et de détente en salle
d’attente alors que les médecins considèrent l’attente comme un moment dédié à l’information,
à la prévention, à l’éducation ou à la culture. Selon A. Guyot (54), « la salle d’attente apparaît
comme une opportunité parmi d’autres pour diffuser des messages, à condition qu’ils soient
sélectionnés, renouvelés, et investis par le médecin, qui peut les renforcer par des explications
fournies au cours du colloque singulier ». Il faut croire que les médecins n’ont jamais « attendu
malade, sans savoir ce qu’évoquent leurs symptômes ». L’opportunisme des professions de
santé est peut être mal placé, pourtant la majorité des études récentes sur la salle d’attente sont
consacrées à la prévention et à l’éducation par l’affichage et les prospectus.
Dans le cabinet étudié, l’affichage n’est pas soumis à un protocole ou un ordre du jour lors de
réunions. L’affichage se fait de manière aléatoire, lorsqu’une affiche est reçue d’un organisme de
prévention, et qu’elle parait pertinente pour le médecin, expert de sa patientèle. Dans mon
travail, l’affichage n’a pas été lu par les patients (à l’exception d’un patient) pour diverses
raisons. On peut émettre l’hypothèse que le patient arrive avec une symbolique anxieuse de
l’attente et de la consultation. Dans ce cas, il ne se projette pas dans la lecture intellectuelle de
ce type de documents. Dans les travaux de thèse d’A. Guyot (54), « Les patients témoignent eux
aussi de la symbolique de l’attente, qui est particulière dans le cadre de la médecine. Ils sont
pourtant confrontés à l’attente dans leur vie de tous les jours. Mais ce qui se joue là est d’un
autre ordre, puisque cela concerne leur santé. Ils l’affirment : « en cas de pathologie chronique
ou sévère, l’attente chez le médecin peut être chargée d’angoisse ». La salle d’attente est-elle
toujours la bonne pièce pour faire de la prévention ou de l’éducation ?
Nous pouvons aussi citer l’art de mettre en valeur des informations dont usent les publicitaires,
spécialistes de la communication et dont les médecins ne maitrisent pas l’application.
Dans la thèse d’H. Idriss (51), rappelons que le travail sur la salle d’attente a révélé que les
patients déclaraient utiles les affiches et brochures en grande majorité, mais il n’y avait que 17%
des patients qui énonçaient avoir été sensible à la diffusion d’une affiche. Finalement, les
médecins gagnent-t-ils à nous faire attendre de façon intellectuelle ? L’une des pistes de
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réflexion est d’adapter les supports d’information pour qu’ils soient plus discrets ou/et qu’ils
favorisent une recherche active de la part des patients (classeur, audiovisuel…).Doit-on repenser
les usages de la salle d’attente et introduire des sources de divertissement ou de détente,
passives ou actives pour amoindrir cette anxiété. Rappelons que de rares cabinets font le choix
de la musique, du café ou de bibliothèque tournante etc avec succès(43).
5.3.2 La salle de repos, un sas de décompression
La salle de repos est un sas de décompression indispensable. Elle est pour cela souvent
positionnée en fond de couloir dans les cabinets médicaux. C’est une pièce négligée sur le plan
de la décoration mais elle est vivante par les anecdotes qui y sont racontées, par la détente
qu’elle procure, les repas partagés… Elle permet d ‘effectuer des pauses informelles improvisées.
Elle est l’occasion d’échanger des informations et de décharger des difficultés émotionnelles.
C’est une coulisse de la pièce de théâtre qui se joue entre un médecin et ses patients. E.Goffman
qualifie ce lieu de « région postérieure » (21). Il n’est ni professionnel ni privé.
Les médecins sont liés à leurs patients par un contrat tacite. Nous observons que les cadeaux
offerts par les patients, le sont plus à certains médecins qu’à d’autres : « il faut voir avec Dr
Gazelle, c’est lui qui les reçoit ». Pour autant, le médecin qui les reçoit n’investit pas l’objet
concret. Il est même mal à l’aise et préfère des objets éphémères en citant la nourriture.
S.Tisseron développe les idées de Winnicott en 2001, dans un article (55), en expliquant que
l’objet transitionnel existe aussi à travers les souvenirs rapportés par les patients ce qui constitue
pour la plupart des objets concrets rapportés décoratifs. Son travail se rapporte aux thérapeutes.
Ces objets nécessitent une attention quant à leur signification symbolique pour chacun.
Notamment, lorsque la patientèle est originaire de différentes cultures.
Dans cette hypothèse, en sociologie, P.Fustier dans un article de 2008 (56), plus spécifiquement
dans le travail social, explique qu’une première manière de « venir en aide » consiste à fournir
des objets réels ou symboliques à une personne. L’interprétation faite par cette personne de
l’objet, relève du don. Ce dernier implique automatiquement un contre don avec la notion de
dette, liant les deux acteurs de manière inégale. Une hypothèse pourrait être que si nous
transposons à la relation médecin-malade, le soin perçu par certains patients comme un don,
89
leur impose d’offrir un cadeau à leur médecin. Le médecin équilibre les liens contractuels en
préférant les cadeaux périssables montrant ainsi que la dette est soldée.
5.3.3 Le secrétariat, une barrière séparant l’extérieur de l’intérieur du cabinet
Le secrétariat est un lieu particulier. Il est le lien entre les médecins et les patients hors
consultation. C’est le passage obligé par téléphone ou en personne si l’on vient en consultation.
Le meuble qui sert de bureau, représente une frontière. La position précaire de la secrétaire
entre accueil et confidentialité, entre hospitalité et intimité, n’est pas évidente à trouver. Elle
porte l’image du cabinet. Elle prolonge le lien de la relation médecin-malade avant et après la
consultation médicale. Il semble que les secrétaires ne soient pas prêtes à affronter ces
situations, sont-elles formées au-delà du rôle dans le secret professionnel ? Ont-elles une
formation pour prendre de la distance par rapport aux situations choquantes sur le plan sanitaire
ou aux situations conflictuelles avec les patients ?
L’interface que les secrétaires représentent est sollicitée avec véhémence. La relation prônée
actuellement (l’ACP) rend le patient plus actif de sa santé, il est plus exigeant et décisionnaire
dans les soins. Mais en pratique, il est aussi très exigeant dans le cadre de demandes par
téléphone nombreuses et diverses.
Enfin, un objet anodin vient rappeler les préceptes de E.T. Hall. Le parfum d’ambiance rappelle
que la sensorialité est fondamentale « dans le sentiment de l’espace. » (50)
5.3.4 Le bureau à l’image du médecin
Le bureau est une pièce qui établit et fixe le rôle du médecin selon E. Goffman (19). Les médecins
de l’étude ont relativement peu personnalisé leurs bureaux, ceci conformément à leur vision
humaniste mais non matérielle de leur travail. Derrière la façade de l’expert, les goûts
personnels ne sont pas affichés ce qui peut permettre une sorte de neutralité bienveillante non
ostentatoire. Ils présentent une double façade scientifiques et humanistes mais avec une
certaine distance. Ils n’ont d’ailleurs que peu d’appareillage symbolique de leur savoir. Il y a
90
assez peu de livres et le matériel médical n’est pas mis en avant à la manière d’une paillasse
hospitalière.
Les bureaux sont peu personnalisés. Lorsqu’ils le sont, c’est à travers des objets hautement
symboliques, ainsi l’objet caractéristique du Dr Zèbre est l’affichage des dessins de son fils. Pour
le Dr Gazelle, il s’agit d’une image religieuse visible mais discrète. Pour le Dr Marmotte et le Dr
Hérisson, je n’ai pas retrouvé de symbole personnel fort. Nous pouvons penser que ce sont les
plus attachés à la notion qui consiste à séparer travail et vie privée. Il est aussi envisageable que
la location des murs soit un frein inconscient dans un investissement plus important du décor et
à la création d’attaches fortes.
Nous notons que les femmes médecins du cabinet n’ont pas séparé contrairement aux hommes
l’examen physique de la parole. Dr Marmotte souligne que cette séparation permet aussi de
mettre à l’aise les patients, lors du déshabillage et parfois offre un espace de parole différent
moins duel. Nous n’avons pas retrouvé de littérature à ce propos.
Les médecins femmes du cabinet sont les seules à évoquer la vétusté des locaux, même si elles
s’en contentent sans problème. Elles paraissent un plus investies dans leur bureau. Nous
pouvons nous poser la question du sens de l’esthétisme chez la femme médecin, est-il plus
prononcé que chez l’homme médecin ? Pour P. Bourdieu, en ce qui concerne la décoration
intérieure de la maison familiale chez la femme, c’est le cas (57). Par pression sociale, elles
peuvent aussi être selon lui plus encline à l’esthétisme du corps.
Cependant, nous ne pouvons pas attribuer ces dernières affirmations aux caractéristiques
sexuelles féminines seules. Elles présentent aussi une autre différence par rapport aux hommes
du cabinet, c’est l’âge et elles sont plus jeunes.
Nous pouvons nous interroger sur la répartition des bureaux et de l’espace comme reflet d’une
pratique collaborative. Les femmes sont vers l’entrée, les hommes au fond du couloir. Les
femmes partagent leur bureau, elles sont arrivées en dernier. Selon les médecins de l’étude, la
distribution des bureaux s’est faite sans difficultés, Dr Marmotte a laissé les femmes travailler
vers l’entrée, se disant que c’était plus confortable, et il s’est excentré. Les femmes médecins ne
voulaient pas travailler à temps plein. Elles ont partagé le bureau et choisi de travailler sur les
autres bureaux un jour par semaine. Mais, les quatre médecins travaillent le même nombre de
jours. Selon E.T. Hall (50), la manière dont nous rangeons nos objets est propre à chaque culture
mais pas seulement, cela dépend aussi de « microvariations » individuelles qui nous rendent
91
unique. Nous pouvons conclure qu’il est contraignant d’utiliser des objets qui ne sont pas les
nôtres. Les bureaux partagés sont-ils l’apanage des femmes ? Les femmes sont-elles victimes
d’une auto censure culturelle pour ne pas s’imposer au travail ?
5.4 Le sens du comportement non verbal au cabinet
5.4.1 Les valeurs affichées par les médecins
Dans le cabinet, l’accueil est perçu par les patients grâce à l’environnement, l’interaction verbale
et à travers le comportement des médecins. Les médecins à travers le non verbal, permettent de
décrypter leurs valeurs, leurs représentations, leurs normes implicites et leurs codes qui
structurent leur métier de généraliste (21).
Cette interaction non verbale est propre à la personnalité de chaque médecin, ce qui lui confère
une patientèle adaptée. Ainsi, les patients sont à l’image de leur médecin. De manière un peu
caricaturale, le Dr Marmotte, médecin scientifique qui parle un peu vite, a plutôt des patients
exigeants. Socialement, ils paraissent pour la plupart, plus éduqués que le reste de la patientèle
du cabinet. Le Dr Hérisson, médecin énergique et souriant, a plutôt les revendicateurs, ou les
patients qui aiment aller à l’essentiel ou ceux qui cherchent une autorité. Le Dr Gazelle, humble
et doux, reçoit des patients qui recherchent une écoute ou un besoin de médecine alternative à
celle consensuelle ou encore des patients qui viennent chercher son expérience. Le Dr Zèbre,
bienveillante et calme, a les patients les plus discrets, ceux qui cherchent une relation de
confiance apaisée.
Une autre dimension implicite est la tenue vestimentaire des médecins qui va aussi dans le sens
des valeurs partagées, par leurs vêtements simples et relativement habillés. Nous n’avons pas
interrogé les patients à propos de la tenue des médecins. Il aurait pu être intéressant de savoir
s’ils estimaient que les médecins devaient mieux s’habiller. Existe-il un manque d’intérêt culturel
des habitants du quartier et de ses habitants pour la tenue des médecins?
Certains médecins ont des habitudes ritualisées. Dr Zèbre va boire de l’eau systématiquement en
salle de repos, Dr Gazelle prépare son café, le couvre d’une soucoupe, avant de le boire après la
consultation suivante. Par ailleurs, il existe des habitudes de conversations brèves, quand c’est
possible, entre médecins sur le seuil d’un des bureaux ou dans la salle de repos. Certains repas
92
sont pris ensemble. Ce sont des échanges informels. De nombreuses attitudes sont ritualisées au
quotidien. Quel sens s’en dégage ? Symboliquement, ce sont des situations qui soudent et
mobilisent l’efficacité des acteurs. Elles contribuent à une cohérence des médecins dans leur
choix de valeur, au cabinet médical. Dans le monde de l’entreprise, une observation participante
effectuée en 2000 (58), met en lumière le système de représentations, le système de valeurs, les
codes autorisés, les gestes et paroles admis. La recherche du sens montre comment les rites
structurent l’organisation des sociétés.
5.4.2 La salle d’attente, reflet du quartier
La salle d’attente est une pièce de théâtre vivante, avec des personnes venant la plupart du
temps du quartier. La salle d’attente pourrait être un lieu que la population s’approprie. Malgré
l’organisation du cabinet, cet espace s’apparente à un lieu public, vu de l’intérieur, quand bien
même cloisonné. R. Park est sociologue, il a travaillé au début du vingtième siècle sur le
développement des villes et l’écologie urbaine. Il compare la ville à un « laboratoire social » à
observer (59). En ce sens, le cabinet médical et sa salle d’attente correspondent à l’image qu’on
se fait de se vivre ensemble brassés bon ou malgré soi dans un lieu dynamique dans le temps.
Rares ont été les patients à créer du lien social. Mon ressenti d’observateur ne s’apparente pas à
M. Augé (60) : « un espace de cohabitation anonyme et impersonnel », mais il faut reconnaitre
que mon travail d’observateur interfère dans mon regard personnel en tant que patient qui
consulte. Le jeu de rôle qui se met en place lorsqu’un patient entre en scène dans le cabinet
établit la relation de soins. Comme un décor, la salle d’attente reste le territoire du patient dans
l’ensemble, et donc en ce sens, c’est une salle qui vit avec les patients, et leurs préoccupations
quotidiennes, comme un miroir de la société du quartier.
Dans la salle d’attente, les différents milieux socio-culturels se mélangent en un lieu unique.
Mais les codes ne sont pas partagés, ils sont exposés côte à côte, sans notice explicative. Ce sont
de potentiels freins que nous retrouvons dans certaines différences d’interprétations des
diverses situations ou objets, devant amener le médecin à faire preuve d’une attention
particulière à l’égard de certains patients. Selon E .T. Hall (50), « les individus appartenant à des
cultures différentes non seulement parlent des langues différentes mais ce qui est sans doute
plus important, habitent des mondes sensoriels différents ». Il indique aussi que nous nous
93
leurrons quand nous pensons que ces différences culturelles ne sont que superficielles, il signale
même des échecs de communication dans notre entêtement. Ce sont ces freins que nous
retrouvons, les différences d’interprétations des diverses situations ou objets tout le long de ce
travail, qui sont explicitées par le travail de E. Goffman et de E.T. Hall par les codes sociaux, les
cultures ou la sensorialité.
A l’inverse, nous retrouvons tout de même un point commun, les codes implicites de placement
assis, en partant toujours de la place qui laisse le plus de distance entre les personnes. Pourtant
la proximité physique est inévitable, entrainant une interaction non focalisée en salle d’attente.
Selon N. Elias (61), partant du concept Goffmanien de l’inattention civile, la vue est considérée
comme moins dangereuse par l’ordre social que le toucher. Cela se vérifie dans le comportement
des individus en public. Il développe même l’idée que la démocratie pourrait avoir rendu
insensible à l’autre, sans égards, au nom du refus de la distinction de l’autre. Une relation entre
patients est effectuée comme un regard sous un public de circonstance.
Nous retrouvons en salle d’attente à travers le comportement non verbal, l’anxiété que l’on
devinait à travers l’échec de l’affichage. L’attente vécue comme une souffrance par le patient,
parce qu’il est dans la salle d’attente d’un médecin. L’attente dans d’autres situations ne
débouche pas sur le même ressenti. Y a-t-il bien une anxiété spécifique générée par l’attente de
la consultation médicale ? La prenons-nous en charge ?
94
5.5 Synthèse des pistes de réflexion
5.5.1 Axe 1 : Reconnaitre les valeurs fondatrices qui donnent du sens à la relation et à l’espace médical
- La réflexion anticipée d’une vision commune sur le sens que les médecins souhaitent donner à
la relation médecin-malade au cabinet médical, semble être un socle fondamental dans la
pratique professionnelle. Elle trouve son sens dans l’interaction avec le patient dans sa globalité
et dans la réussite d’une collaboration entre les professionnels de santé. De façon commune, les
médecins emploient l’empathie, le développement de l’hospitalité dans l’accueil du cabinet
médical peut avoir un impact dans la relation médecin-malade. Dès le choix du lieu de travail,
l’environnement reflète le sens que l’on souhaite donner à la relation médecin-malade.
L’approche dramaturgique telle que celle de E. Goffman dans le courant interactionniste, trouve
sa place.
- Pour la plupart des médecins, les valeurs, qu’elles soient convergentes ou divergentes avec le
patient, permettent aux différents acteurs de se trouver. La patientèle reste à l’image de chaque
médecin. La notion d’identité professionnelle est possible et souhaitable en exercice de groupe
pour l’épanouissement du soignant. Certaines valeurs sont à mettre en cohésion, d’autres sont à
cultiver chacun de son côté.
- La secrétaire, personnage-clé du cabinet, protège les valeurs d’accueil et d’hospitalité
défendues par le cabinet. Le système de représentations des patients et des secrétaires n’est pas
le même que celui des médecins. Le message souhaitant être véhiculé par les médecins est
pluriel et complexe. Il n’a pas le même sens pour chaque acteur. Les patients apprécient de se
sentir protégés lorsqu’ils se rendent dans un cabinet médical. Il s’agit d’une forme de
considération qu’ils réclament de leur médecin en plus de la qualité de son expertise médicale.
Le soin débute à l’entrée du cabinet. La secrétaire participe à la mise en place d’une relation
médecin-malade de qualité sans en être directement consciente.
95
5.5.2 Axe 2 : Observer les objets et leurs sens dans l’espace médical
- La vision globale du cabinet transparait dans les détails des objets de la salle d’attente ou de
leurs bureaux. Il existe des difficultés de perception de sens d’un même objet par différents
acteurs. Les patients se sentent mieux considérés lorsque la salle d’attente est plus sophistiquée
ou confortable. La salle d’attente est un sas actuellement standardisé, simplifié et aseptisé. Son
important cloisonnement est plutôt mal vu par les patients car à leurs sens la confidentialité
n’est pas une priorité. Un accueil personnalisé dans le cabinet étudié, participe beaucoup à la
considération et à la réassurance que ressentent les patients.
- La vision opportuniste des médecins envisageant la salle d’attente comme un espace à
exploiter pour promouvoir la santé, est à confronter à l’anxiété ressentie par les patients dans
cette pièce. Ces derniers n’ont pas les mêmes attentes, et souhaitent de la distraction ou de la
détente. La salle d’attente est-elle toujours la bonne pièce pour faire de la prévention ou de
l’éducation ?
- Les cadeaux reçus par les médecins, de plusieurs types, ont une signification symbolique. Elle
diffère entre les deux acteurs. Pour les patients, le cadeau permet de solder la dette du soin.
Pour le médecin, l’objet concret rend mal à l’aise et l’objet éphémère, comme la nourriture, est
accepté avec engouement. Les cadeaux concrets sont des objets qui trouvent difficilement leur
place au cabinet et pourtant qui restent dans la sphère professionnelle.
- La salle de repos est une coulisse de la pièce de théâtre qui se joue entre un médecin et ses
patients. Elle n’est ni un lieu professionnel ni un lieu privé
- La position précaire de la secrétaire entre accueil et confidentialité, entre hospitalité et
intimité, n’est pas évidente à trouver. L’interface qu’elle représente est sollicitée avec
véhémence par les patients. Leur rôle dans la qualité de la relation médecin-malade n’est pas
négligeable.
- Les bureaux sont peu personnalisés. Lorsqu’ils le sont, c’est à travers des objets hautement
symboliques. La location des murs est-elle un frein inconscient dans un investissement plus
important du décor ?
96
- Le sens de l’esthétisme chez la femme médecin, est-il plus prononcé que chez l’homme
médecin ? L’âge est-il un facteur qui intervient dans la vision d’un décor professionnel ? Le
partage du bureau médical est-il l’apanage des femmes ou des jeunes médecins ?
5.5.3 Axe 3 : Comprendre lorsque le corps parle
- Dans le cabinet, l’accueil centré sur le patient, est perçu grâce à l’interaction verbale, au
comportement et à l’environnement. On décrypte à travers l’interaction non verbale des
médecins, leurs valeurs, leurs représentations, leurs normes implicites et leurs codes qui
structurent leur métier de généraliste. Cette interaction non verbale est propre à la personnalité
de chaque médecin, ce qui lui confère une patientèle adaptée à son image et à sa façade
symbolique. Une autre dimension implicite est la tenue vestimentaire des médecins, qui n’a pas
de sens quand elle n’est pas investie par les acteurs du quartier.
- Dans un cabinet médical, il existe des échanges informels entre médecins. De nombreuses
attitudes sont ritualisées au quotidien. Elles contribuent à une cohérence des médecins dans leur
choix de valeur. La recherche du sens permet de comprendre comment les rites structurent
l’organisation des sociétés.
- La salle d’attente du médecin généraliste est une pièce de théâtre vivante, reflétant la vie du
quartier. En ce sens, elle reste le territoire des patients et s’y observe certaines de leurs
préoccupations, comme un miroir de cette micro société.
- Dans la salle d’attente, les différents milieux socio-culturels se mélangent en un lieu unique.
Mais les codes ne sont pas tous partagés. Ce sont de potentiels freins que nous retrouvons dans
certaines différences d’interprétations des diverses situations ou objets, devant amener le
médecin à faire preuve d’une attention particulière à l’égard de certains patients. A l’inverse, les
codes implicites de placement assis sont communs. La vue est considérée comme moins
dangereuse par l’ordre social que le toucher.
- L’attente est vécue comme une souffrance par le patient, anxieux parce qu’il est dans la salle
d’attente d’un médecin, comme en sursis. La prenons-nous en charge ?
97
6 CONCLUSIONS
L’ethnographie est une méthode qualitative utilisée principalement en sciences sociales. L’étude
par cette méthode, d’un cabinet médical de quatre médecins généralistes en milieu urbain, a
permis une meilleure compréhension de la relation médecin-malade. Ce travail original par son
approche anthropologique, a soulevé de nombreuses pistes de réflexions permettant
l’amélioration de la relation médecin-malade. Cette dernière, pierre angulaire de l’exercice d’un
médecin généraliste participe à l’optimisation de la qualité des soins.
Actuellement, le type de relation médecin-malade évolue avec les changements de société
auxquels nous assistons. La littérature internationale publie régulièrement de nouveaux modèles
à mettre en place dans l’intérêt de chacun, partant des exigences et contraintes des deux
intervenants de la relation. Dans l’idée de l’interactionnisme symbolique et d’E. Goffman, l’étude
a pris en compte dans sa globalité l’interaction verbale et non verbale avec ses différents acteurs
et dans son environnement. Le travail se consacre à décrire l’organisation des espaces et leurs
usages afin d’en dévoiler le sens, l’ensemble des signes qui se logent dans les détails des gestes
et du décor. Voici les principales pistes dégagées.
La première piste de réflexion, pour une meilleure compréhension de la relation médecin-
malade, est celle de valeur partagée fondatrice. L’accueil et l’hospitalité dans ce travail-ci, sont
retenus dans la mise en place de la relation médecin-malade ou même dans l’environnement du
cabinet à travers notamment le secrétariat. La question de valeurs partagées, qui pourrait être la
condition d’une réussite d’une association, propose une réflexion antérieure à l’installation, sur
le sens que l’on souhaite donner à la relation médecin-malade au quotidien.
La deuxième piste qui complète la première, est celle d’identité professionnelle, malgré le
caractère uniciste d’un cabinet de groupe, chaque médecin s’épanouit de son côté, et met en
place une relation unique pour chaque interaction avec ses propres spécificités. Chaque patient
entretient une relation personnelle avec son médecin, qui lui correspond. Pour la troisième piste,
certaines limites de la relation médecin-malade tiennent aux différences de codes culturels,
spécifiques à chacun. La salle d’attente en théâtre vivant, reflète le quartier dans sa diversité,
mais le médecin l’investit comme une espace neutre standardisé. Chaque acteur de la relation
interprète ainsi différemment une même situation. Une quatrième piste pourrait être celle de
98
l’anxiété générée par l’attente d’une consultation médicale, l’amélioration de sa gestion par le
médecin est à envisager, pour exploiter l’espace de la salle d’attente de façon pertinente. Une
cinquième piste concerne la notion de don et de contre don. Dans la relation médecin-malade,
les cadeaux de patients sont à appréhender en respectant les codes de chacun des acteurs.
Pour finir, dans l’optique de l’amélioration des pratiques professionnelles, nous pouvons
encourager des travaux de type ethnographie en médecine ambulatoire, afin de diversifier nos
études et de dégager des idées nouvelles. Dans le cadre de ce travail, il serait enrichissant
d’explorer les pistes notifiées par des travaux spécifiquement sur ces axes.
99
100
101
7 ANNEXES
7.1 Annexe 1 : Courrier destiné aux médecins de l’étude
Madame, monsieur,
Tout d’abord, je voulais vous remercier de l’intérêt que vous portez à mon projet. Voici de manière
un peu plus précise l’étude sur laquelle nous travaillons:
On s’intéresse à la relation médecin-malade avec une analyse issue d’un des grands courants
sociologiques : l’interactionnisme symbolique.
A travers une ethnographie du cabinet qui consiste en une observation discrète de la salle d’attente,
du secrétariat, de la salle de repos, des bureaux de consultation, et en des entretiens brefs de
quelques patients et un peu plus longs des médecins, il s’agit d’analyser les différentes interactions
qui existent entre un malade et son médecin et/ou les différentes interactions qui ont lieu avent la
consultation mais dans le cabinet, comment elles interfèrent dans la relation médecin-malade à
venir.
Je devrai être présentée comme une externe en médecine du cabinet lors de mes phases
d’observation avec chacun de vous. Au décours de certaines consultations, je pourrai être amené à
m’absenter pour débriefer un patient rapidement s’il y consent. On gardera l’anonymat de chacun. Il
y aura un consentement écrit et un engagement à détruire la bande audio des entretiens. Les
consultations ne seront pas enregistrées car les données médicales pures ne nous intéresseront pas.
Une relecture de l’analyse sera probablement proposée et les modifications seront notifiées.
Le cabinet correspond sur de nombreux critères aux besoins de l’étude (nombre de médecins,
patientèle, type d’exercice, cartographie du cabinet, présence d’étudiants…). On prévoit également
d’obtenir l’accord de la secrétaire, de plus peut-être sera-t-on amenée à lui proposer un entretien.
Le recueil des données se ferait sur 5 à 6 jours rapprochés, dont une journée qui se fera avec chacun
des 4 médecins, avec en fin de journée, entretien de 30-40 minutes maximum.
Je suis très enthousiaste pour la réalisation de ce projet et vous remercie par avance du temps que
vous prendrez. Si vous avez des questions ou des craintes, n’hésitez pas à m’en faire part, pour ce
faire je vous laisse mes coordonnées ci-dessous.
Je vous prie de croire en l’expression de mes salutations distinguées,
Léa ASTYL, étudiante thésarde.
Tel : 06 18 46 78 73
102
7.2 Annexe 2 : Entretien du Dr Marmotte, le 10/06/2014
Dr Marmotte s’assoit à son bureau, côté patient. Je m’assois du même côté sur la deuxième chaise.
Je pose l’enregistreur noir sur la table. L’entretien commence.
-On va reprendre votre parcours, si je peux juste avoir votre contexte familial pour quand même un
peu planter le décor?
-Tout à fait. (Grande inspiration) Bon, j’ai 57 ans. Je suis… installé ici depuis bientôt 30 ans, par choix,
c’est un quartier que j’ai choisi. Euh… J’avais fait des remplacements aux Minguettes, dans les années
80, au moment où ça allait très mal aux Minguettes, et j’avais beaucoup aimé la dimension à la fois
médicale, sociale et pluriculturelle. (Sourire) Et à l’époque, quand je me suis installé, c’était difficile
de créer son activité. J’ai trouvé un médecin, qui avait mis une annonce dans un cabinet, il se trouve
que ce médecin était un médecin juif, qui… avait créé son activité 5 ans auparavant et qui allait pour
des raisons religieuses à Jérusalem. On a tout de suite accroché, sur la conception du métier, sur la
façon de pratiquer la médecine générale (grande inspiration), on a conclu l’affaire et donc je me suis
installé le 1er juillet ici. (Silence). Alors la médecine générale, je l’ai choisi par choix, même si j’étais
plutôt programmé pour être un spécialiste, hein, du fait de mon milieu familial, qui était plutôt un
milieu d’intellectuel et puisque tous mes patrons me disaient, qu’ils pensaient tous que je ferais une
carrière universitaire (grande inspiration). J’ai tourné le dos à tout ça parce que, ce qui m’intéressait,
c’était de m’occuper des personnes, plus que des maladies et puis leur dimension globale, sur cette
dimension que j’évoquais tout à l’heure, donc je trouve, euh... que cette possibilité de m’installer est
venue au bon moment donc je me suis installé, le 1er juillet 1984, et j’avais juste 27 ans, voilà.
(Grande inspiration) (Sourire).
-Vous avez jamais travaillé avec ce fameux médecin ? Vous vous êtes suivis ?
-Non, non, je l’ai… remplacé deux, trois fois, j’suis allé voir plusieurs fois ses consultations, pour voir
comment il fonctionnait, c’était euh… Même approche globale de la personne, voilà.
-Vous le présentez comme un médecin juif, c’est important pour vous ? C’était quelque chose en
rapport avec le quartier ? Avec vous ?
Oui, non, euh, plusieurs significations, c’est-à-dire qu’il ne partait pas parce que ça ne marchait pas, il
partait pour des raisons religieuses, et que moi j’essayais aussi de vivre ma foi personnelle à
travers…dans mon métier, ça me semblait cohérent de… Voilà, il y avait une dimension, je veux dire,
103
(grande inspiration) spirituelle dans l’engagement en tant que médecin généraliste, qui était chez
mon prédécesseur, qui était le mien.
-Pour en revenir un petit peu au début, je ne sais pas si vous allez vouloir l’aborder, quelle est votre
situation familiale? Avez-vous choisi d’avoir quelque chose d’autre que la médecine en parallèle?
-Euh, euh…
-L’idée c’est de savoir si vous êtes marié, si vous avez des enfants, etc… Ou, est-ce que la médecine
prend une part tellement importante dans votre vie, que finalement vous investissez peu les autres
domaines?
-La médecine, c’est quelque chose qui me passionne, d’accord, mais pour être bon médecin, il faut
être bien dans sa peau. Et pour être bien dans sa peau, il faut euh… Je vais dire, avoir autre chose en
dehors de la médecine. Parce que la médecine est un métier où on est…confronté, en tout cas la
médecine générale, en permanence à la souffrance, à toutes formes de souffrance, qui plus est, dans
un quartier comme celui-ci, donc il faut qu’on ait des lieux de ressourcement. Si je n’ai pas mes lieux
personnels de ressourcement où je…où je retrouve un équilibre et cet équilibre, bon, c’est ma vie
familiale. J’ai 4 filles (silence), hein, dont une finit… ses études de médecine, puisqu’elle est interne
en pédiatrie c’est-à-dire que j’ai réussi à ne pas la dégouter de la médecine (grande inspiration) en
tout cas, je ne l’ai pas forcée à faire médecine, c’est elle qui a deviné un jour, donc je me dis que
globalement l’investissement que j’ai eu dans mon métier n’a pas été négatif pour mes enfants, c’est
ma vision que j’ai. Même si à côté de l’investissement comme professionnel, j’ai eu un gros
investissement dans le syndicalisme (silence) puisque… rapidement après mon installation, je suis
entré au syndicat départemental, un an après, j’étais secrétaire général, un an après président du
syndicat départemental. Cinq ans après, j’étais président du syndicat régional et après je suis monté
au bureau national et j’ai été pendant 8 ans, membre du bureau national en tant que secrétaire
général pendant 4 ans et vice-président pendant 4 ans (grande inspiration). Et donc, ça me prenait
beaucoup de temps par rapport à mon activité. J’étais 2 jours complets par semaine absent (grande
inspiration). Mais, ça m’a permis aussi de voir toutes les dimensions de la médecine dans la société et
en particulier, si j’ai choisi un syndicat où on se battait pour l’égalité d’accès aux soins pour tous les
français. Cette dimension que je perçois dans mon activité quotidienne, puisqu’on voit bien, l’accès
aux soins compliqué, dans une métropole comme Lyon, où la très grande majorité des autres
médecins spécialistes sont en secteur 2. Donc, la seule possibilité que j’ai, c’est soit de travailler avec
des institutions hospitalières publiques ou mutualistes, pour avoir des correspondants secteur 1. Je
touche du doigt tous les jours, que ce n’est pas aussi simple que peuvent le dire certains, de trouver
un spécialiste, dans une grande ville comme Lyon, qui pratique les honoraires secteur 1.
104
-Ce dernier sujet, c’est quelque chose d’important pour vous ?
-Oui, c’est une dimension humaine. Parce que (silence), j’aurais pu me satisfaire intellectuellement
de faire une spécialité, par mon cursus une famille d’intellectuels, grands-parents enseignants, père :
haut fonctionnaire, frère : haut fonctionnaire. Cette dimension de la médecine pointue, pour lequel
j’étais programmé dans ma famille, (inspiration buccale) et moi, j’ai refusé ça, parce que ce qui
m’intéresse c’est la personne justement globale, et puis, que toutes ces personnes soient… aient les
mêmes droits dans la société par rapport aux soins, parce que l’inégalité sociale produit de l’inégalité
de santé mais l’inégalité de santé produit de l’inégalité sociale. C’est-à-dire qu’un enfant qui n’est pas
bien soigné, il pourra moins avoir de lunettes, moins soigner ses problèmes d’otites à répétition, il
aura des problèmes éventuellement d’audition, donc tout ça peut contribuer à un retard scolaire qui
va aggraver le retard social, l’inégalité sociale. Pour moi, il y a une cohérence du point de vue humain,
et donc c’est là où ça touche mon problème de foi personnelle, hein, de travailler pour que toutes les
personnes soient au même niveau dans la société pour l’accès aux soins. Voilà. Donc, c’était à la fois,
le choix de l’installation dans ce quartier et mon engagement personnel dans le syndicalisme, le
syndicalisme social.
-Comment vous percevez-vous comme médecin, on va dire dans la pratique de tous les jours ?
(Le téléphone sonne 3 fois, il ne décroche pas)
C’est difficile de savoir (silence) qui l’on est parce que j’allais dire: on n’a aucun recul. Souvent, je me
dis qu’il faudrait que je me filme en consultation pour voir un peu comment je fonctionne. Je l’ai fait
plusieurs fois (silence), des jeux de rôles ou quand j’ai animé des bilans de compétences pour
l’association de formation continue où je me suis aussi investi, hein, je trouve que c’est extrêmement
intéressant de voir comment on fonctionne. J’essaye, moi, hein, d’être quand même un médecin qui
soit à l’écoute (silence), j’essaye aussi de prendre toutes les dimensions, hein, c’est-à-dire que la
personne vient pour un problème, et j’ai toujours d’autres questions, c’est : « Et à part ça, comment
ça va ? ». Voir un peu tout le reste, parce que je pense que quand une personne vient, elle n’est pas
malade par hasard, elle est malade parce qu’il y a un déséquilibre global dans son équilibre hein, ça
peut être une tension au travail, ça peut être une insomnie, ça peut être une tension familiale, ça
peut être un souci pour un enfant, des soucis financiers, quelque part, on comprend mieux la
personne quand on situe la maladie dans l’histoire de la personne, l’histoire à la fois diachronique et
synchronique. Hein. Voilà. Cette dimension m’intéresse maintenant. C’est ce que j’essaye de faire
maintenant, est-ce que je réussis ou pas ? (moue dubitative). Autre dimension qui m’intéresse, c’est
une dimension systémique. C’est pour ça, je trouve que la médecine générale, où on soigne plusieurs
générations, j’étais très tenté par la pédiatrie à un moment donné, mais quand on soigne les enfants,
105
on ne soigne pas les parents, moi je soigne à la fois les enfants, les parents, les grands-parents et
même les arrières grands-parents, ce qui est une vision du fonctionnement familial et de tout ce qui
tourne autour des représentations, parce qu’on ne soigne pas des personnes sans essayer de
percevoir leurs représentations de la maladie, du soin, de tel hôpital… Quand je sais qu’une grand-
mère est morte à Grange-Blanche, à Edouard Herriot, parce que je sais que cet hôpital égal mort
pour eux, c’est des choses comme ça, qui sont extrêmement importantes pour moi d’aller chercher.
Voilà. J’essaye de faire une médecine que je veux dire globale, prendre la personne dans sa globalité.
Sa globalité personnelle mais inscrite dans un système, qui est son système de vie familiale, son
système de travail, hein, toutes les dimensions professionnelles, personnelles. Son système où elle
vit, c’est l’environnement c’est le quartier où on est ici, bien que j’ai un certain nombre de patients
qui viennent d’ailleurs que de ce quartier.
-Aviez-vous parfois l’impression d’être amené à utiliser plusieurs facettes de votre personnalité de
médecin pour arriver au soin ?
- Je crois que le soin c’est avant tout une relation. C’est-à-dire que c’est une personne, le patient qui
va questionner un médecin. C’est un sujet qui questionne un autre sujet. Donc, on est dans une
relation interpersonnelle. Le médecin que je suis à travers la demande que fait le patient, va utiliser
euh la science. A la fois, dans la technique d’interrogatoire, dans la technique de l’examen clinique,
quand je dis technique, c’est le côté rigoureux, en utilisant des examens paracliniques, en prescrivant
des thérapeutiques mais ça, ça n’a de sens que si le patient adhère à ce que le médecin va proposer,
et donc c’est quelqu’un qui me pose une question, et moi, je dois lui répondre de telle sorte qu’il me
comprenne. Si je plaque ma connaissance sur un patient, ça ne marchera pas. Et comme je dis
toujours aux internes quand ils arrivent, si quelqu’un me parle en zoulou, faut que je réponde en
zoulou, si je réponds anglais, il ne va pas comprendre. Parce qu’au fond, je suis persuadé que moi, je
ne soigne personne. La seule chose que je peux faire c’est aider les gens à se soigner. Quel que soit la
finalité du soin. Que ce soit la guérison, la stabilisation, ou la mort, c’est la même démarche. Mon
objectif, c’est de faire en sorte que le patient soit le sujet du soin. (Silence) Et donc, pour qu’il soit le
sujet du soin, il faut qu’il comprenne ce qu’il se passe, il faut qu’il comprenne ce qu’est sa maladie et
qu’il adhère à ce que je propose. Souvent, en fin de consultation, je dis aux gens, est ce que ça vous
convient ? lls me répondent : « C’est vous le docteur ». Moi, je réponds : « C’est vous le patient ».
(grande inspiration) Voilà. (Rire). Moi, je sais ce que j’ai envie de leur proposer mais si je sens qu’il y a
une réticence, les gens ça ne marchera pas. C’est symbolique. Je prends l’exemple du sirop
antitussif : quand vous donnez un antitussif, si c’est pas le sirop, ça ne marchera pas. Si je donne un
comprimé du même médicament, ça marchera beaucoup moins, sauf si je dis : « écoutez, je vous
donne du sirop en comprimé parce que comme vous êtes diabétique, le comprimé il n’est pas
106
sucré ». Là, ça peut passer. Voilà. Tous les gens ont des représentations un petit peu. Donc, ces
représentations peuvent gêner l’acceptation de ce que je dis, donc il faut que je travaille dessus pour
que le patient adhère au projet thérapeutique, ce qu’on appelle l’alliance thérapeutique. Mais, je vais
beaucoup plus loin que l’alliance thérapeutique. En fait, c’est à moi de proposer quelque chose, pour
que le patient s’en empare. Pour que j’accompagne… On est plus dans l’alliance, on est dans la
guidance thérapeutique. Peut-être aller plus loin que l’alliance thérapeutique. C’est ce que j’essaye
de faire. Maintenant, est-ce que je réussis ? C’est autre chose. (Sourire)
-Cela fait plusieurs années que vous êtes dans le quartier dans le même local, c’est ça ?
-J’ai agrandi, et quand les filles sont arrivées, pour qu’elles soient plus près de la porte et du
secrétariat, je me suis mis tout au fond. (Ton humoristique)
-Comment gérez-vous votre association ? La pratique des autres, c’est quelque chose qui vous
importe ?
-C’est extrêmement important. Je voulais toujours travailler en groupe. Le problème c’est que j’avais
trop vu de cabinets de groupe qui ne fonctionnaient pas. Je préférais créer mon cabinet de groupe. Je
me suis installé tout seul. Quand l’activité s’est suffisamment développée, par rapport à ma norme à
moi, j’ai cherché un premier associé que j’avais connu dans un réseau ecclésial, donc je savais qu’il
partageait les mêmes valeurs. Comme 10 ans après, je cherchais un autre associé pour développer le
cabinet, j’ai pensé à une jeune femme médecin qui finissait ses études, qui était aussi dans un groupe
que j’accompagnais de réflexion spirituelle. Je lui ai proposé de venir comme je savais qu’elle
partageait les mêmes valeurs, et puis elle ne voulait pas venir travailler toute seule parce qu’elle ne
voulait pas trop travailler. Elle est venue avec une de ses amies, avec une de mes anciennes internes
mais qui était venue chez moi, sur les conseils de la première, donc c’était des gens que j’avais formé.
Donc, on partait sur une vision assez proche de la maladie, assez proche du rôle du médecin, assez
proche du rapport au malade, pour qu’on puisse être interchangeables. C’est-à-dire, on fait de la
médecine avec qui on est. Chaque médecin est différent. Quand mes associés voient mes patients, ils
font avec qui ils sont. Heureusement, ce ne sont pas des clones de qui je suis. Hein. Mais, il y a quand
même une cohérence globale dans la vision qu’ils ont. Pour moi, cette association elle était
intéressante à deux points de vue, dans la continuité qu’on offrait au soin aux patientes et dans le …
notre pouvoir échanger. C’est vrai qu’on prend un temps d’échange tous les jours, sur les patients, on
essaye de manger au moins une à deux fois par mois, tous ensemble. On fait le tour du cabinet et
puis on a des relations, je veux dire… duelles en fonction des besoins. Mais quand mes associés sont
arrivés, je faisais toujours extrêmement attention quand ils partaient. J’arrêtais mes consultations.
J’allais les saluer, pour vérifier que tout s’était bien passé. Qu’il n’y avait pas de difficultés, pas de
107
tension. Je voulais vraiment que l’intégration se passe bien, d’abord pour Dr Léopard au début puis
après pour Dr Hérisson et Dr Zèbre, et se fasse dans de meilleures conditions. Etant le plus vieux,
j’étais la référence et je faisais attention à limiter les tensions. Il n’y a jamais eu de difficultés. Je ne
dis pas qu’il n’y a pas un peu de tensions sur quoique ce soit. Il y a eu des moments parfois tendus,
en fonction des itinéraires de vie, des uns et des autres mais bon, je crois que c’est une association
qui pour moi fonctionne bien. Dans tout ce que j’imaginais au départ. A la fois au service du patient
et une dynamique de groupe. Parce que je pense qu’on ne travaille bien qu’en équipe.
-De manière plus légère, ces murs sont loués, que pouvez-vous m’en dire?
-On est en location, on est en location parce qu’en HLM (note du chercheur : Hébergement à Loyer
Modéré), on ne peut que louer. Et puis, euh…moi je n’ai jamais cherché à faire de l’argent sur un
investissement immobilier. J’ai un rapport à l’argent qui n’est pas celui de capitaliser ou quoique ce
soit. Je voulais que mes enfants aient de quoi faire leurs études. Maintenant, elles ont quasiment
toutes fini. J’en ai une dernière qui est en faculté. Donc voilà. J’aurais ce qu’il faut pour ma retraite. Je
ne cherche pas beaucoup d’argent. La location ne m’a jamais posé de problèmes. Le fait d’exercer
dans le même lieu que là où habitent les patients, quand on travaille dans le social, c’est important.
On est le seul cabinet en logement social dans le quartier.
-C’est assez atypique d’être dans un logement HLM (note du chercheur : Hébergement à Loyer
Modéré)?
On exerce dans le même lieu que les gens habitent. Quand on va construire peut-être une maison de
santé pluridisciplinaire, ce sera l’office HLM, et on sera encore en location dans le quartier. (Note de
l’auteur : encore à l’état de projet)
-Dans le cadre de cette location, qui s’occupe de la décoration ?
-On essaye d’y mettre un peu de notre touche à nous. Il y a beaucoup de désordre, parce qu’il y a
beaucoup de choses dans ma tête On essaye euh quand même de mettre notre touche à nous. Il
faut qu’il y ait à la fois de la rigueur ; tout ce qu’il faut au niveau matériel, mais qu’il y ait aussi un
certain accueil de qualité. Ce n’est pas un lieu aseptisé comme à l’hôpital.
-Comme c’est un appartement bureau loué, il n’y a donc pas un côté « hôpital »? (note du chercheur:
moi-même, j’amalgame appartement et cabinet)
-On ne veut absolument pas. Absolument pas. On essaye de donner une dimension personnelle.
Apres euh… C’est aussi la façon dont on occupe les lieux. Il n’y a pas simplement l’environnement,
c’est comment on vit dans les lieux. La façon dont on est, humainement parlant. J’ai vu une patiente
108
ce matin qui me dit : « j’ai vu ma sœur hier, elle me disait que son médecin était glacial et hautain
mais qu’elle aimait ça ». Tant mieux, il faut des médecins pour tout le monde. Nous ce n’est pas
comme ça qu’on essaye de fonctionner, dans le respect de la personne. On est dans le face à face et
non dans le je-sais-tout, donc je vais vous dire ce qu’il faut faire. De mettre de l’humanité dedans,
parce qu’on fait… La médecine c’est un rapport de sujet à sujet : un qui questionne et un qui répond.
Il faut que cette dimension humanitaire, elle paraisse aussi ailleurs.
-Vous avez votre bureau attitré, Dr Léopard aussi, mais Dr Hérisson et Dr Zèbre changent de bureau
parfois. Est-ce que chacun a apporté une touche à son bureau ou restez-vous neutres?
-Chacun a apporté sa touche un peu au bureau, je veux dire, voilà.
-Avez-vous l’impression que votre bureau vous ressemble ?
-Je ne sais pas s’il me ressemble, mais je m’y sens bien. (Rire) Sachant que je pourrais travailler un
peu n’ importe où. Le mieux… c’est… je me sens chez moi quand j’arrive ici. Je n’ai pas le sentiment
d’arriver au travail, dans un bureau aseptisé. (Sourire).
-Très bien. Avez-vous déjà eu des remarques sur la localisation du cabinet, de la part des patients?
Est-ce que c’est quelque chose qui parait les importer ?
-Je n’ai pas eu de remarques sur le lieu où je travaillais. Euh… j’en ai pas à la tête qui viennent. J’ai
des gens qui viennent de l’extérieur. J’ai même un professeur de faculté qui venait en salle d’attente,
à côté de tout le monde. Ça n’a jamais posé de problème. Un jour, j’avais deux patients en salle
d’attente, un qui était une patiente du cabinet, du quartier et un qui était policier. On discute un peu
avec la patiente : « mon mari s’est fait prendre par la police etc… » Je discute un peu avec . Et puis, la
personne d’après, le policier : « On a fait une super opération hier. On a arrêté des gens ». Donc en
salle d’attente, s’étaient côtoyés le monsieur qui avait arrêté le mari de la dame qui était à côté
d’elle. Ils ne l’ont pas su. Je crois que c’est ça la médecine aussi. C’est ça qui est extraordinaire dans la
médecine. Le jour où il y avait ce professeur avec un nœud papillon… avec des gens qui avait
l’équivalent de la CMU (note du chercheur : Couverture Médicale Universelle) à l’époque. C’est ça qui
est extraordinaire dans la médecine. C’est que vous avez deux genres de type de personnes qui
viennent de milieux complétement différents, des histoires complètement différentes, elles sont côte
à côte en salle d’attente. Elles ne le savent pas, sauf peut-être l’habillement. Mais, quand elles sont
face à moi, c’est pareil, il n’y en a pas une qui a plus de valeur que d’autres. Voilà. J’essaye de tout
donner. Ce que je peux donner. Pour les rendre acteurs de leurs soins. De faire en sorte, que la
demande qui est formulé au départ, trouve une réponse adéquate.
109
- J’ai remarqué qu’on sonne et qu’on vient nous ouvrir à la porte, au cabinet, pour quelles raisons ?
-Deux raisons. La première, c’est que j’avais lu (silence), que les agressions se faisaient toujours
quand il y avait marqué : « sonnez et entrez », parce qu’on ne régulait pas. Donc, je suis toujours allé
ouvrir pour faire de la régulation quand je n’avais pas de secrétaire, une fois que la personne est en
salle d’attente, c’est beaucoup plus difficile de lui dire que ce n’est pas possible de le prendre que
quand elle est sur le pas de la porte. La deuxième chose, je pense que l’accueil par la secrétaire fait
partie de l’accueil complet au cabinet. C’est un élément essentiel. Comment les gens sont accueillis
quand ils arrivent ici. Ils sont reconnus. C’est le début du soin. (Ça sonne justement). Il passe par la
qualité de l’accueil qu’on a.
-Parlez-moi de la porte de la salle d’attente, elle est souvent fermée…
La porte de la salle d’attente est souvent fermée. C’est pour laisser un peu d’autonomie aux
médecins. On a le droit de faire une pause sans que les gens disent : « il est parti ».Deuxièmement, il
y a une forme de confidentialité. Il m’arrive d’avoir plusieurs membres de la même famille qui
viennent la même journée. Ils n’ont pas besoin de savoir si l’autre est là. Donc sauf s’ils se croisent
dans la salle d’attente, c’est pour éviter de savoir qui était là. J’avais une personne qui me disait, c’est
marrant, certains jours vous me dites : « Au revoir Madame untel » et d’autres fois, vous me dites :
« Au revoir Madame ». « Oh, je ne fais pas attention… » je dis. En fait, je ne mettais pas son nom,
quand quelqu’un de sa famille, était en salle d’attente. Inconsciemment, je l’ai réalisé à ce moment-là
que je ne mettais pas son nom quand il y a avait quelqu’un. C’est aussi préserver le secret médical.
Ne pas savoir qui est en salle d’attente. Actuellement, la porte est ouverte, il fait très chaud, avec la
canicule. C’est aussi à cause de ça. On est obligé d’aérer à cause de la chaleur mais sinon je demande
aux secrétaires de fermer.
-Je vous remercie.
110
7.3 Annexe 3 : Entretien du Dr Zèbre, le 23/06/2014.
On s’installe chacune de part et d’autre du bureau. Moi côté patient, elle côté médecin.
-Quel est votre parcours de médecin généraliste ?
-C’est vrai que ce n’était pas ma première idée quand j’ai commencé médecine. Je voulais faire de la
chirurgie, ce qui était un peu à l’opposé. Dès que je suis allée au bloc, j’ai bien senti que ce n’était pas
pour moi. (Rire) Et puis, euh… au fil des stages, en discutant avec des amis. J’ai senti que c’était…
J’aimais bien l’idée d’avoir une activité variée, de ne pas faire tout le temps la même spécialité, de
revoir les gens sur la durée. C’était vraiment les deux arguments qui me tenaient à cœur. Et puis,
heu... je voulais m’installer assez vite. J’ai hésité un petit peu, entre la campagne et la ville. J’avais un
peu peur de la campagne avec les gardes et tout ça… et de trop travailler à la campagne. Et du coup,
j’ai choisi de m’installer sur Lyon. Comme je connaissais bien Dr Marmotte qui cherchait une
associée, voilà, je me suis installée 8 jours après ma thèse. Très rapide.
-En parallèle, avez-vous des enfants ? Quel est votre cadre familial ?
-J’ai 39 ans, je me suis installée en 2003, à 28 ans. J’ai 4 enfants. Quand je me suis installée, j’en avais
un et j’en ai eu trois après au cabinet.
-Au niveau de votre intégration au cabinet, votre arrivée ayant eu lieu après Dr Marmotte et Dr
Léopard, quelle a été l’organisation ? Avez-vous été à cheval sur deux bureaux ?
Alors, en fait, on est arrivées tout de suite à deux avec le Dr Hérisson. On a partagé tout de suite
notre bureau toutes les deux. Par contre, depuis le départ, il y a un jour où on travaille dans les
bureaux d’un des associés.
-C’est quelque chose qui vous pèse au quotidien ?
On en prend son partie. C’est vrai que les patients nous disent : « Ah, vous avez changé de
bureau ? ». Encore maintenant, on leur explique : « oui le jeudi, je travaille de l’autre côté ». Bon, ce
qui pèse un peu, c’est que de l’autre côté, il y a un tas de papiers qui s’accumulent, ça j’aime pas trop
… (Rire) Arriver, voir cette masse de papier, j’avoue que, voilà … Bon, je mets ça de côté, mais
l’exercice avec les autres médecins, on s’entend tellement bien. On travaille. On a le même état
d’esprit. On a une qualité de travail qui est importante vraiment, donc je fais abstraction du reste. Le
fait de tourner, ce n’est pas tellement gênant. En plus, maintenant, là-bas, je peux faire de la gynéco,
car il a changé de table d’examen, du coup il a des étriers. Ça, ça facilite pas mal la tâche. Avant, il
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fallait demander aux gens : « les frottis, c’est que le lundi, mardi ». Ça, c’était un peu lourd.
Maintenant, je peux faire la même chose des deux côtés. J’ai mes papiers dans un coin. Non, ça va.
-Par rapport à l’exercice médical de vos collègues, vous avez la même façon de faire ?
On n’a pas la même façon d’exercer mais on a la même façon de voir la médecine. On n’a pas la
même façon d’exercer parce qu’on a des patientèles qui sont différentes. Ça se voit. Moi, je ne fais
pas beaucoup de suivi de psychiatrie. J’ai deux de mes collègues qui en font plus. Non, on n’a pas
forcément la même façon de travailler mais on a le même état d’esprit. Je ne sais pas si je suis claire.
On est bien attaché à la personne. Enfin, on a un peu la même idée de la médecine. On n’est pas
dans l’abattage. On trouve que le contact avec le patient, c’est important. La relation… Et puis, je
trouve qu’on est bien. Quand on a un souci, on s’en parle, on se pose des questions entre nous, on
mange régulièrement ensemble pour ça, du coup ça donne un peu… Même si on ne travaille pas de la
même façon.
-C’était important pour vous de travailler dans un quartier comme celui-ci ? Dans un immeuble de
l’office HLM (note du chercheur: Hébergement à Loyer Modéré)?
- (Rire) Oui, c’était important. Parce que le fait d’être installée dans un quartier populaire, pour moi,
ça a du sens et ça a toujours du sens d’ailleurs. C’est pour ça que je suis très contente d’être installée
ici. Après, oui, on rencontre des gens qui sont en difficultés sociales, dans la misère, quand même
pas négligeable... En fait, ils ont tous des problèmes. Mais aussi… Voilà… C’est ce qui m’intéressait.
Voilà.
-L’installation de deux femmes a-t-elle modifié la patientèle du cabinet?
-On a récupéré pas mal de suivi gynécologique, et on fait souvent le suivi gynécologique des
patientes de nos confrères hommes. De la pédiatrie. Mais ils font aussi de la pédiatrie. J’aime bien,
mais on ne fait pas que ça. On fait aussi le suivi de grossesse. C’est varié. On leur explique qu’on fait
tout ça. C’est vrai que ça ouvre l‘activité.
-Quel médecin pensez-vous être ? Vous êtes quel type de médecin ?
-(long silence) Euh… Qu’est-ce qu’il y a comme type de médecin ?
-Comment vous qualifieriez-vous en tant que médecin ?
-Plutôt sur ma façon d’être ou sur mon exercice… Médecin à temps partiel, femme euh… Souvent en
retard dans ses rendez-vous, ça, c’est sûr. Et en même temps, je pense être à l’écoute des patients,
en tout cas, j’essaye de l’être. (Silence). Voilà.
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-Comment vos patients vous perçoivent-ils?
- Je ne sais pas. Je crois que ça dépend des patients, en fait. S’ils continuent de venir vers moi, c’est
qu’ils y trouvent leur compte. Je pense que je ne suis pas trop stressée. Pas trop speed. Ce matin, j’ai
un patient qui m’a dit : « C’est bien, on sent que vous êtes détendue… ». Je ne suis pas sûre qu’ils
ressentent tous ça. Après, ça dépend des moments. Je pense être plutôt souriante. Après, je pense
que des fois, comment dire, je suis un peu directe. Mais ça, je le suis tout le temps. Je ne sais pas s’ils
peuvent le ressentir. Je ne sais pas s’ils le disent…
-L’environnement du bureau, la décoration du cabinet, c’est quelque chose qui compte pour vous ?
-Je trouve quand même que ça compte. Que les gens se sentent bien. Je trouve quand même que
notre cabinet est un peu vieux. Et j’ai déjà des patients qui m’ont dit, enfin, ils ne m’ont pas
dit : « chez vous, c’est moche », mais presque. (Silence). Déjà, ce n’est pas accessible. Il y a des
marches en bas. Dès qu’on a une poussette, c’est compliqué. L’ascenseur ne marche pas toujours. Ça,
c’est un point négatif. Après, c’est tellement compliqué dans le quartier, de changer de locaux... Je
trouve quand même que ça manque, oui… En même temps, je trouve que … je trouve que c’est bien
d’être dans un immeuble de l’office HLM (note du chercheur: Hébergement à Loyer Modéré), parce
qu’on est euh… avec les gens du quartier quoi. On aurait un cabinet hyperluxueux, ça ne collerait pas
trop quoi. Donc, voilà. Entre l’hyperluxueux et des fois, la tapisserie qui se décolle, je trouve qu’il y a
un entre deux. Après, je ne suis pas sûre que ce soit le plus important pour les patients. Ou alors, ça
dépend des patients, il y en a qui vont s’attacher à des choses matérielles et d’autres pour qui, ce
n’est pas du tout ce qui est recherché quoi. Moi, je trouve que c’est important que ce soit au moins
propre, qu’il y ait de la place en salle d’attente. Voilà. Que ce soit un petit peu décoré. Qu’il y ait
quand même deux, trois petites choses. Montrer qu’il y a de la vie, que ce n’est pas complètement
décrépi.
- Avez-vous personnalisé les lieux ?
-Un peu oui, j’ai déjà des dessins des enfants. Voilà. Ça type un peu… Il y a un ou deux patients qui
ont remarqué. Surtout qu’il a signé avec son nom de famille. Il y a un patient qui m’a dit : « Ah, mais
c’est votre fils ». Il a eu l’œil. Les autres n’ont pas trop vu. Mais comme il l’avait fait ici, un matin et
qu’il voulait absolument que je l’accroche. Je l’ai fait. Oui, c’est un peu typé.
-L’horloge a-t-elle une utilité particulière en face du bureau ?
-L’horloge, c’est pour prendre le pouls car nous n’avions pas de trotteuse… (Note du chercheur: Dr
Hérisson et elle-même). Voilà. C’est uniquement pour ça.
113
-La porte de la salle d’attente fermée, est-ce que ça a un sens pour vous ?
-Certains patients ne veulent pas. Ça permet de contrôler les va-et-vient dans le cabinet, comme un
sas.
-J’ai recensé plusieurs affiches sur des incivilités, une porte d’entrée que vous ouvrez-vous-même,
avez-vous une politique particulière ?
-Oui, nous avons beaucoup d’incivilités et des problèmes de comportement. Ils ne s’en rendent pas
toujours compte. On essaye de les noter et de les signaler s’ils se répètent. Concernant la porte
d’entrée, on trouve que l’accueil, c’est important et ça permet de contrôler le passage. La secrétaire
va ouvrir la porte lorsque ça sonne et qu’elle est là. Le reste du temps, c’est nous. Son bureau a été
changé (note du chercheur: pour un bureau plus grand et une banque plus haute). Elle se sentait
envahie par les patients et trouvait que sur le plan de la confidentialité, ça n’était pas optimal. C’est
en changeant le bureau, qu’on s’est rendu compte que l’ancien était minuscule…
-Avez-vous remarqué que pour boire de l’eau vous allez systématiquement en salle de repos, alors
qu’un point d’eau existe dans votre bureau, et cela plusieurs fois par jour?
-Non, en effet, je n’avais pas fait attention... (Rires). Je n’ai pas envie de boire de l’eau dans mon
bureau.
-Vous êtes-vous déjà assise dans la salle d’attente? Pour regarder les affiches, par exemple?
-Non, jamais, à part quelques secondes avec des amis. J’affiche de temps en temps des papiers que je
reçois.
-Je vous remercie.
114
7.4 Annexe 4 : Entretien du Dr Hérisson, le 20/06/2014.
On s’installe chacune de part et d’autre du bureau. Moi, côté patient, elle, côté médecin.
- Présentez-vous en quelques mots ? Quel est votre parcours professionnel ?
- J’ai 39 ans, j’ai 3 enfants… qui grandissent maintenant, qui me laissent un petit peu plus de temps
pour voilà, mon activité professionnelle et… extra professionnelle d’ailleurs aussi… Euh, je me suis
installée très rapidement après la fin de l’internat parce que j’ai effectué mon stage chez le praticien
ici, chez le Dr Marmotte, qui cherchait une associée, donc euh j’ai voilà, réfléchi très rapidement et
j’ai dit oui, et… je me suis installée le même jour que Dr Zèbre, nous sommes installées toutes les
deux à temps partiel. Et les messieurs ont diminué leur temps de travail, donc on est arrivé à 3 jours
par semaine chacune, c’est un rythme de travail qui vraiment depuis le départ, me convient tout à
fait, me permet voilà d’être au cabinet 3 jours par semaine et d’en profiter, de suivre mes patients,
j’ai l’impression correctement, et de profiter de chez moi et bon voilà. D’être à mon avis quand
même assez présente, et ça m’a permis, voilà en tout cas une organisation familiale et
professionnelle tout à fait épanouissante pendant ces dix ans d’installation et progressivement je me
suis pas mal investie dans les organismes professionnels qui nous entourent. Et c’est pareil, je me fais
vraiment plaisir à rencontrer d’autres gens à rencontrer d’autres médecins ou d’autres euh ...
d’autres organismes qui prennent des décisions un peu pour nous. Ça m’a permis de comprendre
aussi le fonctionnement de la société, plein de choses. Et puis, parfois de faire comprendre à d’autres
ce qu’on peut nous, rencontrer dans des quartiers comme le nôtre et je pense que c’est important
que oui, qu’on puisse échanger, qu’on puisse apporter nos expériences de ce qui peut se passer dans
un cabinet situé en zone populaire, socialement difficile.
-C’est quelque chose d’important pour vous la situation géographique du cabinet ?
-Oui, même si au départ, y a… enfin voilà, quand j’ai fait mes études, je ne pensais pas du tout, à ce
moment-là, enfin, je pense que je ne connaissais pas d’ailleurs, et c’est vraiment pendant mon stage
chez le praticien, et puis en connaissant le Dr Marmotte que je me suis dit que ça me convenait bien
et que j’aimais ce genre de prise en charge, de relation où on a une dimension socio-médicale qui est
quand même très, très importante.
-Dans ce cadre-là, par rapport au patient, vous vous percevez comment en tant que médecin ?
-Comme étant euh… comme acceptant tout le monde, je pense ne pas trop juger les patients.
J’essaye en tout cas de ne pas le juger du tout, même s’ils sont sortants de prison ou d’autres
115
situations comme ça… qui parfois peuvent mettre un frein. Eh bien, j’essaye vraiment d’être le plus
ouverte possible, et j’ai l’impression que, voilà, que les patients le ressentent comme ça. Que ce soit
vis-à-vis de la toxicomanie, de l’alcoolisme, ou des sorties de prison, on en a quand même plusieurs,
voilà, j’ai l’impression que les gens arrivent même parfois à le dire quoi, que ils apprécient aussi
d’être considérés aussi comme… voilà, comme… quelqu’un de la société qui a droit à tout, euh aux
mêmes choses que les autres. Je pense que c’est important, je me dis que les gens, ils ont leur vie,
leurs difficultés, que ce n’est pas à moi de juger ça de toute façon, la justice est là pour ça. Et puis
moi, je suis là pour les soigner et puis les écouter.
-C’est une vision qui est partagée dans le cabinet ? Avez-vous tous la même ligne de pensée ?
-Ah oui, je crois vraiment que, en tout cas, tous les quatre, on a une dimension de l’accès au soin qui
est la même. Ça, ça me parait vraiment évident. On va recevoir tout le monde, quoi, je crois que c’est
vraiment euh… le mot d’ordre de chacun et on s’est rendu compte dès le départ qu’on avait la même
façon de fonctionner. Je pense qu’on a quand même une relation à l’argent aussi, qui est la même,
voilà. Il n’y a d’ailleurs jamais de conflit là-dessus. Jamais, jamais, jamais… On se rend compte qu’on
n’exerce pas de la même façon. On a chacun notre façon de faire (rire), voilà, on va même pouvoir se
critiquer par rapport à ça. Je veux dire forcément, euh on va voilà, pouvoir apporter notre point de
vue sur l’exercice de l’un ou de l’autre mais tout en se respectant. Je crois qu’il y a un respect mutuel
qui est vraiment complet depuis le départ et…c’est appréciable.
- Dr Zèbre et vous, partagez votre bureau et changez de bureau une fois par semaine, comment vivez-
vous cette situation ?
-Alors, moi, je le vis très bien, je ne sais pas comment Dr Zèbre le vit, ça nous oblige à ranger notre
bureau quand le vendredi soir, quand je sais que le lundi c’est Dr Zèbre qui arrive, mais ça fait partie
du respect de l’autre et elle fait pareil, je pense, quand j’arrive le bureau est propre. Donc, voilà. Ça
me parait être, voilà, non, finalement, ça ne me dérange pas, ça ne pèse pas plus que ça. Ce qui est
un petit peu pénible, c’est de ne pas avoir tout sur place quand on est dans un autre bureau, en fait,
plus que le fait de partager, partager le bureau, ça ne me dérange absolument pas, mais le fait d’aller
dans un autre bureau, fait qu’on n’a pas nos papiers sur place. Voilà. L’ordinateur n’est pas tout à fait
configuré comme moi je l’aurais fait. Bon, en pratique, j’ai l’impression que ça ne dérange pas du tout
les patients, à partir du moment, où ils savent quel médecin ils voient, qu’on les amène à droite ou à
gauche, ça n’a pas l’air d’être très important pour eux.
-Les locaux sont loués. La décoration, personnaliser les lieux, c’est quelque chose d’important pour
vous ?
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Alors, on n’a pas beaucoup personnalisé. Un petit peu notre propre cabinet à nous avec Dr Zèbre. On
avait refait les locaux quand on est arrivées, il y a 11 ans, euh…enfin, tapisserie et sol. C’est vétuste,
c’est sûr. Je pense qu’on sera quand même content, si on arrive à changer de locaux un jour, parce
qu’on se rend bien compte, voilà, qu’Il y a quand même des endroits qui deviennent sales et puis
difficilement, maintenant…nettoyables parce que, parce que c’est vieux parce que, voilà … voilà, y a
ce côté-là qui est quand même un petit peu gênant. Après non, euh, je n’attache pas une importance
vraiment, à personnaliser le cabinet, quoi. Non.
-Comment l’affichage de la salle d’attente est- il organisé?
-Non, c’est vraiment laissé à la… euh, c’est… on s’en occupe très peu de ça (sourire). Quand il y en a
un qui a une idée, il a le droit de la donner et de poser son affiche. On s’en occupe peu, c’est vrai, de
ça. On a refait par contre la salle d’attente, il n‘y a pas très longtemps, mais bon elle a déjà été, voilà,
la tapisserie a déjà été déchirée, bon tout ça, on a recollé comme on pouvait. C’est une pièce qui
s’abime vite. Donc… euh… La décoration non, c’est vrai, que ce n’est vraiment pas quelque chose qui
nous prend du temps (rire), ça, c’est sûr. Bon.
-La porte de la salle d’attente est souvent fermée, que souhaitez-vous signifier par-là?
-C’est pour des raisons de confidentialité parce qu’on trouve que sinon les gens entendent tout ce
qui se passe, notamment au secrétariat. Et puis, beaucoup de gens sont de la même famille, etc… des
patients euh peuvent consulter sans que les autres membres de la famille soient au courant. Donc,
c’est vrai que, bon, ça nous permet… Voilà. Il nous semble qu’il y a plus de confidentialité en fermant
la porte, voilà.
-Concernant l’entrée, elle est inhabituelle pour un cabinet médical, il existe une sonnette, puis on vient
nous ouvrir la porte, c’est du fait du hasard ?
-Non, c’est quelque chose qui restait important pour des raisons de sécurité, pour le coup, parce que,
bah, ça nous permet de filtrer plus les personnes qui arrivent, qui rentrent et une fois qu’elles sont
rentrées ou installées, pour leur dire qu’on ne peut pas les voir, accéder à leur demande parce que eh
bien : soit ils ne sont pas du cabinet, soit il y a des demandes de toxicomanie ou de je ne sais pas
quoi, qui sont, voilà, à laquelle on ne peut pas accéder et bien, s’ils sont sur le pas de la porte, c’est
plus facile de leur dire non. Ils s’en vont pas contents. Mais une fois qu’ils sont dedans, bah, c’est
quand même plus compliqué. Voilà. Et ça nous permet d’être plus en sécurité, à mon avis.
-Y a-t-il eu des cas d’agressions au cabinet médical?
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-Finalement assez peu, euh... une fois, moi, depuis mon installation, je suis allée à la police. Un
patient qui euh voilà, qui était très énervé, justement toxicomane, et qui est rentré alors que
j’examinais quelqu’un. Bon. Voilà. Du coup, j’étais allée porter plainte et dans le même coup, il avait
volé le téléphone portable du Dr Léopard, bon après, de la même façon, c’est quelqu’un que… je ne
le jugerai pas. C’est la justice d’ailleurs, qui a fait son travail, bon, voilà, malheureusement. C’est des
gens qui ont plein de difficultés par ailleurs. Voilà. Il avait volé le téléphone portable, mais répondu
au téléphone quand on avait appelé. Voilà. Donc, c’est pour dire que ce n’était pas du grand
méchant… c’était du grand perdu (sourire).
-Avez-vous la sensation par moment d’avoir recours à plusieurs rôles, lors de vos consultations, en
tant que médecin, pour améliorer votre alliance thérapeutique ?
-Des rôles sociaux, d’assistante sociale très, très, très fréquemment. Je crois qu’on est vraiment euh…
oui, un soutien pour certaines familles qu’on renvoie pourtant vers les services sociaux, mais qui
reviennent quand même très régulièrement, et dans les consultations on se rend bien compte qu’il y
a beaucoup de… voilà, de problèmes sociaux à régler, de conseils à donner, d’aller voir untel ou untel
pour s’en sortir. Ce n’est pas nous forcément qui réglons les problèmes, mais en tout cas de les
diriger vers les bonnes personnes, ça, c’est hyper fréquent que voilà, dans leur motifs de
consultation, quels qu’ils soient. C’est en fait des problèmes financiers ou autres, voilà, c’est là qu’on
peut quand même les diriger vers les bonnes personnes pour essayer de s’en sortir. Vers qui faire les
demandes de CMU (note du chercheur : couverture maladie universelle), vers qui, plein qui ne savent
pas… C’est après leur redire, voilà.
-Comment avez-vous acquis ce bagage d’aides sociales, d’orientation des patients ?
-Je pense qu’il faut qu’au départ ça intéresse, quand même. On se rend compte, en tant que maitre
de stage, il y a des étudiants qui sont intéressés et d’autres qui nous disent : « Non mais, on fait trop
de social ici, ça ne m’intéresse pas. » (Rire), par exemple. Donc, c’est là aussi que je me rends
compte, que sûrement effectivement, qu’on en fait beaucoup. Et puis… donc, il faut que ça intéresse.
Et après, bah du coup, dans le cadre du pôle santé (note de l’auteur : projet actuel de mise en
relation d’interlocuteurs d’un même quarter, médico-sociaux…), on a rencontré pas mal de
personnes, et maintenant bah, c’est vrai que, même eux n’hésitent pas à nous appeler, entre la PMI
(note du chercheur: protection maternelle et infantile), le médecin de la crèche, ils nous appellent
assez facilement, voilà… maintenant qu’on se connait physiquement aussi, c’est beaucoup plus facile.
J’imagine qu’on ne connait pas tous les leviers quand même parce qu’en fait, il existe tellement de
choses en parallèle, que je suis sûre qu’on passe à côté de plein de choses. Même les patients,
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passent à côté de plein d’aides, que ce soit physiques, sociales etc... Il existe trop de choses en
parallèle, je pense.
-Y a-t-il des choses importantes que nous n’avons pas évoquées dans votre personnage de médecin ou
sur votre exercice? Voulez-vous repréciser quelque chose ?
-Je crois que dans les réunions professionnelles, par exemple, qui sont à l’extérieur du cabinet, je me
rends vraiment compte, qu’en tant que médecin, on a des patientèles très différentes. Et que même
sans vouloir nier quoique ce soit, les médecins que je peux rencontrer à certaines réunions ne se
rendent pas compte de la réalité de ce que peuvent vivre certains patients. Et sont quand même
encore persuadés, encore dans le fait que certains patients profitent de… du système, que certains
patients sont demandeurs d’arrêts de travail très fréquemment, etc… dans nos populations, que c’est
hyper fréquent, qu’ils sont tous comme ça… et ça c’est vraiment ce message-là que j’essaye de faire
passer aussi, dans certaines réunions, où euh… voilà je donne mon point de vue et je suis… Il y a
sûrement 2% de la population qui profite du système, et on est d’accord, mais voilà, je préfère ne pas
avoir la CMU (note du chercheur: couverture médicale universelle) et être dans ma situation que
dans la leur, quoi. Je crois que les gens ne se rendent pas compte... Enfin, il y a un certain nombre de
médecins qui ne se rendent absolument pas compte de ça, quoi. Et ça, c’est… oui… vraiment, je m’en
rends compte dans certaines réunions où les gens ont des réflexions mais qui sont… voilà, qui moi,
me… quand je vois ce qu’on vit, ce que les patients vivent ici, pas moi hein! Mais je me dis, non! Ils
sont à dix milles lieux de comprendre et de voilà… Pourquoi les gens, pourquoi une femme enceinte
ne prend pas rendez-vous pour son échographie, dès le début de sa grossesse, tout de suite, tout de
suite etc… C’est incompréhensible que les gens ne s’inscrivent pas la sixième semaine de … et bien
voilà. Il y a encore plein de gynécologues que je peux rencontrer au conseil de l’Ordre (note du
chercheur: l’Ordre des médecins) notamment, qui ne peuvent pas comprendre que : c’est aux gens
de se prendre en charge, c’est à eux de vraiment, ils ont qu’à faire les choses, comme il faut,
correctement, et ils ont qu’à se prendre en charge. Je crois que ce n’est pas si simple que ça, quoi. Il y
a des difficultés réelles familiales et sociales qui font que, mais même les antécédents médicaux qui
font que, les gens ne vont pas forcément s’inscrire à la maternité à la sixième semaine de grossesse,
quoi…
-Ces notions vous importent donc?
-Oui, c’est quelque chose d’important, oui. Je suis persuadée que ça, … ça, ça m’a conforté dans mes
engagements professionnels autres en tout cas. Moi, je suis beaucoup moins engagée que d’autres
du syndicat dans les histoires politiques et tout ça, mais par contre faire comprendre aux autres de
119
ma profession (sourire), certaines réalités du terrain, eh bien, ça oui, ça, ça fait partie… des défis du
conseil de l’Ordre (note du chercheur: l’Ordre des médecins) notamment.
-Je vous remercie.
120
7.5 Annexe 5 : Entretien du Dr Gazelle, le 16/07/2014.
Il préfère qu’on fasse l’entretien dans la salle de repos/cuisine, c’est plus convivial pour parler. Je le
suis. Je pose l’enregistreur sur la table à manger.
-L’idée de départ c’est vraiment de se raconter un petit peu de par le parcours professionnel…
-D’accord… Wow! Y a du boulot! Mon parcours professionnel, ben il a commencé évidemment déjà
avec les premières années de médecine puisque c’est là que ça a commencé pour moi, et les
premières interrogations à partir de la 3ème ou 4ème année de médecine. Donc plantage en 1ére
année, normal… On ne passe pas du premier coup, ‘fin ça n’arrive pas à tout le monde. 2ème année et
3ème année pas de problème… Arrivé en 4ème année, je commence à faire autre chose que de la
médecine. J’ai toujours fait de la musique et puis je rencontre des gens qui me montrent… on va
dire… un autre visage du savoir médical. Un autre visage… et je vais le dire carrément – puisque de
toute façon c’est couvert par le secret médical - j’ai fréquenté un groupe de « spirits » qui a pignon
sur rue à Lyon depuis un siècle et … alors que l’on m’enseignait- en même temps je commence à
m’intéresser à l’énergétique chinoise - on m’enseigne que le cœur est un organe automatique sur
lequel on n’a pas de pouvoir. Moi, par le simple pouvoir de ma volonté et de mon désir, je ralentis
les battements de mon cœur et voilà, donc je fais une expérience très très forte en 4ème année de
médecine, et je plante ma 4ème année de médecine… Bon, ça peut arriver… Arrive la 5ème année. Fin
de 5eme année, à cause de la faculté où j’étais, extrêmement élitiste Alexis Carré, je n’avais droit
qu’à une seule dette pour passer de 5 en 6, j’en avais deux… Donc je plante ma 5ème année. C’est là
où je me dis qu’est-ce que je fais en médecine? Je me dis est-ce qu’il faut que je continue? Voilà,
retaper ma 5ème année ? Et là, on m’a dit qu’il fallait absolument que je continue parce que cette
sensibilité et la distance que j’avais par rapport à ce que l’on m’apprenait, il fallait absolument que je
les garde donc j’ai quand même réussi à finir. Alors qu’au départ, j’étais parti pour être interne et
pour moi, on m’avait appris que la véritable médecine c’était la médecine de spécialité, c’est la vision
très CHU (note du chercheur : Centre Hospitalier Universitaire) centrée… J’étais rentré là-dedans et je
me suis aperçu très très rapidement que l’internat ce n’était pas pour moi, j’en avais ras-le-bol de la
faculté et je n’allais pas encore me remettre à bosser pour faire quoi comme spécialité ? La seule
spécialité qui m’intéressait, c’était la pédiatrie, donc ce qui n’est pas une spécialité, qui est de la
médecine générale appliquée à l’enfant. Je me suis dit, me taper l’internat juste pour ça et pour en
plus voir tout le temps des enfants. Ce qui est bien mais c’est quand même restrictif, je n’aimais pas
que ça, j’aimais aussi le reste. C’est pour ça que j’ai abandonné l’idée de l’internat assez rapidement
quand j’ai vu le niveau de difficulté, et j’ai fait un semestre de pédiatrie… Ensuite, j’ai fait deux ans de
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remplacement, histoire de tâter le terrain puisqu’à cette époque-là on n’avait pas les SASPAS (note
du chercheur : Stage Ambulatoire en Soins Primaires en Autonomie Supervisée) et je me suis installé
donc avec des conditions d’installation anti-commerciales. Ce qui ne se faisait absolument pas à cette
époque-là. A cette époque-là, on négociait le droit de présentation de la clientèle, on ne peut pas
vendre une clientèle. On négociait le droit de présentation et le simple fait de t’asseoir aux côtés d’un
médecin qui était installé, tu payais un quart, un tiers, voire une moitié de son chiffre d’affaire.
-D’accord, on parle de quelle année à peu près ?
-1990, moi je me suis installé en 1993. Et le médecin que tu connais donc (note du chercheur : Dr
Marmotte) avec lequel je me suis installé, m’a dit : « Ecoute, je considère que je n’ai rien à te vendre.
Au contraire, tu me rends un service en venant t’installer à côté de moi il y a longtemps que je
cherche un associé. Tu viens t’asseoir à côté de moi, tu prends tous les nouveaux patients qui
arrivent et on partage les charges du cabinet, c’est normal ». Et encore au bout de quelques mois
d’installation, il est venu me voir en disant mais ce n’est pas normal que tu paies autant de charges
que moi alors que tu vois moins de patients que moi… On va proratiser. Et là je lui ai dit : « Ecoute, je
pense que si je m’étais installé tout seul, j’aurai payé plein pot le cabinet. C’est déjà pas mal que je
n’en paie que la moitié et je n’ai pas payé de droits de présentation ». C’est pour te dire que son
exigence éthique, son niveau qui me va tout à fait, je me suis tout à fait reconnu, son côté... reconnu
dans le milieu confessionnel. Et au bout de dix ans d’exercice, donc en 2003, en m’épuisant à suivre
quelqu’un qui avait un rythme épuisant, impossible à suivre, insensé, une bête du travail, c’est un
type exceptionnel, des capacités de synthèse de travail, d’abnégation, tout ce que tu voudras. C’est
un type exceptionnel ! Donc, je l’ai suivi un peu comme un modèle, comme on peut suivre quelqu’un
tu sais quand on ne sait pas, un Maître! Et en 2003 j’ai luxé le genou gauche, celui qui avait été opéré,
une première fois, je n’ai pas écouté, j’ai luxé le genou droit, normal, celui qui n’avait toujours pas
été opéré, et celui qui n’avait pas été opéré. Et comme je n’ai toujours pas écouté, j’ai luxé les
neurones. Je suis passé par la case Deroxat® (note de l’auteur : médicament antidépresseur). Et là, je
me suis dit ce n’était pas possible, je ne pouvais pas faire d’infarctus, parce que je fais du vélo, je ne
fume pas, je ne bois pas, je ne pouvais pas faire... n’importe. C’est le cerveau qui a … et ça a
correspondu au moment où les filles sont arrivées et on est tous passés en temps partiel. Depuis un
peu plus de dix ans, vu qu’elles sont là depuis 2003. Elles aussi donc, on les a recrutées par le milieu
confessionnel. Une, Dr Zèbre, Dr Marmotte la suivait depuis le début de ses études de médecine dans
un groupe de réflexion chrétien et il lui a proposé l’installation. Et elle est arrivée directement avec
Dr Hérisson, que Dr Marmotte avait eu comme interne. Et Dr Hérisson donc, était une collègue et
une amie du Dr Zèbre du coup la mayonnaise a pris tout de suite, parce que nous, on avait peur de
passer de deux à quatre. On se disait, ce n’est pas possible cela va faire de trop gros changements sur
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le cabinet. Mais de fait, on est passé de deux à trois en réalité. A nous quatre, on ne fait pas un temps
plein puisqu’on n’est pas là tous les jours et que elles deux partagent le cabinet qu’elles
s’entendaient super bien, ça a été complètement lisse, on est passé de deux à quatre, tout le monde
à temps partiel. Et depuis ce temps-là, cela fait onze ans, tous les jours je viens au travail avec plaisir
et il me reste quinze ans d’exercice. Et je ne considère pas que j’ai quinze ans à tirer, j’ai quinze ans
d’exercice avec un plaisir, pas renouvelé tous les jours, mais constant. Donc, la qualité d’exercice que
j’ai, la qualité d’association, je connais mes associés, leurs conjoints, conjointes, leurs enfants, leurs
dates de naissance, les prénoms, tout ça...ça, c’est assez exceptionnel… Avec ces conditions-là, avec
le temps partiel, je me vois travailler encore jusqu’à l’âge de 67 ans. Parce qu’il faut que je travaille
jusqu’à 67. J’en ai 52, il faut que je travaille jusqu’à 67.
-Ça ne vous fait plus peur ?
-Ça ne me fait plus peur, ça ne pose aucun problème…
-Et c’était quelque chose d’important d’être avec des gens qui avaient cette façon de fonctionner ?
-La même éthique, oui c’est important parce qu’on est dans un quartier où il y a énormément de
souffrance: souffrance sociale, souffrance psychologique et si on n’a pas un ancrage à la fois entre
nous-mêmes à pouvoir échanger quand il y a des cas difficiles. Quand on dit des «cas difficiles», ils
sont d’abord difficiles pour les patients. S’ils sont difficiles pour nous c’est qu’on est humain. S’ils ne
sont pas difficiles, il faut qu’on change de travail, ça veut dire qu’on est devenu des professionnels
froids, des machines qui appliquent des protocoles, etc… Donc, il faut changer de métier. Donc, on a
à la fois cette qualité d’association entre nous, mais il faut aussi un ancrage spirituel parce que c’est
ce qui permet de durer et peut-être pas de comprendre mais au moins d’admettre.
-Un mot peut-être de votre - on va dire - environnement familial…
-Effectivement ça aussi ça a compté beaucoup parce que mon épouse et moi avons six enfants, ça
occupe pas mal, et que les dix premières années de mon installation les enfants se sont succédés très
très rapidement puisqu’il y a 6 ans d’écart entre l’aîné et la 4ème, moins de 6 ans d’écart, et que c’était
le moment où je m’installais, c’était le moment où je bossais un maximum. Je n’étais absolument pas
disponible pour la maison. Donc ça a permis effectivement de financer la maison, ça a permis de faire
beaucoup de choses, un déménagement… et voilà, je ne voyais pas mes gosses et cela non plus ne
m’allait pas du tout et donc depuis que je suis passé en temps partiel, les deux suivants qui ont 13
ans et bientôt 6 ans, ceux-là ont bénéficié de mon rythme et voilà j’ai pu les apprécier beaucoup plus.
Donc ça c’est très important. En dehors de la formation initiale à la Faculté, qui est ce qu’elle est.
C’est sûr que la sélection était encore pire que maintenant. Elle ne se faisait que sur la mémoire
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exclusivement. Donc, comme je dis très souvent aux patients et aux gens qui disent : « Oh là là ! Il
faut être intelligent pour être médecin ! ». Pas du tout, ça se saurait, ça se saurait s’il fallait être
intelligent, il suffit juste d’avoir de la mémoire. Un ordinateur a de la mémoire, il n’est pas du tout
intelligent. Donc, j’ai fait beaucoup de formations après, en dehors du circuit classique. J’ai fait une
initiation à la médecine chinoise traditionnelle, j’ai fait des séminaires de thérapie comportementale,
j’ai fait une initiation à la PNL, Programmation Neurolinguistique. Après avoir fait l’initiation à la
médecine chinoise traditionnelle, j’ai fait à titre personnel une initiation au tai-chi ce qui me permet à
l’heure qu’il est de prescrire aussi bien de l’acupuncture que de l’ostéopathie, à certains patients qui
sont dans une impasse de la médecine occidentale classique. Il y en a beaucoup, beaucoup,
beaucoup… J’avais lu un article il y a quelque temps de ça, comme quoi 50% des patients qui
sortaient de l’hôpital malgré les plateaux techniques de l’hôpital, sortaient sans diagnostic. Des
impasses en médecine occidentale, on en a beaucoup.
-Comment vous vous décririez comme médecin ?
-Comment je me décris ? Ben, je ne suis incontestablement pas toujours dans les tuyaux de l’ANAES
(note du chercheur : Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé). C’est aussi la raison
pour laquelle je ne veux pas être maître de stage parce que j’ai à la fois un mode de fonctionnement
intuitif et aussi un mode de fonctionnement scientifique, heureusement… mais selon le moment il y
en a un qui l’emporte sur l’autre et il y a des décisions thérapeutiques que j’ai beaucoup de mal à
justifier et qui jusqu’à présent, je pense, sont bonnes, avec l’expérience que j’en ai. Là aussi, je me
méfie beaucoup de l’expérience. La plus belle définition de l’expérience que je connais c’est en
médecine chinoise : l’expérience, c’est une lanterne qu’on a dans le dos. C’est-à-dire que quand tu te
retournes tu vois clair, mais quand tu regardes devant toi elle te fait de l’ombre. C’est pour ça que
l’expérience on en a besoin, mais il faut s’en méfier. Pourquoi je parle de l’expérience ? Les patients
pour lesquels mon attitude, elle n’a pas collé, elle n’a pas relevé son parti, je ne les revois plus. Donc,
fatalement ça va alimenter mon délire vu que je ne revois que ceux qui sont contents de la façon
dont je fonctionne. Et c’est la même chose que les chirurgiens. Si tu vas voir deux chirurgiens qui ont
le même avis sur un problème difficile, il faut en voir trois parce que chacun va te donner son
expérience. Il va dire dans tel type de chirurgie du genou, j’utilise telle intervention et j’ai de bons
résultats. Evidemment, les mauvais résultats qu’il a eus, ils sont partis et l’autre intervention
technique qu’il n’a pas utilisée, il n’a pas d’expérience, donc comment veux-tu qu’il te donne un avis
éclairé ? Donc il faut en voir trois et il n’y a pas le choix… Je me définis comme, j’espère, comme un
médecin ouvert aux autres médecines, je ne suis pas incontestablement, un médecin qui va appliquer
à la règle les directives de l’HAS (note du chercheur : Haute Autorité de Santé). Les données de la
science varient comme toujours… Cela fait plaisir de voir évoluer les choses dont on était certains.
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Par exemple, l’hémoglobine glyquée, on était certains des résultats. Le dépistage du cancer du sein,
c’est fabuleux. Il n’y a qu’en France qu’on continue à le faire sans se poser de questions, dans les pays
nordiques c’est terminé, et ainsi de suite… Donc il faut quand même prendre vraiment une certaine
distance. Ceci dit, il faut quand même agir. Donc, voilà, je ne sais pas si ça suffit comme réponse…
-Très bien. Peut-être plus près des patients… Je pourrais vous demander comment ils vous perçoivent.
Pourriez-vous être qualifié de médecin atypique ?
-Je passe de plus en plus de temps à écouter mes patients et de moins en moins à les examiner. Ce
qui m’intéresse, c’est de plus en plus savoir comment ils vivent avec leur maladie plutôt que la
maladie elle-même, donc ce qui m’intéresse de plus en plus c’est le malade, ce n’est pas la maladie…
Et toute la partie que je qualifie de technique, le suivi de mes diabétiques… Par contre ces
médecines, elles m’apportent à moi beaucoup… et j’espère, apportent aussi aux patients puisqu’ils
reviennent.
-Qu’est-ce que ça vous apporte ?
-Arriver à comprendre comment les gens fonctionnent. La psychologie humaine c’est infini, la
personne qui est en face de toi c’est une boite noire, tu n’as jamais accès à ce qui est à l’intérieur,
jamais… Juste à partir de ce qu’il te dit, par certains moments, et encore parfois il faut décoder, cela
quand on est dans la même culture, mais comme on est ici dans d’autres cultures, alors la ça devient
mais … c’est là que ça fait une ouverture. J’avais tout à l’heure une patiente d’origine vietnamienne,
pareil avec les gens du Maghreb et encore ce n’est pas la même chose pour le Maroc, l’Algérie, la
Tunisie… Tout ça, euh c’est des choses… Il faut arriver à soigner ces gens-là, les faire rentrer dans les
tuyaux.
-Vous avez l’impression que vous avez besoin de jouer plusieurs rôles pour arriver à les soigner,
obtenir une alliance thérapeutique?
-En tous cas, j’ai besoin vraiment de tout ce qu’on m’a appris en dehors de la faculté. Ça, c’est
impératif. Si je n’avais pas les outils de PNL (note du chercheur : programme neurolinguistique), si je
n’avais pas les outils de la thérapie comportementale, c’est l’échec complet, ce n’est pas possible…
Ou alors, on reste dans la prescription, c’est tout et puis après le patient et voilà il se débrouille.
-J’en profite, j’ai vu qu’il y avait quelques petits objets, qui paraissent comme des petits cadeaux…
-Ce sont des patients qui me les ont ramenés et je les mets en fait plus pour leur faire plaisir, pour
qu’ils les revoient… Moi, je n’attache aucune importance à ce genre de choses, je ne me souviens
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même plus qui me les a donnés, ni pourquoi… J’en ai trop, je suis arrivé à la limite, je les amènerais
bien à la maison, mais ce n’est pas les mêmes goûts que mon épouse.
-Il y a des choses que vous mettez plus facilement dans votre bureau et d’autres peut être plus dans la
salle commune ?
-A un moment, il n’y a plus de place. Le dernier, c’est un tigre qui a été fait à la main par un artisan du
Soudan. J’ai un seul patient qui vient du Soudan. Je n’ai plus de place dans mon bureau, ni dans la
salle d’examen, donc voilà, je l’ai mis là… Dommage, il est super beau ! Je suis en plus très peu
sensible à l’art. Très peu.
-Avez-vous parfois des cadeaux plus sous forme de nourriture ?
-Souvent, c’est ceux que je préfère parce que ce n’est pas quelque chose qu’on garde, c’est sûrement
moins transactionnel… Pour moi, c’est beaucoup plus facile et d’ailleurs j’apprécie beaucoup plus que
la tunisienne m’amène un couscous, qu’on me ramène des dattes d’Algérie, du vin d’Algérie… Voilà,
j’apprécie beaucoup plus.
-Vous avez déjà eu de l’argent ?
-Jamais, jamais, parce que justement les patients qu’on a ici ont trop de problèmes d’argent. Et c’est
quelque chose réellement que je n’aurai pas pu faire. J’aurai beaucoup de mal, je ne vois pas
comment je pourrais l’accepter… Ce n’est pas envisageable.
-Vous parliez du quartier. C’était important de s’installer dans un quartier comme celui-ci ?
-Oui. J’ai beaucoup remplacé pendant deux ans. Je me suis baladé, j’ai vu beaucoup de types
d’exercice à la campagne, à la montagne, dans un quartier très favorisé sur le plan social de Lyon,
dans le 6ème arrondissement. Je me suis promené et en fait, je suis beaucoup plus à l’aise dans ce
quartier là avec des petites gens, avec des gens qui sont du côté des victimes, victimes de la société,
victimes du grand capital… Et euh, c’est vraiment avec ces gens-là avec lesquels je suis à l’aise. C’est
aussi mon histoire, parce que mon père a vécu à la ferme jusqu’à l’âge de 20 ans, ma mère était aussi
issue d’une fratrie nombreuse. Ma mère, à la force du poignet, elle est devenue institutrice
poursuivant ses études avec des cours du soir, etc… Mais mon père, c’est un paysan. Un paysan dans
l’âme, et ça reste toujours un paysan. Donc, voilà, je suis plus à l’aise avec ces gens-là qu’avec des
gens qui ne sont pas du même milieu que moi.
-Que pensez-vous du projet de maison médicale ?
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-C’est l’avenir. Je suis complètement à fond dedans. C’est la seule solution, si on veut attirer des
jeunes, si on veut avoir une offre de soins… Malheureusement, on appelle cela les soins primaires,
parce que c’est dérivé de l’anglais «primary care», moi j’appellerais ça les « soins premiers ». La seule
façon, si on veut faire des économies sur la santé c’est de limiter l’accès direct aux spécialistes et
c’est d’avoir des soins de premier recours de qualité et accessibles. Quand je dis maison de santé,
pour moi c’est 8h du matin - 20h et sans coupure entre 12h et 14h parce que les gens souvent sont
dispo en midi et 2h. Donc c’est 8h-20h et 5 jours sur sept plus le samedi matin 8h - midi jusqu’à ce
que la maison de garde ouvre, en attendant que les maisons médicales de garde soient ouvertes à 8h
du matin. Auquel cas, on pourra… effectivement, mais si on a abandonné le samedi matin, je
considère que ce n’est pas satisfaisant par rapport à l’offre de soins et de temps en temps je
réintroduis des samedis matins moi mais pas pour les gens qui poussent la porte parce qu’autrement
je ne m’en sortirais pas. La maison de santé, c’est la réponse à la fois à la demande de soins de
proximité avec des soins de qualité, avec une maison de santé pluridisciplinaire, pour moi c’est
évident ça : kiné, infirmière, orthophoniste, dentiste, ce serait super… et ensuite donc avec une
mutualisation et de toute façon un financement public, on ne s’en sortira pas sans financement
public. Ce n’est pas possible. C’est un projet qui va coûter très cher. Donc, moi si je fais ça, ce n’est
pas seulement dans une optique de réponse à mes quelques patients, je réponds à un bassin de
population, je suis en train de faire de la santé publique, je suis en train de faire de la médecine de
masse, donc il faut que la puissance publique me finance pour faire ça, sinon moi je mets dans un
coin, je fais ce que je veux, puis je dévisse ma plaque et je m’en vais quand je veux. Donc voilà, il y a
un moment où la médecine de premier recours, et là vraiment… Donc, il faut arrêter les beaux
discours et il va falloir investir dans la médecine de premier recours. On commence à y venir avec les
forfaits, avec… ici là, on est dans un équivalent de zone urbaine sensible, un financement lié à notre
activité et à notre chiffre d’affaires et ce n’est pas négligeable. Cette année pour la première fois, la
Caisse (note du chercheur : Caisse Primaire d’Assurance-Maladie) m’a versé l’équivalent de deux
mois d’activité. Donc, ce n’est pas négligeable et voilà je considère que c’est comme si on m’avait
passé le C (note du chercheur : cotation pour le prix de la consultation) à 25 ou à 27. Donc, c’est une
part de forfaitisation de mon activité.
-En parlant de votre activité, vous avez donc des pratiques médicales qui à priori sont un peu
différentes par rapport à celles des autres médecins. Vous avez de bonnes relations par rapport aux
pratiques de chacun dans la cabinet ?
-Je n’ai pas de difficulté avec mes collègues, c’est sûr. Ils savent que des fois je suis un peu à la limite
du hors-jeu, mais je pense qu’ils savent quand même que je sais ce que je fais. L’avantage en
médecine générale, c’est ce que je dis toujours que l’on peut faire ce que l’on veut à condition de
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savoir ce que l’on fait. Donc, je pense toujours savoir ce que je fais et là, fort heureusement que j’ai
cette formation scientifique qui me ramène un petit peu sur terre parce qu’autrement des fois ça
peut partir… Il y a des choses en énergétique chinoise qui sont proprement ahurissantes,
ahurissantes… Tu vois des choses qui n’ont aucune explication en médecine occidentale, aucune.
Simplement en énergétique chinoise, ça s’explique. Quand vous voyez quelqu’un mettre le doigt dans
de l’eau bouillante et qu’il ne se brûle pas… Il n’y a pas d’explication. Ce n’est pas possible, l’eau ça
brûle… sauf si on mobilise son énergie Yin et qu’on l’amène à cet endroit-là et on ne va pas se
cramer. Et ça, pour les chinois, ce n’est pas un problème, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est
évident que s’il y a un type qui arrive avec une brûlure du 2ème degré, je ne vais pas lui dire : mobilisez
votre énergie Yin, etc… et je vais vous arranger ça… Non, voilà, ceci est un exemple parmi d’autres.
-J’ai cru comprendre, je ne suis pas certaine, que vous n’avez pas forcément suivi des innovations,
comme le changement de logiciel…
-Ca ce sont des choses que je suis vraiment à reculons… L’informatique, comme je ne l’aime pas... Elle
me le revaut bien… les emmerdes avec le logiciel… On dit toujours : Ça vient de la machine, ça vient
de… Ça fait vingt ans qu’on me tient ce discours, qu’avec le prochain ça marchera mieux, je n’y crois
pas…je n’y crois pas.
-J’avais remarqué que vous fermez souvent la porte d’entrée de la salle d’attente. Quelle explication
vous donnez à ce geste ?
-Parce que pour nous, la première chose, c’est la confidentialité. C’est-à-dire que le secret médical va
jusqu’au fait que quelqu’un qui passe dans le couloir n’est pas sensé savoir qui il y avait dans la salle
d’attente ou qui il y a. Un patient qu’on voit en consultation, il a quitté la salle d’attente, quelqu’un
d’autre va rentrer. Si la porte de la salle d’attente est ouverte, les patients qui sont dans la salle
d’attente vont voir celui qui passe. Cette notion de confidentialité pour moi ça va jusqu’au fait que,
quand je suis à la maison médicale de garde et qu’il y a cinq, dix, quinze patients dans la salle
d’attente, quand on me donne leur fiche, je vois leur nom… J’interpelle mon patient dans la salle
d’attente par son prénom… Et je leur dis : «le secret médical va jusque-là». Les gens n’ont pas à
savoir comment vous vous appelez. Ça pour nous c’est vraiment, je pense que c’est notre motivation
première. La salle d’attente, le cabinet médical, c’est un lieu de confidentialité.
-D’ailleurs vous franchissez assez facilement la porte de la salle d’attente pour voir les patients…
-Oui, les patients, on les connait, on les accueille. Très souvent, on rentre dans la salle d’attente. On
ne dit pas : «Au Suivant», «Monsieur untel»… Jamais, jamais, jamais, on ne dit dans la salle d’attente
le nom du patient. On les connait. Je m’approche de lui, je lui serre la main mais c’est dans la salle
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d’attente que je vais le chercher. C’est la même chose pour notre secrétaire. Elle ouvre la porte, il y a
un accueil, les gens sont accueillis, ce n’est pas une sonnette anonyme. Une porte qui s’ouvre c’est
une perte de temps considérable pour une secrétaire d’aller ouvrir la porte. Elle passe un temps fou,
mais on est dans l’accueil. Très, très à la marge, les seuls cabinets où il y a eu des problèmes de
violences, d’agressions, de vols, ce sont des cabinets où les gens poussent la porte et rentrent
comme ça sans savoir… Bon, c’est très à la marge, je ne sais même pas si c’est arrivé dans le cabinet
d’à côté où pourtant les gens poussent la porte mais où il y a une banque d’accueil toute suite en
face, et une secrétaire physiquement présente. Ce n’est vraiment pas notre motivation première, ce
n’est pas la peur…
-Je vous remercie.
L’entretien se poursuit oralement sans questions précises et se termine par une visite de son cabinet
avec l’écran sous le bureau et les affiches dont une de sa confession, dos au patient.
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132
9 ABRÉVIATIONS
ACP: Approche Centrée sur le Patient
ECN : Examen Classant National
HBM : Habitat Bon Marché
HLM : Habitation à Loyer Modéré
WONCA Europe : World Organization of Family Doctors, soit la société Européenne de Médecine
générale-Médecine de famille.
133
ASTYL Léa : ETHNOGRAPHIE D’UN CABINET DE MEDECINE GENERALE.
La question du sens dans la relation médecin-malade.
Nbr 132 ill 13 Th. Méd : Lyon 2014 n° ____________________________________________________________________________
RESUME :
La qualité de la relation médecin-malade est un enjeu majeur dans la recherche d’une meilleure
alliance thérapeutique. L’interactionnisme symbolique, un des principaux courants actuels
d’analyse sociologique, s’applique à la relation et contribue à sa meilleure compréhension. Ainsi,
les interactions entre les différents acteurs d’un cabinet de médecine générale, verbales, non
verbales ou modifiées par l’environnement sont soumises au sens qu’en donnent les
protagonistes et influencent la relation médecin-malade. Dans cette hypothèse, une
ethnographie, méthode qualitative, a été réalisée dans un cabinet médical de quatre médecins
généralistes en milieu urbain. Une observation participante de la relation et des entretiens semi-
dirigés des médecins ont permis de décrire l’organisation des espaces et leurs usages afin d’en
dévoiler le sens. Ce travail original par son approche anthropologique, a soulevé de nombreuses
pistes de réflexions: le principe de valeur partagée fondatrice entre les médecins et le
développement d’une identité professionnelle au sein d’un cabinet de groupe, la réflexion sur
les codes culturels, l’anxiété générée par l’attente et ses conséquences, la notion de don et
contre don... Dans le cadre de ce travail, il serait enrichissant d’explorer les pistes par des
travaux spécifiques sur chaque axe. Dans l’optique de l’amélioration des pratiques
professionnelles, nous pouvons encourager ce type de travaux en médecine ambulatoire, afin de
diversifier nos études et de dégager des idées nouvelles.
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MOTS CLES : Relation médecin-malade,
médecine générale,
interactionnisme symbolique,
ethnographie,
observation participante.
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JURY : Président : Monsieur le Professeur Pierre FOURNERET
Membres : Madame le Professeur Liliane DALIGAND
Monsieur le Professeur Alain MOREAU
Madame le Maître de Conférences Evelyne LASSERRE
Monsieur le Docteur Philippe ROCH
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DATE DE SOUTENANCE : jeudi 20 novembre 2014 ____________________________________________________________________________
ADRESSE DE L’AUTEUR : 12 rue Danton, 69003 Lyon [email protected]